Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

canon (suite)

Sur un matériel tracté ou automouvant, la stabilité pose des problèmes plus complexes. Si l’on veut éviter de trop alourdir l’affût, elle demande un long recul, de 100 à 120 cm pour le tir horizontal, mais le tir aux grands angles exigerait de porter les tourillons à une hauteur excessive ou de creuser une fosse pour le recul du tube. On utilise donc un frein hydraulique à double réglage : long recul pour le tir aux angles faibles, et court recul de 60 à 80 cm pour le tir aux grands angles (maximum de 70 à 75°).

Sur affût léger, modérateur et amortisseur doivent être déterminés avec soin pour éviter qu’un choc, à la fin de la rentrée en batterie, ne tende en soulevant les bêches à dépointer la pièce. L’usinage intérieur des cylindres du récupérateur doit être très soigné, puisque doit s’y déplacer un joint étanche entre gaz comprimé et liquide, tel le piston libre du 75 modèle 1897. Encore utilisé aujourd’hui, ce joint mobile est constitué par un anneau de graisse maintenu sous pression par deux rondelles plastiques montées sur un piston en acier.

• Refroidissement. Un canon est un moteur à explosion dont le rendement est de l’ordre de 30 p. 100. Une forte proportion de l’énergie interne de la poudre est donc évacuée par ses parois, qui s’échauffent au cours du tir. C’est pourquoi certains matériels automatiques comportent une circulation d’eau ou sont refroidis par une injection d’eau à chaque coup. Mais l’échauffement du frein hydraulique, avec carbonisation de l’huile et des joints, est encore plus à craindre et limite pratiquement les cadences permises, soit en courtes rafales, soit en débit horaire.

• Usure. L’usure des tubes se traduit par une baisse de la vitesse initiale, puis par une diminution de la précision au tir, auxquelles on a cherché divers remèdes (poudre froide). Vers 1930, on avait cru que des chemises amovibles apporteraient une solution, mais leur usinage est délicat et il est moins onéreux de prévoir un nombre suffisant de tubes de rechange.

• Évacuation des gaz et arcure. Les gaz chauds peuvent s’enflammer en culasse. Pour éviter ce danger, surtout dans un blindé, on souffle de l’air comprimé dans la chambre pour chasser les gaz vers l’avant. Un évacuateur d’âme, simple réservoir cylindrique concentrique au tube, joue le même rôle : rempli de gaz dès le passage du projectile, il les éjecte dans l’âme vers l’avant.

Les canons de char s’échauffent et peuvent parfois se cintrer par vent latéral ou sous l’action du soleil. Afin de remédier à cette possible arcure, on entoure le tube sur toute sa longueur d’un dispositif particulier dit antiarcure : chemise de métal léger ou bandes de cuir qui créent un matelas d’air autour du tube.


Le canon sans recul

Les gaz sortant du canon derrière le projectile se détendent dans toutes les directions en comprimant brusquement l’air ambiant. En prolongeant le tube par un embout conique divergent coiffé par une coupelle annulaire, on peut les rejeter vers l’arrière. L’impulsion ainsi créée par le frein de bouche, diminuant le recul, allège l’effort du lien élastique, mais un rejet à 180° est impossible, car les servants seraient brûlés par les gaz.

Une solution plus radicale consiste à éjecter directement vers l’arrière une fraction notable (plus des 2/3) des gaz par un orifice percé dans la culasse : c’est le principe du canon sans recul.

L’impulsion ainsi créée, améliorée par une tuyère avec divergent de détente et comparable à celle d’un moteur fusée, peut en effet annuler le recul. Comme la combustion de la poudre doit démarrer en vase clos, on complète l’obturation donnée par la ceinture du projectile avec une rondelle en matière plastique qui ferme momentanément l’ouverture percée au fond de la douille. On peut utiliser aussi une douille à perforations latérales recouverte d’une feuille de papier kraft en laissant un espace libre entre la douille et la chambre. Rondelle en plastique ou papier kraft sont défoncés au cours de la montée en pression. Ces canons sont indiscrets (bruit, lueur, fumées), ce qui limite leur puissance à des calibres moyens.


Le canon à gaz léger

Les gaz sortant d’un canon derrière le projectile se détendent à une vitesse voisine de 1 500 m/s. On peut atteindre une vitesse d’éjection de 2 000 m/s derrière un projectile très léger, mais la masse moléculaire des gaz brûlés (, N2, CO, CO2) s’oppose à ce que cette limite soit dépassée. Le canon dit « à gaz léger », employé dans les laboratoires de recherche, permet d’atteindre des vitesses beaucoup plus élevées. Il est constitué par deux canons placés en tandem, dont les âmes se raccordent l’une à l’autre. Dans le premier, de calibre moyen, on met le feu à une charge de poudre qui repousse un piston en matière plastique freiné en fin de course. Ce dernier refoule en la comprimant et l’échauffant brusquement une masse d’hydrogène ou d’hélium qui vient pousser dans le deuxième tube, de petit calibre, un très petit projectile, en lui imprimant une vitesse qui peut atteindre 10 000 m/s. Ce projectile est lancé dans un tunnel de tir, dans un tube fermé où règne une pression réglable ou même à contre-courant dans une soufflerie. On peut ainsi étudier des phénomènes accompagnant le déplacement des projectiles dans l’air ou leur pénétration dans un milieu à très grande vitesse : ionisation du sillage d’un engin (missile), théorie des cratères, protection des cabines spatiales contre les météorites, etc.

Ainsi le canon, après avoir connu la fortune sur le champ de bataille, est devenu un instrument de choix pour la recherche scientifique.

Petite histoire du canon

Apparus au xive s., les premiers canons étaient constitués par un tube fait de barres de fer soudées en long par martelage. Solidement attachés à de lourds madriers formant un affût rudimentaire, ils étaient chargés par l’arrière avec un boulet de pierre à peu près sphérique ou avec une grosse flèche courte (carreau). Derrière le tube, on bloquait par un étrier une chambre contenant la charge de poudre et percée par un canal de lumière par où l’on « boutait » le feu à l’aide d’une mèche ou d’un fer rouge. L’arme était aussi dangereuse pour ses servants (éclatement du tube, brûlures par fuite de gaz à l’arrière) que pour ses adversaires. Les progrès de la métallurgie permirent, dès le xve s., de couler des tubes en bronze fermés à l’arrière, et qui rappelaient les bouches à feu utilisées jadis par les Byzantins pour projeter le feu grégeois. L’emploi de boulets moulés en bronze et plus tard en fonte permit de diminuer le jeu entre le projectile et l’âme du canon et d’atteindre ainsi des portées de quelques centaines de mètres. Pour faciliter le déplacement de l’arme, on monta son support sur des roues (Charles le Téméraire [1433-1477]), puis on réalisa un véritable affût sur lequel le tube était posé par des tourillons (Charles VIII [1483-1498]), ce qui rendit possible le pointage en hauteur. Très vite, les types de bouches à feu se multiplièrent : l’escopette puis la couleuvrine à main, ancêtres du fusil*, le ribeaudequin à tubes multiples, des canons lourds comme les veuglaires et les bombardes. Ainsi, en 1478, une bombarde en fonte devant tirer un boulet de 500 livres de la Bastille à Charenton éclata au second coup ; mais le record fut battu par un canon coulé à Andrinople et employé par les Turcs au siège de Constantinople, en 1453. Amené à pied d’œuvre en deux mois par 400 hommes et 60 bœufs, il tirait un boulet de pierre de 600 kg dont l’effet fut décisif. À cette époque on appelle calibre non le diamètre extérieur de l’âme, mais le poids du boulet tiré par le canon : cette tradition durera jusqu’à nos jours en Grande-Bretagne.