Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chorégraphie (suite)

Sténochorégraphie ou l’Art d’écrire promptement la danse est publié en 1852 par Arthur Saint-Léon (1821-1870), l’auteur de Coppélia (1870), dansé des milliers de fois dans sa version originale ou dans des versions plus modernes (telle celle de Michel Descombey [1966] à l’Opéra de Paris) dans tous les pays du monde. Luigi Manzotti (1835-1905), auteur de grands spectacles équestres et de fresques chorégraphiques à la gloire de l’Italie et des réalisations contemporaines, utilisait une transcription particulière pour noter ses ballets (Amor, 1886). Professeur allemand et l’un des fondateurs d’une académie de danse, Friedrich Albert Zorn rédigea une Grammatik der Tanzkunst qu’il publia à Leipzig en 1887. En 1892, un danseur russe, Vladimir Stepanov (1866-1896), publia à Paris un Alphabet des mouvements du corps humain qu’utilisa le chorégraphe russe Aleksandr Gorski (1871-1924), d’abord à l’École impériale de Saint-Pétersbourg, puis au théâtre Bolchoï et en Angleterre, où il fit une carrière de maître de ballet, pour reconstituer entre autres les principales œuvres de Marius Petipa* (la Belle au bois dormant, le Lac des cygnes).

Tous ces systèmes ont été abandonnés tour à tour. Ils ont été des étapes qui ont conduit à une formule plus complète, qui lie les notations musicales et chorégraphiques aux déplacements dans le temps et dans l’espace : le système élaboré par le théoricien autrichien d’origine hongroise Rudolf von Laban*, qui s’est inspiré toutefois des travaux de Feuillet. Sa Notation du mouvement (Schrifttanz : Methodik, Orthographie, Erlaüterungen, 1928) a connu une grande diffusion, d’abord en Angleterre et aux États-Unis, puis plus récemment en Europe. C’est grâce à lui qu’à l’heure actuelle le terme de notation* prévaut.

Plusieurs chercheurs contemporains se sont penchés sur le problème de la notation chorégraphique. Ils ont, pour la plupart, mis au point un système qu’ils utilisent pour leurs propres œuvres. Obligation est de reconnaître que la chorégraphie telle qu’elle était établie jusqu’alors n’avait qu’un intérêt limité. Il y avait des systèmes, mais aucune méthode universelle qui puisse être appliquée à toutes les œuvres qui méritaient d’être projetées dans le futur. Le répertoire traditionnel, les œuvres nouvelles dignes d’intérêt, les chefs-d’œuvre étaient voués à un oubli plus ou moins proche ou, du moins, à des modifications dues aux difficultés de transmission.

Avec l’avènement du cinéma, la danse comprit tout le parti qu’elle pouvait tirer du film. De nombreux ballets ont été filmés ; la connaissance de la technique de la danse a permis leur fidèle reconstitution. L’utilité incontestable du film (malgré sa vulnérabilité, puisque la pellicule est périssable) en matière chorégraphique est confirmée par la création de cinémathèques (Paris, 1966).


Ambiguïté des termes chorégraphie et chorégraphe

En fait, ces deux termes recouvrent plusieurs entités. Si la chorégraphie est, dans son acception première, l’art d’écrire la danse, elle est aussi dans ses sens modernes l’art de composer des ballets et l’œuvre que le chorégraphe a composée. Pour dissiper cette ambiguïté, on préfère aujourd’hui utiliser le terme de notation quand on parle de l’écriture de la danse ; la chorégraphie est l’art de composer les ballets, et une chorégraphie l’œuvre ainsi composée.

Le chorégraphe, technicien de l’écriture de la danse, est donc devenu un notateur, alors que le compositeur de ballet conserve, lui, le titre de chorégraphe. Serge Lifar a suggéré à plusieurs reprises le terme correspondant de choréauteur, que peu de contemporains emploient.


Le chorégraphe, compositeur de ballets

De tout temps, les chorégraphes ont d’abord été danseurs : aucun chorégraphe ne peut ignorer la danse et sa technique. D’autre part, les chorégraphes doivent avoir une vaste culture : la création d’une œuvre chorégraphique exige des connaissances sérieuses et variées. Noverre écrivait : « Le compositeur [de ballet]... doit étudier les peintres... Le dessin est trop utile aux ballets... Le maître de ballet qui ignorera la musique... n’en saisira pas l’esprit et le caractère. » Il ajoutait dans la même Lettre : « Le maître de ballet dont les connaissances seront les plus étendues et qui aura le plus de génie et d’imagination, sera celui qui mettra le plus de feu, de vérité, d’esprit et d’intérêt dans ses compositions. »

La création chorégraphique ne suit pas, à proprement parler, de méthode. Connaissances et talent mis à part, le chorégraphe, comme tout artiste, se laisse guider par son inspiration. La volonté de construire une œuvre est souvent subordonnée à un élément très important : les danseurs (v. danse). Qu’ils composent les enchaînements au fur et à mesure, qu’ils construisent leur chorégraphie de mémoire ou qu’elle soit notée sur le papier avant de la faire traduire en gestes, les chorégraphes modèlent leur création en fonction d’une morphologie, d’une aptitude particulière du danseur. Celui-ci est un intermédiaire que le chorégraphe doit savoir utiliser, tout comme, d’ailleurs, il doit savoir se servir des techniques nouvelles : structures scéniques, éclairages, décors abstraits. Le chorégraphe s’inspire de thèmes littéraires, picturaux, psychologiques ou bâtit une œuvre essentiellement musicale ; il compose ou un ballet d’action ou un ballet abstrait.

Charles Louis Beauchamp (le Triomphe de l’amour, 1681) est sans doute le premier à qui l’on peut décerner le titre de chorégraphe au sens moderne du terme. Depuis cette époque, de nombreux chorégraphes ont produit des centaines d’œuvres, dont quelques-unes seulement nous sont parvenues. Certaines d’entre elles sont encore inscrites au répertoire de compagnies internationales de ballet (le Lac des cygnes, la Sylphide, Coppélia, Napoli, la Belle au bois dormant, la Fille mal gardée, etc.). Le rayonnement des Ballets russes a fait connaître les œuvres de chorégraphes de talent tels que Michel Fokine*, Léonide Massine*, George Balanchine*, Serge Lifar*, Bronislava Nijinska. La plupart de ces chorégraphes ont travaillé en étroite collaboration avec les musiciens de leur époque (I. Stravinski, S. Prokofiev, M. Ravel, E. Satie, D. Milhaud, G. Auric, etc.). Aujourd’hui, toutes les œuvres montées par les chorégraphes en renom (Maurice Béjart, Joseph Lazzini, Roland Petit, Michel Descombey, Paul Taylor, John Butler, Jerome Robbins, Kenneth MacMillan, Alwin Nikolais, Martha Graham, Janine Charrat, Françoise Adret, George Balanchine, etc.) témoignent d’un choix musical orienté vers les compositions des maîtres contemporains ou du début du xxe s. (Schönberg, Webern, L. Berio, J. Cage, Y. Xenakis, G. Mailler, F. Martin, H. Pousseur, etc.).