Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dreyfus (Affaire) (suite)

Le procès Zola provoque une véritable émeute (févr. 1898). Malgré ses avocats Fernand Labori et Clemenceau, Zola, que la foule veut lyncher et insulte, est condamné à un an de prison sur le témoignage des généraux de Pellieux et de Boisdeffre, qui viennent jeter dans la balance leur parole de soldat et la menace de leur démission. L’état-major fait reposer ses affirmations solennelles sur un dossier secret dont la pièce accablante, qu’on s’est bien gardé de produire, n’est qu’un faux grossier.

Sans se décourager, la famille Dreyfus, le 5 juillet 1898, dépose une demande de révision. Deux jours plus tard, Godefroy Cavaignac, ministre de la Guerre, lit à la tribune de la Chambre la fameuse pièce après en avoir, affirme-t-il, « pesé et l’authenticité matérielle et l’authenticité morale ». Malheureusement pour lui, un autre membre du service de renseignements, le capitaine Cuignet, fournit la preuve que la pièce est un faux forgé par le colonel H. J. Henry. Arrêté, celui-ci se suicide dans sa prison du Mont-Valérien (31 août 1898).

Cet événement, qui ne convertit pas pour autant les antidreyfusards, entraîne la démission de Boisdeffre, Pellieux et Cavaignac. En septembre, le gouvernement charge la Cour de cassation d’examiner la demande de révision. Le 3 juin 1899, elle reconnaît sans valeur les prétendus aveux d’Alfred Dreyfus, qui sera donc renvoyé devant le conseil de guerre.

Cette décision tombe en pleine effervescence politique. Depuis 1898, l’Affaire a profondément divisé l’opinion publique. La droite accentue sa campagne antisémite et forme la Ligue de la patrie française avec Déroulède, François Coppée, De Mun, Barrès, etc. La gauche, autour de Clemenceau et de Jaurès, se rassemble dans la Ligue des droits de l’homme, où se retrouvent de nombreux intellectuels, écrivains, membres de l’Institut, professeurs au Collège de France et à la Sorbonne.

À l’antisémitisme de la droite, que la jeune Action* française de Maurras va orchestrer au nom du nationalisme intégral, la gauche oppose son antimilitarisme et son anticléricalisme. À l’intérieur des familles, des groupes d’amis, des familles politiques, une véritable guerre s’installe, des regroupements s’opèrent, de vieilles amitiés se brisent.

De violentes manifestations antidreyfusardes alarment le gouvernement. Bientôt se constitue à la Chambre un « bloc des gauches », composé de radicaux, de progressistes et de socialistes.

Au moment où la Cour de cassation casse le jugement de 1894, Waldeck-Rousseau forme un ministère dont on sait les sentiments révisionnistes et qui se charge de rétablir l’ordre (22 juin 1899).

Le conseil de guerre de Rennes condamne Dreyfus, avec des circonstances atténuantes, par cinq voix contre deux, celles du colonel Jouaust et du commandant de Bréon (9 sept. 1899). L’émotion et l’indignation sont grandes dans le monde entier, où de nombreuses manifestations antifrançaises se déroulent. Mais, quelques jours plus tard, le président Loubet gracie l’accusé, qui est libéré mais qui est toujours officiellement coupable.

Un homme relance l’Affaire ; c’est Jean Jaurès, qui, réélu en 1902, se charge de réveiller la Chambre contre l’iniquité des jugements de Rennes. En 1903, Dreyfus demande la révision de son procès, qui lui est accordée en 1904. La Cour suprême proclame enfin, le 12 juillet 1906, l’innocence d’Alfred Dreyfus : celui-ci est réintégré dans l’armée, décoré de la Légion d’honneur ; il terminera sa carrière militaire comme lieutenant-colonel durant la Première Guerre mondiale. Georges Picquart est également réintégré avec le grade de général. Il sera plus tard ministre de la Guerre de Clemenceau.

En 1930, la publication des Carnets de Schwartzkoppen, auquel Guillaume II a jadis interdit de disculper Dreyfus, lèvera les derniers doutes. Le vrai coupable semble bien être Esterházy, mort en Angleterre en 1923. La victime de l’Affaire, Alfred Dreyfus, mourra à Paris en 1935.

L’Affaire ne fut pourtant pas un triomphe pour les partisans de Dreyfus. Au-delà du sort de l’accusé, ce qui domina, en définitive, ce fut le souci d’apaisement, garant de l’« ordre » républicain, au prix du silence, de l’oubli, de la lâcheté. Les militaires coupables, faux témoins et falsificateurs de pièces, ne seront jamais punis.

P. P. et P. R.

➙ Antisémitisme / République (IIIe).

 J. Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus (Fasquelle, 1901-1904 ; 7 vol.). / P. Boussel, l’Affaire Dreyfus et la presse (A. Colin, coll. « Kiosque », 1960). / H. Guillemin, l’Enigme Esterhazy (Gallimard, 1962). / R. Gauthier, Dreyfusards ! (Julliard, coll. « Archives », 1965). / L. Lipschutz, Bibliographie thématique et analogique de l’affaire Dreyfus (Grasset, 1971).

droits de l’homme et du citoyen (Déclaration des)

Déclaration dont le texte fut discuté et voté par les membres de l’Assemblée constituante du 17 au 26 août 1789 ; elle servit de préface à la Constitution de 1791.


Au lendemain des grandes victoires révolutionnaires, la Déclaration est un acte de décès de l’Ancien Régime, dont les abus reçoivent article par article condamnation, en un style souvent négatif. Mais elle vient aussi après les atteintes portées par le peuple à la propriété. La Déclaration souligne qu’elle est un droit naturel.

Résultat de longs et vifs débats entre des députés nobles, clercs ou bourgeois à talents rompus aux subtilités du droit et imprégnés de la philosophie des lumières, ce texte est un compromis. Il est la somme d’une trentaine de projets différents.


L’idéologie

On y retrouve la théorie des droits naturels. Le régime ancien était fondé sur l’inégalité et l’arbitraire, donc sur la violence. Le nouveau régime sera fondé sur la justice retrouvée. Car, de même que l’homme exerçant sa raison sur la matière découvre la nature qui l’environne, de même, en étudiant les sociétés humaines, il comprend ce que l’Être suprême a voulu pour sa créature, libre encore de tout pacte social : la liberté, l’égalité et la fraternité. Liberté de posséder son corps et avec elle liberté d’acquérir, d’user et d’abuser des biens matériels, d’avoir une propriété. Égalité, non pas des fortunes, mais égalité physique des êtres, que les textes juridiques doivent garantir. Fraternité enfin, puisque la liberté et l’égalité retrouvées, ce sera la fin des luttes des hommes et des nations.