Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Consulat (suite)

Le consulat à vie

Le tournant est pris. La république des notables devient une dictature. Celle-ci va s’établir d’autant plus facilement au grand jour que la guerre reprend. La paix n’est pas en effet aussi profitable que les capitalistes anglais l’ont escompté. La France et l’Europe qu’elle occupe restent fermées. C’est que Bonaparte, soucieux d’assurer à tous travail et pain à bon marché, croit pouvoir y parvenir en pratiquant une politique protectionniste. En cela, il demeure, comme beaucoup de ses contemporains, un mercantiliste. Pour lui, l’abondance des espèces, signe de richesse, ne peut être obtenue qu’en achetant peu et en vendant le plus possible. Le commerce extérieur français, stimulé, passe ainsi en trois ans de 553 à 790 millions. Ce commerce commence à changer de direction. Les Antilles sont en effet perdues. Un soulèvement dirigé par Toussaint Louverture y éclate. Il est dû au rétablissement de l’esclavage. La Louisiane est vendue aux États-Unis. Par contre, en Méditerranée, la France jette des bases nouvelles. Des ententes sont passées avec la Syrie, le pacha de Tripoli et la Tunisie. L’île d’Elbe est annexée en 1802.

En même temps, la réorganisation, sous l’égide de la France, de la Suisse et de l’Allemagne inquiète les puissances. Par l’acte de médiation de 1803, le premier de ces pays passe sous la tutelle de Bonaparte. La carte de l’Allemagne est remaniée : les principautés ecclésiastiques et les villes libres disparaissent et laissent place à un Saint Empire de 82 États au lieu des 350. Reconnue par le recès d’Empire, à la diète de Ratisbonne, cette transformation permet à l’influence française de grandir, notamment dans l’Allemagne du Sud. L’Autriche, à la fois perdante en Italie et en Allemagne, se résigne mal à ce rôle de second plan que la France veut lui faire jouer.

L’Angleterre, espérant son appui et celle de la Russie, inquiète de la politique orientale de Bonaparte, exige en avril 1803 la cession de Malte pour dix ans et l’évacuation de la Hollande par les Français. Le refus déclenche les hostilités au mois de mai.

Les Anglais intensifient l’aide qu’ils apportent aux agents royalistes en France. Un complot est monté par Cadoudal et le comte d’Artois. Un projet d’enlèvement du Premier consul est élaboré. Bonaparte assassiné, une insurrection sera fomentée, un Bourbon rentré en France en prendra la tête et procédera à la restauration de la royauté. Les comploteurs peuvent compter sur des appuis dans les milieux officiels. Le général Pichegru, réfugié en Angleterre, croit pouvoir rétablir des contacts dans l’armée. Mais il y a plus : le général Moreau est dans le secret. Royalisme d’un homme qui vit son père monter à l’échafaud à l’époque de la Terreur, calcul politique d’un général ambitieux et dont le talent s’est affirmé à la dernière campagne, dispute et rivalités familiales (les familles créoles Hulot de sa femme et de La Pagerie dont est issue Joséphine ne s’entendent pas), tout se mêle pour expliquer l’attitude de Moreau. Cependant, l’entrevue qu’il a avec Pichegru et Cadoudal, boulevard de la Madeleine en janvier 1804, convainc ce dernier que le général est surtout désireux de tirer profit au maximum d’une entreprise où il ne veut pas s’engager à fond.

Le complot est éventé. Fouché, jadis terroriste, craint un retour du roi. Le ministère de la Police qu’il détenait a été supprimé, mais il a gardé des contacts avec des policiers. Il est frappé par cette dénonciation mille fois répétée par les royalistes qu’il fait torturer : un prince du sang va venir en France et ce sera le début de l’insurrection. Bonaparte, prévenu, tombe d’accord avec lui : ce prince ne peut être que le duc d’Enghien. Celui-ci, fils du dernier des Condés, vit à Ettenheim, dans le pays de Bade, à 15 kilomètres de la frontière française. Il entretient avec les autres émigrés une correspondance suspecte. On dit même qu’il a reçu le général Dumouriez, en émigration depuis 1793. La conviction de Bonaparte une fois faite, la décision est vite prise : il faut tuer le prince ou être tué par lui ; il y a, souligne un historien, de la vendetta dans cette affaire. Le général Ordener et des gendarmes, au mépris du droit international, pénètrent en territoire étranger et s’emparent du duc. Le 20 mars, à 11 heures du soir, ce dernier est conduit à Vincennes. À minuit, il comparaît devant une commission militaire. « A-t-il porté les armes contre la France ? — Oui. » « A-t-il reçu de l’argent de l’Angleterre ? — Oui. » À 2 heures du matin, il est, en vertu d’une loi votée par la Convention mais applicable aux seuls émigrés pris en France, condamné à mort et passé par les armes. Pichegru, arrêté, sera trouvé mort dans sa cellule ; Moreau, gracié, partira pour l’exil, tandis que d’autres conjurés montent à la guillotine.

L’assassinat du duc d’Enghien fait perdre tout espoir à Louis XVIII de parvenir à s’entendre avec Bonaparte. Il marque de manière sanglante cette continuité qu’il y a entre France révolutionnaire, France consulaire et bientôt France impériale.

Le complot de Cadoudal permet à Bonaparte le dernier acte qui établit sa dictature. Le 18 mai 1804, un sénatus-consulte connu sous le nom de Constitution de l’an XII proclame Bonaparte empereur des Français. Un plébiscite ratifie cette décision par 3 500 000 voix contre 2 579. La peur de la contre-révolution a joué.

J.-P. B.

➙ Banque / Chouans (les) / Codification / Concordat / Empire (Ier) / Légion d’honneur / Napoléon Ier / Révolution française / Staël (Mme de).

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