Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bohême (suite)

Face au Parlement de Francfort, les Slaves d’Autriche s’assemblent en un congrès panslave à Prague du 2 au 12 juin 1848. La tendance modérée, représentée par Palacký, et la tendance radicale, représentée par le Slovaque Štúr (1815-1856) et surtout par le Russe Bakounine, s’unissent par un manifeste adressé aux nations d’Europe et qui rappelle les droits naturels de chaque nation à défendre sa liberté et son droit d’exister. Mais le général Windischgrätz, prenant pour prétexte un incident entre les manifestants et la troupe, fait bombarder du 12 au 17 juin la ville de Prague, qui s’est couverte de barricades. Le mouvement radical, toujours minoritaire et que représentent Josef Václav Frič (1829-1891) et Karel Sabina (1813-1877), est écrasé. Les modérés tchèques, que dirigent Palacký et František Ladislav Rieger (1818-1903), tentent, même après l’échec du mouvement de juin, de faire entendre leur voix au Parlement autrichien, qui se réunit à Vienne, puis à Kremsier (Kroměříž) du 22 juillet 1848 au 7 mars 1849. Ils réclament une Constitution fédérale, mais le Parlement est dissous avant d’avoir pu la voter.


1848-1898 l’échec des réformes

La seconde moitié du xixe s. voit triompher en Bohême la révolution industrielle, avec une brusque accélération de 1867 à 1873 et un ralentissement général après la crise de 1873. Mais les industriels qui contrôlent les entreprises privées sont en quasi-totalité des Allemands, appuyés sur des banques locales comme la Böhmische Eskomptebank, les Tchèques ne réussissant à s’implanter que dans les industries alimentaires. De même, les caisses mutuelles de crédit, organisées sur le modèle d’une coopérative, permettent en 1868 la création de la première banque tchèque, la Živnostenská banka. Mais la supériorité allemande reste écrasante.

La période de centralisation et de réaction, l’époque de Bach, est très défavorable aux Tchèques. Aussi, le retour à une vie politique normale, après 1860, permet-il au mouvement national de s’organiser. Celui-ci se donne son journal, les Nǎrodní Listy, en 1861, et son organisation nationale de gymnastique, le Sokol, organisé en 1862 par Miroslav Tyrš (1832-1884). Mais, dès 1862, deux tendances se détachent, les Vieux-Tchèques, avec Rieger, favorables à l’alliance avec la noblesse constitutionnelle, et les Jeunes-Tchèques, avec les frères Éduard (1827-1907) et Julius (1831-1896) Grégr, plus représentatifs de la petite et de la moyenne bourgeoisie tchèque.

Les Tchèques, confiants dans la doctrine du droit d’État de la Bohême, espèrent une réorganisation de l’Autriche sur des bases fédérales, selon les projets d’Anton von Schmerling (1805-1893). En 1867, le compromis avec la Hongrie élimine les Tchèques et les ramène à un rôle de second plan dans la Cisleithanie. C’est toute la doctrine de l’austroslavisme qui se trouve condamnée. Aussi, en signe de protestation solennelle, Palacký, Rieger et les Jeunes-Tchèques se rendent en mai 1867 à Moscou, mais cette manifestation reste sans résultats pratiques. D’énormes rassemblements populaires autour des hauts lieux du hussitisme et de l’histoire de la Bohême marquent en 1868 la volonté de résistance du peuple tchèque pour défendre le droit d’État. Les Vieux-Tchèques font décider l’adoption d’une politique de passivité : les députés tchèques cessent de paraître, de 1868 à 1879, à la diète et au Parlement de Vienne. En 1870-71 échouent les négociations engagées par le gouvernement de Karl Siegmund von Hohenwart (1824-1899) avec les Tchèques pour des « Articles fondamentaux » qui auraient fixé le sort des Slaves de Bohême. Le gouvernement de droite du comte Eduard Taaffe (1833-1895) entame après 1879 une politique de concessions à l’égard des Tchèques en échange de l’abandon de leur politique de passivité. En 1880, l’ordonnance Stremayr permet l’emploi de la langue tchèque dans les tribunaux, et, en 1882, l’université de Prague est divisée en deux parties, pour chacune des deux nationalités.

Mais les Tchèques ne peuvent espérer plus en raison de l’attitude des extrémistes allemands de Bohême. Lorsqu’en 1897 le gouvernement Badeni veut par une ordonnance généraliser l’emploi de la langue tchèque dans les tribunaux et dans les basses instances de l’Administration, de violentes émeutes éclatent dans les régions allemandes du nord de la Bohême ; des familles tchèques entières sont expulsées par les extrémistes allemands. En réponse, des manifestations antiallemandes sont organisées à Prague par le nationaliste extrémiste Václav Jaroslav Klofáč (1868-1942). Sous la pression allemande, Kasimir Badeni (1846-1909) doit démissionner en novembre 1897, et ses ordonnances sont annulées en 1899.


L’avant-guerre : 1898-1914

Dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale, l’équilibre se modifie de plus en plus en faveur de l’élément tchèque. La génération de l’avant-guerre veut, après la réussite de l’émancipation intellectuelle, réaliser l’émancipation économique, condition de tout renforcement des Tchèques sur le plan politique. Les Tchèques ne peuvent rivaliser avec la puissance des Allemands de Vienne. Mais ils font de Prague la grande place financière des Slaves de la monarchie. Ils renforcent leurs positions économiques dans l’industrie sucrière, la construction mécanique et l’électricité, sans parvenir à entamer véritablement le quasi-monopole allemand dans la sidérurgie et le charbon. Par la doctrine du néo-slavisme, qui trouve son expression officielle dans le congrès de Prague de 1908, ils réclament une intensification des relations économiques et culturelles avec tout le monde slave.

L’introduction du suffrage universel en 1907 renforce les Tchèques en Bohême, mais modifie l’équilibre des partis. Dans les campagnes, il favorise les cléricaux (comte Friedrich Schönborn [1841-1907]) et surtout les tout-puissants agrariens (Antonín Švehla [1873-1933]). Il affaiblit dans les villes les représentants de la petite bourgeoisie et de l’intelligentsia. Les Jeunes-Tchèques ne sont plus le premier parti tchèque, mais leur expérience parlementaire et le prestige de leur leader, Karel Kramář (1860-1937), leur conservent un grand rôle d’influence. Le parti réaliste n’a qu’un seul député, Tomáš Masaryk*. À gauche, deux partis obtiennent les suffrages populaires dans les villes : les socialistes nationaux de Klofač après 1897 et surtout les socialistes. Le parti unifié, né au congrès de Hainfeld en 1889, doit beaucoup au prolétariat de Bohême, tchèque ou allemand. Au début du xxe s., il est déchiré par la lutte des nationalités. La social-démocratie tchécoslovaque, avec František Soukup (1871-1940) et František Modráček (1871-1960), s’oppose aux centralistes, partisans de l’unité du parti sous une direction allemande. Malgré leur progrès dans de nombreux domaines, les Tchèques ne sont pas parvenus, à la veille de la guerre, à obtenir la suppression du monopole allemand dans l’administration d’État. Sur ce point, l’inégalité subsiste.

Avec la Première Guerre mondiale, on entre dans une nouvelle époque, la naissance de la Tchécoslovaquie*, avec laquelle le destin de la Bohême se confond après 1918.

B. M.

➙ Autriche / Baroque / Moravie / Prague / Révolution de 1848 / Tchécoslovaquie.

 V. Husa, Histoire tchécoslovaque (en tchèque, Prague, 1962) ; Vlastivěda (Prague, 1963-1969 ; 2 vol.). / V.-L. Tapié, Monarchie et peuples du Danube (Fayard, 1969).