Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hellénistique (monde) (suite)

L’art hellénistique

L’art hellénistique est celui des cités grecques et celui des royaumes barbares — c’est-à-dire de population non grecque — conquis par Alexandre à partir de 336 et gouvernés après sa mort par ses généraux, les diadoques et leurs successeurs. On parle aussi d’art hellénistique pour des peuples qui, s’ils ne sont pas soumis à des dirigeants grecs, se sont très largement ouverts aux influences artistiques grecques, comme les Étrusques et les Carthaginois ou certains peuples orientaux qui ont recouvré leur indépendance. C’est dire que les différences entre l’art hellénistique et l’art classique du ive s. av. J.-C. sont d’ordre plus sociologique qu’esthétique. Des sculpteurs comme Lysippe* ou des peintres comme Apelle, qui deviennent les portraitistes attitrés d’Alexandre, ont commencé leur carrière bien avant 336 ; ils ne vont pas modifier leur manière à cette date. Leurs recherches, qui sont poursuivies par leurs élèves, ont une influence très profonde sur révolution de la peinture et de la sculpture hellénistiques. Mais, dorénavant, les commandes sont moins le fait des cités, qui, en Grèce propre, sont très appauvries, que des souverains désireux de donner un grand éclat à leur Cour, de faire de leur capitale un centre artistique dont la renommée puisse se comparer à celle des grandes cités classiques.

D’autre part, les nombreux contacts qui s’établissent entre Grecs et peuples barbares permettent l’enrichissement du répertoire grec, qui adopte ainsi certains motifs égyptiens ou mésopotamiens et cherche à exprimer dans un vocabulaire artistique grec des thèmes étrangers. Le sarcophage dit « d’Alexandre », provenant de la nécropole phénicienne de Sidon, vers 305, en offre un très bon exemple : le sculpteur a décoré la cuve de scènes de bataille et de chasse qui glorifient le défunt suivant la tradition monarchique orientale ; mais ces scènes sont composées de motifs tous empruntés à l’iconographie grecque (musée d’Istanbul).

Le foisonnement de l’art hellénistique est tel qu’il est difficile d’en retracer complètement l’évolution, d’autant plus que de nombreuses œuvres d’art ont disparu et que la date de plusieurs autres est loin d’être assurée.


L’architecture religieuse en Asie Mineure

La libération des cités grecques d’Asie Mineure par Alexandre amena la construction de grands temples, souvent avec l’aide financière du Conquérant. À Éphèse, le temple archaïque d’Artémis, qui avait été incendié au ive s., est relevé suivant le même plan et sur les mêmes dimensions ; mais les proportions des colonnes, le dessin des moulures témoignent de l’évolution de l’ordre ionique, notamment sous l’influence attique. À Priène, où toute la ville est alors reconstruite suivant un plan orthogonal, sur un contrefort du Mycale, la construction du temple d’Athéna est confiée à l’architecte Pythéos. Celui-ci, qui avait déjà travaillé au mausolée d’Halicarnasse (secondé par des sculpteurs tels que Scopas*), est un remarquable théoricien ; refusant l’ordre dorique, trop rigide pour se plier à ses combinaisons, il réalise une œuvre très savante sous sa simplicité apparente, où tout est calculé pour mettre en valeur le volume de la cella qui abrite la statue de culte. Ce temple passait dans l’Antiquité pour le prototype du temple ionique, et son influence sera considérable en Asie. On en retrouve notamment la trace dans le temple d’Apollon à Didymes. Le dieu avait là, près de Milet, un sanctuaire oraculaire très réputé, que les Perses avaient mis à sac. On le rebâtit à une échelle gigantesque à partir de la fin du ive s. Un immense temple à ciel ouvert, entouré d’une double colonnade ionique, enferme à l’intérieur un petit bâtiment, siège de l’oracle. Mais l’heureux rapport des proportions, le jeu harmonieux des moulures et surtout la fantaisie du décor végétal, qui fleurit partout, animent cette forêt de pierre. La rigueur du dessin et la perfection du travail du marbre sont en effet au service du naturalisme sous-jacent à la vie religieuse grecque.

Ces recherches théoriques furent poursuivies par Hermogène, l’architecte auquel on doit le temple d’Artémis, élevé vers 155 à Magnésie du Méandre. Ce temple fut entouré, quelques années après son achèvement, par une grande cour à colonnades. L’architecture religieuse rejoint ici l’architecture civile, qui aime à enfermer les places dans un cadre de portiques servant à la fois de bureaux, de magasins, de promenoir et d’abri en cas d’intempérie. C’est alors que se crée, dans les grandes cités ioniennes, à Athènes et même dans les cités les plus modestes, ce cadre urbain au décor scandé de colonnes, qui fut repris par Rome et qui reste associé dans notre esprit à l’image de la cité antique.


Une capitale royale : Pergame

Un des plus beaux exemples de ces cités est fourni par Pergame, la capitale des Attalides, que les fouilles allemandes du début du siècle nous ont rendue. Ici, les architectes ont eu non seulement à pourvoir aux besoins des habitants, mais aussi à illustrer la puissance et la gloire d’une dynastie. Chaque construction est intéressante en soi. Tout d’abord, le rempart, dont la sobre puissance fait la beauté, rappelle que les temps hellénistiques furent traversés par des guerres continuelles et que les fortifications sont, à travers tout le monde grec, le témoin essentiel de l’époque. Dans la ville basse, l’agora et les gymnases, grandes cours à colonnades suivant le goût du temps, sont, avec le théâtre qui étage ses gradins sur les pentes de la montagne, les principaux lieux où se réunissent les citoyens pour leurs affaires et pour leur plaisir. Dominant toute la ville, sur l’acropole, s’élève le palais royal, entouré de ses arsenaux et de ses casernes, et aussi des sanctuaires dédiés aux dieux protecteurs de la cité et de la dynastie.

Mais les succès guerriers des Attalides se manifestent surtout dans le décor sculpté qui anime ce cadre architectural. Attalos Ier commémora par un ex-voto sa victoire sur les Galates, qui semaient la terreur en Asie Mineure : sur le pourtour de ce monument, aujourd’hui disparu, une série de Gaulois mourant ; au centre, le groupe célèbre du Gaulois se suicidant, après avoir tué sa femme, pour ne pas tomber aux mains des ennemis (copie romaine, Rome, musée des Thermes). L’aspect physique de ces Barbares est rendu avec précision : leur armement — glaives larges et courts, boucliers allongés —, leur nudité au combat, certains traits anatomiques — carrures trapues, chevelures hirsutes —, tout est soigneusement observé. Mais ce goût du pittoresque ne nuit pas à la puissance de l’expression, bien au contraire. Le sculpteur a su peindre, par le dramatique des attitudes et le pathétique des visages, tout le désarroi de ces guerriers devant la défaite et la mort. Il y a là, aux alentours des années 230-220, une recherche du mouvement, un essai de traduire dans le marbre la psychologie des personnages, qui sont caractéristiques de la sculpture hellénistique.