Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Z

Zuiderzee (le) (suite)

Les nouvelles utilisations des polders

Depuis une dizaine d’années, l’idée d’une utilisation purement agricole des polders a été abandonnée ; il est apparu absurde en effet de maintenir un semi-désert humain au cœur du territoire néerlandais surpeuplé, alors que les villes des polders ne pouvaient se développer par leur seule fonction de centres de services en milieu rural, et que le manque d’espace pour la résidence, les loisirs et l’industrie se faisait durement sentir dans les provinces limitrophes d’Utrecht et de Hollande-Septentrionale. Ce changement d’optique a eu deux conséquences. Dans le polder du Nord-Est, le plus éloigné des régions vitales du pays, il n’a déterminé que des retouches à la situation existante par la création d’emplois industriels et tertiaires à Emmeloord. Dans les Flevoland et le futur Markerwaard, il a conduit au contraire à l’affectation d’espaces considérables à des utilisations non agricoles : forêts et plages le long des lacs de bordure, zone industrielle le long de l’Oostvaardersdiep (chenal d’Amsterdam à Lelystad, entre le Flevoland-Méridional et le Markerwaard), aéroport international dans le Markerwaard, villes nouvelles avec une extension de Lelystad beaucoup plus considérable qu’il n’était prévu (plus de 100 000 hab.), création d’un centre urbain face à Harderwijk et surtout fondation d’une ville de 125 000 à 250 000 habitants, Almere, dans le coin sud-ouest du Flevoland-Méridional. Des modifications peuvent encore être apportées à ces projets, mais il est certain que, pour les deux polders les plus récents, l’accueil du trop-plein de population et d’activités du Randstad Holland* l’emportera sur la fonction purement agricole.

Un des problèmes qui se posent au planificateur est l’aménagement de voies de communication suffisantes pour permettre à la fois un trafic de transit entre l’ouest et le nord des Pays-Bas et les relations quotidiennes entre le Randstad et les nouveaux centres urbains. En attendant une possible desserte ferroviaire, l’autoroute Amsterdam-Groningue (140 km au lieu de plus de 200 par les routes actuelles), via Almere, Lelystad et Emmeloord, constituera la pièce maîtresse de cette infrastructure ; il n’en existe pour l’instant qu’une ébauche avec le tronçon Lelystad-Emmeloord et, au sud, le pont de Muiderberg, qui permet, depuis 1969, des relations directes entre la Hollande et les polders en évitant le détour par Harderwijk, Elburg ou Kampen.

J.-C. B.

Zurbarán (Francisco de)

Peintre espagnol (Fuente de Cantos, Badajoz, 1598 - Madrid 1664).


Célèbre au seuil de la maturité, démodé et presque oublié à la fin de sa vie, étiqueté par les critiques du xviiie s. comme un « Caravage* espagnol » robuste et prosaïque, découvert — grâce à la Galerie espagnole de Louis-Philippe — par les romantiques français, mais durci et déformé en peintre antithétique de moines farouches et d’éblouissantes jeunes saintes, Zurbarán connaît aujourd’hui la vogue internationale. Mais cette ascension au premier rang des maîtres espagnols, presque au niveau de Vélasquez*, ne date guère que d’un demi-siècle : c’est depuis lors seulement que sa vie et son œuvre, jusque-là très mal connues, ont attiré des chercheurs nombreux. En 1964, la grande exposition du tricentenaire, à Madrid, permettait de dresser un premier bilan, et d’autres progrès ont été réalisés par la suite.


Ascension, zénith, éclipse

S’il appartient à l’école sévillane, Zurbarán n’est pas un Andalou. Né en Estrémadure d’un père basque — commerçant immigré dans le Sud —, il a vécu dans cette province archaïque et rustique beaucoup plus qu’on ne l’imaginait. Au cours d’un apprentissage de trois années (1613-1616) à Séville, chez un peintre oublié, Pedro Díaz de Villanueva, il se lie d’amitié avec son contemporain Vélasquez et montre dans l’Immaculée enfant qu’il signe en 1616 (Bilbao, collection Fernández Valdés) un sens vigoureux du relief. Mais il revient ensuite pour dix ans au pays natal. Marié en 1617, à Llerena, à une femme plus âgée que lui, père de trois enfants, veuf, puis remarié dès 1625, Zurbarán peint, pour les églises des alentours, des retables dont aucun ne nous est connu. On peut supposer dans ce milieu une régression « gothique » et archaïsante dont témoigneraient les trois grands tableaux provenant de la chartreuse de Séville et passés au Musée provincial (v. Chartreux), si, comme on le croit, c’est pour les peindre que Zurbarán aurait été appelé à Séville.

En tout cas, à partir de 1626, il y séjourne souvent et des commandes importantes attestent son succès croissant auprès des ordres religieux ; il s’agit de grandes compositions en frise, souvent sur deux registres, terrestre et céleste, ou figures isolées sur des fonds sombres, toutes d’un dessin énergique, peintes en nappes de couleurs durement tranchées, qui peuplent en quelques années les églises et les cloîtres des congrégations sévillanes : Dominicains dès 1626 (Histoires de saint Dominique, à San Pablo, Docteurs du musée de Séville, Christ en croix de Chicago) et jusqu’à 1631 (pour le collège Santo Tomas : Triomphe de saint Thomas d’Aquin, la plus ample composition de Zurbarán, musée de Séville) ; moines du « grand couvent » de la Merced de 1628 à 1634 (Histoire de saint Pierre Nolasque, dans divers musées, Saint Sérapion martyr de Hartford, Docteurs de la Merced à l’académie San Fernando de Madrid) ; Franciscains en 1629 (Vie de saint Bonaventure pour le collège San Buenaventura, cycle commencé par Francisco Herrera* et achevé par Zurbarán, partagé entre le Louvre et Dresde) ; Carmes du collège San Alberto (Saint Cyrille et Saint Pierre Thomas de Boston) ; Jésuites (la Vision de saint Alonso Rodriguez, 1630, Madrid, académie de San Fernando). En juin 1629, la municipalité invite le peintre à se fixer dans une ville qu’il honore : il s’y installe avec sa famille, pour plus d’un quart de siècle.

La décennie suivante marque le zénith de Zurbarán — célébrité, atelier florissant, foyer heureux — en même temps qu’une évolution sensible de son art. Après une violente poussée de ténébrisme et de tension, dont le Retable de saint Pierre à la cathédrale de Séville et les Apôtres du musée de Lisbonne (1633) marqueraient le point culminant, un séjour de six mois à la Cour (1634) élargit son horizon. Vélasquez le fait appeler pour collaborer à la décoration du nouveau palais du Buen Retiro : Zurbarán peint la Défense de Cadix et la série des Travaux d’Hercule (conservées au Prado), incursion malencontreuse dans un domaine qui lui reste étranger. Il y gagne le titre, purement honorifique, de « peintre du roi » ; il découvre surtout les Vénitiens et les Flamands des collections royales, ainsi que les œuvres récentes de Vélasquez : sa peinture s’éclaire et s’assouplit, le paysage y prend une place croissante. À partir de 1636, les peintures de la Merced descalza de Séville (notamment le Saint Laurent de l’Ermitage à Leningrad, qui baigne dans une lumière dorée) et surtout les deux ensembles majeurs de la chartreuse de Jerez (1638-39, grandes compositions de retables partagées entre Cadix, Grenoble, Poznán et New York, figures de chartreux conservées au musée de Cadix) et du monastère de Guadalupe en Estrémadure (1639-1647, Vie de saint Jérôme et Chronique de l’Ordre hiéronymite, heureusement restées en place) attestent l’aisance nouvelle et le majestueux équilibre de son art.