Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernard (Claude) (suite)

Portée de l’œuvre de Claude Bernard

• À un premier degré, elle a contribué au progrès de la physiologie et de la médecine, notamment dans les domaines de la neurologie, de la digestion et de la régulation endocrinienne. Claude Bernard insiste sur l’unicité des animaux et des végétaux, dont le métabolisme repose toujours sur trois procédés : la fermentation, la combustion et la putréfaction. Il crée la notion de « milieu intérieur » et insiste sur sa constance. Il introduit la notion de glande à « sécrétion interne » et s’attache surtout à la fonction glycogénique du foie, en déduisant de véritables « prophéties » sur le diabète.

• À un deuxième degré, elle a montré la valeur d’expériences dont beaucoup font appel à des produits chimiques, ce qui est aussi une voie nouvelle. L’intoxication par le curare permet d’étudier la conduction nerveuse. L’intoxication par l’oxyde de carbone met en évidence le rôle du sang comme transporteur d’oxygène grâce aux globules rouges. Le réactif de Barreswil permet à Claude Bernard l’étude du glucose dans le sang hépatique, et la coloration par l’iode du glycogène complète cette étude. Grâce à la formation de bleu de Prusse après injection de ferrocyanure et de protosulfate de fer, Claude Bernard peut démontrer l’acidité gastrique.

• À un troisième degré, enfin, ses études le conduisent à poser les principes d’une médecine expérimentale, dont il se veut le créateur et dont il attend beaucoup par la découverte du déterminisme des phénomènes, la physiologie et la pathologie n’étant que des variantes de mêmes phénomènes physico-chimiques. Sans vouloir amoindrir la valeur du chercheur, mais pour redonner une dimension humaine au savant, il faut signaler certaines erreurs de Claude Bernard, commises en dépit de l’excellente méthode expérimentale, sans doute par un trop grand asservissement à l’idée préconçue du déterminisme : ayant découvert la fonction glycogénique du foie, il considère que cet organe est le seul siège de fabrication du sucre, qu’il lance dans la circulation, et il se refuse à écouter les objections de physiologistes de son entourage qui lui assurent que la veine porte, avant son arrivée dans le foie, contient également du sucre. Cette obstination le conduit à des conclusions malheureuses : « Le foie fabrique le sucre avec les substances albuminoïdes et l’alimentation n’exerce pas d’influence sur la production du sucre dans le foie. » Depuis, on sait que le glucose a une origine digestive, qu’il n’est, en réalité, que stocké et transformé par le foie, et qu’il est réutilisé ensuite en fonction des besoins de l’organisme. De la même façon, Claude Bernard laisse dans l’ombre l’origine pancréatique de certains diabètes. Dans un tout autre domaine, il fait en 1857 une expérience dont il n’exploite pas la portée : il chauffe deux ballons contenant de la gélatine sucrée ; l’un d’eux reste ouvert à l’air libre, le second est fermé en le scellant à chaud ; quelques jours après, ce dernier reste inchangé, tandis que le ballon ouvert est couvert de moisissures. Cette expérience fondamentale ne suscite pas en lui d’hypothèse valable, sans doute en raison de son opposition a priori à l’existence des infiniments petits. C’est Pasteur qui, plus tard, saura en donner l’explication scientifique.

Que nous enseigne Claude Bernard dans ses principes de médecine expérimentale ?

Il nous faut d’abord partir d’une excellente observation du fait, en cherchant à nous assurer que le hasard n’entre pour rien dans ce que nous observons et que ce fait est effectivement reproductible sans modification si les conditions restent inchangées. Nous devons ensuite chercher à savoir comment ce fait se produit, et c’est là que l’expérimentateur intervient activement par l’émission d’une hypothèse, construction de l’esprit qui cherche à prévoir le mécanisme du fait que l’on vient d’observer. Dans un troisième temps, notre rôle est de vérifier cette hypothèse, en modifiant le cours normal des phénomènes, pour avoir à la fois la preuve et la contre-épreuve de ce que nous voulons démontrer : un expérimentateur doit toujours chercher à étayer son hypothèse, mais aussi à l’ébranler systématiquement. Ce n’est que si les phénomènes expérimentaux résistent aux manœuvres critiques que l’hypothèse pourra être retenue comme valable.

Ces trois volets sont nécessaires aux principes expérimentaux et les distinguent des méthodes qui existaient jusqu’alors : en effet, même si certains médecins ou physiologistes utilisaient l’expérience, ils restaient de simples observateurs, et n’accordaient pas à l’hypothèse et à sa vérification le rôle essentiel que leur assigne Claude Bernard.

L’œuvre de Claude Bernard

Elle est considérable et marquée principalement par la découverte de la fonction glycogénique du foie, ainsi que par celle du rôle du système sympathique dans la régulation thermique et la vaso-motricité.

Claude Bernard poursuit d’abord des études sur les fonctions digestives de l’estomac et du pancréas.

1843 Recherches anatomiques et physiologiques sur la corde du tympan (ce petit nerf joue un rôle dans le déclenchement de la salivation).
Du suc gastrique et de son rôle dans la nutrition (thèse médecine, Paris).

1846 Expériences sur la digestion stomacale et recherche sur les influences qui peuvent modifier les phénomènes de cette fonction.
Des différences que présentent les phénomènes de la digestion et de la nutrition chez les animaux herbivores.

1848 Sur les usages du suc pancréatique.

1849 Du suc pancréatique et de son rôle dans les phénomènes de la digestion.

Dès 1848, ses recherches l’orientent sur l’étude de la physiologie du sucre, ainsi qu’en témoigne sa publication De la présence de sucre dans le foie. Il est ainsi amené à sa découverte capitale du rôle du foie dans le métabolisme du sucre, auquel il consacre de nombreux travaux, tout en poursuivant l’analyse de la physiologie digestive.

1849 De l’origine du sucre dans l’économie animale.

1850 Sur une nouvelle fonction du foie chez l’homme et les animaux.

1853 Recherches sur une nouvelle fonction du foie considéré comme organe producteur de matière sucrée chez l’homme et les animaux (thèse sciences naturelles).

1856 Mémoire sur le pancréas et le rôle du suc pancréatique dans les phénomènes digestifs, particulièrement dans la digestion des matières grasses neutres.

Appliquant ses méthodes à l’étude du système nerveux, il montre le rôle capital que joue la chaîne sympathique du cou dans le contrôle de la vasomotricité (dilatation des vaisseaux) et, par celle-ci, dans la régulation de la chaleur locale des tissus, donc dans la thermorégulation.

1851 Influence du grand sympathique sur la sensibilité et sur la calorification.

1852 De l’influence du système nerveux grand sympathique sur la chaleur animale.

1854 Influence que la portion cervicale du nerf grand sympathique exerce sur la température des parties auxquelles ses filets se distribuent en accompagnant les vaisseaux artériels.

Ses recherches sont facilitées par l’emploi du curare (v. anesthesie), de découverte récente.

1850 Recherches sur le curare.

1856 Analyse physiologique des propriétés des systèmes musculaires et nerveux au moyen du curare.