Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernard (Claude) (suite)

Malgré les erreurs d’interprétation qu’il donna à ses découvertes sur le rôle du foie dans le métabolisme du sucre (il croyait que cet organe fabrique le sucre, alors qu’il ne fait que le stocker), on peut dire qu’il a ouvert la voie à la chimie physiologique et à l’endocrinologie. Quant à sa découverte du rôle du sympathique cervical, elle reste en tout point valable, et le « syndrome de Claude Bernard-Horner », observé en neurologie (énophtalmie, larmoiement, myosis), correspond bien à la suppression fonctionnelle des trois ganglions du sympathique cervical.

J.-C. L. P.


Les précurseurs de Claude Bernard

L’expression médecine expérimentale existait en fait avant Claude Bernard et Magendie. Elle semble remonter à François Thierry (1718-1792), qui l’utilise en 1755. Parmi les autres précurseurs, il faut citer Sylvain Denis (1789-1863), qui écrit, en 1830, un Discours préliminaire sur le sang humain considéré à l’état normal, et l’Allemand Friedrich Tiedemann (1781-1861), auteur d’un traité de Physiologie de l’homme, qui sera traduit en français à partir de 1830. Ces deux auteurs élaborent des règles d’expérimentation, mais ils ne poussent pas le raisonnement jusqu’au bout. Comme l’écrit Claude Bernard, « c’est la contre-épreuve qui prouve le déterminisme nécessaire des phénomènes ». Il semble bien que, même si des bases expérimentales ont été établies par quelques précurseurs, jamais le raisonnement complet correspondant au triptyque exposé par Claude Bernard n’a été parfaitement établi avant l’œuvre du savant français, qui a pu dire sans forfanterie qu’il était le créateur de la médecine expérimentale.
Deux autres savants méritent d’être cités pour l’influence qu’ils eurent sur Claude Bernard. C’est d’abord Lavoisier*, qui fit éclore tout un chapitre de la chimie et qui, lui aussi, introduisit l’hypothèse et l’expérimentation dans cette discipline. C’est ensuite, en médecine, Xavier Bichat (1771-1802), qui avait déjà substitué à l’autonomie des organes la notion de structure anatomique, c’est-à-dire de tissu. Mais Claude Bernard s’opposera à Bichat, défenseur du « vitalisme », théorie opposée à celle du déterminisme des phénomènes.


François Magendie,

physiologiste français (Bordeaux 1783 - Sannois 1855), est certainement le maître dont la rencontre fut l’une des clés de la carrière du physiologiste. La collaboration du maître et de l’élève, tant au Collège de France qu’au laboratoire de l’Hôtel-Dieu, ne fut pas sans heurts : Magendie se montrait sévère et exigeant, mais il était très ouvert à l’expérimentation et à la vivisection. Il eut la sagesse de reconnaître la valeur du travail effectué par son élève et, au cours des années, ne lui ménagea pas son soutien. Magendie avait d’ailleurs, dans certains de ses écrits, prévu la méthode expérimentale et l’explication physico-chimique des phénomènes physiologiques.


Les élèves de Claude Bernard


Paul Bert,

physiologiste et homme politique français (Auxerre 1833 - Hanoi 1886), se place au premier rang des élèves de Claude Bernard. Il enseigna la physiologie à la Faculté des sciences de Paris, à l’École des hautes études et fut élu à l’Académie des sciences en 1882. Il réalisa des greffes et des transplantations, et étudia la respiration ainsi que l’action des variations de pression des gaz respiratoires (O2, CO2). Ministre de l’Instruction publique dans le cabinet de Gambetta (14 nov. 1881 - 26 janv. 1882), il fut nommé en janvier 1886 gouverneur de l’Annam et du Tonkin.


Arsène d’Arsonval

collabora avec Claude Bernard dans ses dernières années et fut le précurseur de l’électrologie médicale. (V. électrothérapie.)

De nombreux autres élèves sont à citer : Jean Barral, chimiste et agronome (1819-1884) ; Albert Dastre, physiologiste français (1844-1917) ; Jean-Baptiste Dumas* ; Mathias Duval, médecin, anatomiste et histologiste (1844-1907) ; Henri Sainte-Claire Deville* ; Louis Ranvier (1835-1922).

 P. Foulquié, Claude Bernard (Éd. de l’École, 1954). / A. Cresson et M. Dhurout, Claude Bernard, sa vie, son œuvre, sa philosophie (P. U. F., 1960). / M. D. Grmek, Catalogue des manuscrits de Claude Bernard avec la bibliographie de ses travaux imprimés et des études sur son œuvre (Masson, 1967). / J. Schiller, Claude Bernard et les problèmes scientifiques de son temps (Éd. du Cèdre, 1967). / Fondation Singer-Polignac, Colloque organisé pour la célébration du centenaire de la publication de l’« Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » de Claude Bernard. T. I : Philosophie et méthodologie scientifiques de Claude Bernard ; t. II : les Concepts de Claude Bernard sur le milieu intérieur (Masson, 1967 ; 2 vol.).

Bernardin de Saint-Pierre (Henri)

Écrivain français (Le Havre 1737 - Éragny-sur-Oise 1814).


Fils d’un modeste directeur des Messageries du Havre, il reçoit une instruction intermittente chez les jésuites de Caen. Un voyage à la Martinique à l’âge de douze ans, la lecture de Robinson Crusoé, de longues contemplations au bord de la mer contribuent à faire de lui un enfant rêveur, exalté et passionné d’aventures. À vingt ans, il entre à l’École des ponts et chaussées et devient ingénieur en 1758. Situation éphémère : le jeune homme, assoiffé d’horizons nouveaux, va consacrer sa vie aux voyages et rêver de fonder une république idéale. Il parcourt la Hollande, passe en Russie, où il est protégé par Catherine II, va en Pologne, reste quinze mois à Varsovie, séjourne à Berlin, y dédaigne un brevet de capitaine du génie que lui offre le Grand Frédéric et se rend à Paris (1765). Là, il finit par obtenir le grade de capitaine-ingénieur du roi à l’île de France (Maurice). Il passe deux ans dans cette île (1768-1770), qui lui laissera des souvenirs inoubliables, mais qui lui attirera quelque désagrément (on lui reprochera d’avoir maltraité des Noirs).

De retour à Paris (1771), désabusé, il se résout à « vivre des fruits de son jardin », c’est-à-dire de sa plume. Il se lie avec J.-J. Rousseau, dont il partage l’amour de la nature et l’horreur de la civilisation, et fréquente le salon de Mlle de Lespinasse. En 1773, il publie son Voyage à l’île de France, dont les descriptions colorées et pleines de sensibilité contrastent avec la peinture aride et sèche des voyageurs de l’époque. Par la suite, il entreprend un gros ouvrage, les Études de la nature (1784), qui cherche, souvent à l’aide d’arguments puérils, à prouver l’existence de Dieu par les merveilles naturelles. L’œuvre est d’un grand artiste qui excelle à peindre des tableaux, à décrire les lignes, les mouvements et surtout les couleurs. Certains thèmes y annoncent le romantisme, tels le plaisir de la solitude, le goût de la tristesse et des sensations rares, le sentiment de la précarité de l’existence. L’idylle de Paul et Virginie (1787, quatrième volume des Études de la nature) est d’une intrigue un peu fade : deux adolescents grandissent ensemble dans l’île de France, unis par l’affection la plus pure. Leurs mères, plus perspicaces et qui ne se trompent pas sur la nature de leurs sentiments, décident de les marier quand ils auront atteint l’âge. Au désespoir de Paul, Virginie est obligée de partir pour la France afin d’y recevoir une éducation mondaine. À son retour, un soir de décembre, le navire sur lequel elle s’est embarquée fait naufrage : Virginie périt dans la catastrophe. Paul ne lui survivra pas. Le succès de ce court roman fut immédiat et prodigieux. Si certaines pages ont des grâces quelque peu désuètes et conventionnelles, l’œuvre reste une charmante pastorale exotique, ce qui est pour le siècle une grande nouveauté. L’auteur sait décrire les premiers émois d’un amour naissant, retracer la splendeur des tropiques, évoquer les mystères de la nature, et il parvient au pathétique quand il conte le naufrage du Saint-Géran, le navire qui ramène l’héroïne chez elle.