Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chansonnier (suite)

Introduction

Le terme apparaît avec la vogue du Pont-Neuf. Sans doute, on peut considérer qu’antérieurement des auteurs ont composé les paroles et la musique de leurs chansons. Dès le Moyen Âge, on connaît les noms de Jacquemont le Cuvelier, « faiseur » de Charles V, de Hanequin d’Oudenaarde, « faiseur » du comte de Flandres, de Jean Vaillant, de Jehan de Suzay ; mais la double culture poétique et musicale n’était pas chose courante.

Sur le Pont-Neuf, les chansonniers adoptèrent la formule du « timbre », c’est-à-dire qu’ils composèrent le texte de leurs chansons sur la césure musicale d’airs en vogue. Les premiers chansonniers furent Maître Guillaume, le fou d’Henri IV et de Louis XIII, la « folle » Mathurine et Maillet, dit « le poète crotté, Philippot ou l’illustre Savoyard », qui s’intitulait modestement « l’Orphée du Pont-Neuf ». Au xviiie s., Charles Minard, le Picard, vendait ses chansons dans des cahiers à couvertures bleues (d’où le terme de bluettes). Sous la Révolution, les citoyens Déduit, Marchant et surtout Ladré, qui s’est vanté d’avoir composé plus de 100 chansons entre 1789 et 1794, sont les vedettes du Pont-Neuf, avec Quatorze-Oignons-le-Cynique et Belle-Rose-l’Obscène.

Sous l’Empire, Duverny, surnommé « l’Apollon du Pont-Neuf », célèbre les victoires de Napoléon, tandis que Désorgues, après avoir chanté Bonaparte, général et consul, est enfermé comme fou à Bicêtre pour avoir commis une mauvaise chanson contre l’Empereur.

En dehors du Pont-Neuf, Ange Pitou (1767-1846) se fait incarcérer périodiquement pour oser chanter, même en pleine Terreur, des chansons monarchistes.

C’est avec la création du Caveau que le mot chansonnier prendra son véritable sens. Les membres de cette association et de celles qui lui succédèrent composèrent aussi bien des chansons satiriques que des chansons grivoises, des pamphlets politiques que des romances sentimentales, préparant ainsi, avec les goguettiers, la grande époque montmartroise, qui sera l’apogée du style chansonnier.


Les principaux membres des caveaux

Charles Alexis Piron (1689-1773) passe pour avoir écrit des chansons plus érotiques ou plus grivoises qu’elles ne le sont en réalité. Marmontel qualifia Charles François Panard (1691-1765) de « père de la chanson morale ». Les chansons de Charles Collé (1709-1783), « peignent au naturel les mauvaises mœurs de la bonne compagnie ». Pierre Laujon (1727-1811) a défini avec beaucoup de clarté les formes que peut revêtir la chanson française. Pierre Augustin de Piis (1755-1832) adapta son très réel talent à toutes les variations politiques de son époque. Marc Antoine Désaugiers (1772-1827) aborda avec bonheur tous les genres de la chanson française, mais Paris reste la meilleure source de son inspiration : les Halles, le Palais-Royal, Longchamp, Paris en miniature, Paris à 5 heures du matin, Paris à 5 heures du soir, etc. Excellent musicien, il a composé lui-même la musique de ses chansons. Pierre Capelle (v. 1775-1821), chansonnier et libraire, se fit l’éditeur de ses collègues et publia la célèbre Clé du Caveau, qui réunit 2 350 timbres de chansons. Armand Gouffé (1775-1845), caustique, spirituel, et misanthrope, fut l’un des pères de l’humour noir.

Il faut citer aussi, en marge des caveaux, dont il ne fit jamais partie, Jean Joseph Vadé (1720-1757), précurseur du réalisme, qui a introduit le style poissard dans la littérature française.


Les goguettiers

Les goguettes réunissent surtout des ouvriers poètes (v. chanson).

Louis Festeau (1793-1869) se fit une très haute idée de la mission du chansonnier : « Le chansonnier est l’écho, le pétitionnaire du peuple, il rit de sa joie, pleure de sa souffrance et menace de sa colère. » Paul Émile Debraux (1796-1831), rival et ami de Béranger, fut, lui aussi, l’artisan de la légende impériale avec Te souviens-tu ?, le Mont Saint-Jean. Mais il a laissé des chansons d’un humour léger comme Fanfan la Tulipe. Il fut l’animateur des principales goguettes. Vinçard (1796 - après 1870), le premier, donna à la chanson une mission sociale. Il publia en 1869 les Chants du travailleur, anthologie des chansonniers saint-simoniens. Les chansons d’Eugène Pottier (1816-1887) présentent un mélange de l’esprit épicurien des caveaux (le Rocher de Cancale, Filourette), des doctrines fouriéristes (Matière et Bible, la Mort d’un globe) et de cris de révolte (l’Insurgé, Elle n’est pas morte !). Il a conquis une gloire durable en composant les paroles de l’Internationale (musique de Degeyter). Gustave Leroy (1818-1860), chansonnier socialiste, fut condamné à six mois de prison pour sa chanson le Bal et la guillotine (1849). Charles Gille (1820-1856) a développé les théories babouvistes dans des chansons comme Monsieur Crésus, le Bon de travail, les Mineurs d’Utzel. Mais il a laissé aussi des compositions poétiques et charmantes : la Cloche fêlée, la Fée aux aiguilles, etc. Pierre Dupont (1821-1871), après avoir été le chantre de la République de 1848, fut, en 1851, condamné à sept ans de déportation. Ayant obtenu sa grâce, il mit sa muse au service du second Empire. Son Chant des ouvriers a été salué par Baudelaire comme la « Marseillaise du peuple ». Jean-Baptiste Clément (1836-1903) a laissé des chansons révolutionnaires (la Semaine sanglante, Ça sent la guerre, la Grève, etc.) qui font oublier le poète amoureux de la nature qu’il a su être parfois, comme dans Bonjour printemps, En coupant les foins et surtout dans le Temps des cerises, composé en 1866 et mis en musique par le ténor Renard.


Béranger

Pierre Jean de Béranger (Paris 1780 - id. 1857), après s’être livré à divers essais littéraires (comédie satirique, vaudeville, opéra-comique et couplets érotiques), écrivit des poèmes épiques (Clovis, le Déluge, le Rétablissement du culte, le Jugement dernier, etc.). La censure impériale s’opposa à leur publication. Béranger devint célèbre du jour au lendemain avec le Roy d’Yvetot, que tous les Français chantèrent et qui bénéficia de l’indulgence de Napoléon. En 1815, il publia son premier recueil, Chansons morales et autres, dans lequel il chantait l’amour gai et bon enfant (Roger Bontemps, Mon curé, le Troisième Mari, etc.). Durant l’invasion, il chanta avec courage le Bon Français devant les Alliés, cependant qu’il entamait la lutte contre les excès de la Restauration dans un nouveau recueil. Poursuivi pour « outrage aux bonnes mœurs, à la morale publique et religieuse, et offense à la personne du Roi », il fut condamné en 1821 à trois mois de prison et à 300 F d’amende ; il purgea sa peine à Sainte-Pélagie. Le peuple l’aimait : les témoignages de sympathie et les colis de victuailles affluèrent de partout. Un troisième recueil fut publié en 1825 ; en 1828, le quatrième fut saisi. Il contenait, entre autres, les Souvenirs du peuple, où les Français communient dans le souvenir idéalisé de Napoléon, le Sacre de Charles le Simple et la Gérontocratie, qui furent considérés comme des délits contre la religion et le roi. Béranger fut condamné à neuf mois de prison et à 10 000 F d’amende. Emprisonné à la Force, il y reçut la visite du « Tout-Paris ». Après la révolution de 1830, il devint le grand conseiller de son temps. Mais, foncièrement républicain, il ne put approuver la prise de pouvoir par Louis-Philippe.