Vichy (gouvernement de) (suite)
Pour freiner la dénatalité, le gouvernement applique les mesures du Code de la famille, promulgué par Daladier en 1939 : la fête des Mères honore les familles nombreuses, le divorce est rendu plus difficile, la jeunesse reprise en main dans un sens conservateur ; si, judicieusement, le travail manuel et le sport (hébertisme) sont réhabilités, l’enseignement religieux entre à l’école (J. Chevalier) au mépris des lois laïques de 1881-82. Les écoles normales sont supprimées. À tous les échelons administratifs de l’université, l’élection est remplacée par la nomination. La propagande officielle tend à former une jeunesse obéissante et consciente de la nécessité de relever la patrie par la pratique de la loyauté et de l’effort.
Hors de l’université, les jeunes participent à des activités « saines et utiles » (Service civique rural, Secours d’hiver). Parmi les mouvements de jeunesse (Compagnons de France, Scouts), qui visent à former des hommes complets, des Français dévoués à leurs chefs et à leur pays, les « Chantiers de jeunesse » du général Paul de La Porte du Theil (1884-1976) tiennent une très grande place. Créés en 1940 pour regrouper les jeunes démobilisés et remplacer la conscription militaire en zone libre, les Chantiers consistent en camps ruraux et forestiers. Partout naissent des « écoles de chefs » comme celle d’Uriage (Isère), où le capitaine Pierre Dunoyer de Segonzac (1906-1968) cherche à recréer des cadres de l’armée en vue de la reprise de la guerre. Cela explique la disparition des Chantiers de jeunesse en 1942, sous la contrainte allemande, et l’envoi d’une partie de leurs effectifs au Service du travail obligatoire.
Le corporatisme est la doctrine économique de Vichy. Les paysans sont indistinctement regroupés dans la Corporation paysanne. Le retour à la terre est encouragé pour répondre tant aux exigences du ravitaillement qu’à l’idéologie terrienne du gouvernement (« la terre qui ne ment pas »). D’ailleurs, Hitler ne souhaitait-il pas une France agricole face à une Allemagne industrielle ?
L’industrie est contrôlée par l’intermédiaire des « comités d’organisation » (16 août 1940). Opposé à la fois au grand capitalisme apatride et au socialisme internationaliste, le maréchal Pétain promulgue la « Charte du travail » (4 oct. 1941), qui crée des syndicats mixtes patrons-ouvriers sous la tutelle de l’État. En fait, le gouvernement de Vichy protège davantage les intérêts des grandes entreprises que ceux des travailleurs. Par-delà la guerre, ceux-ci resteront attachés aux centrales syndicales dissoutes et participeront activement à la Résistance, d’autant que les prélèvements de main-d’œuvre par l’Allemagne à partir de 1942 rendront caduques les mesures sociales du gouvernement.
La fin
Le gouvernement de Vichy disparaît en août 1944 lorsque les Allemands contraignent Laval, puis Pétain à gagner Belfort, puis Sigmaringen. La question qui se pose alors est celle de la légitimité et par suite de la légalité de sa législation. Le gouvernement provisoire d’Alger, présidé par le général de Gaulle*, prend la place du gouvernement de Vichy avec le consentement d’un peuple qui depuis quatre ans attend sa libération. Par son obéissance passive à l’occupant, par sa politique répressive et réactionnaire, en dépit d’un sincère désir de redressement matériel et moral du pays, le gouvernement de Vichy porte en lui la cause de sa mort : il est né de la défaite ; il s’est discrédité peu à peu à l’égard de l’opinion. La victoire des Alliés ne peut que le balayer.
Pierre Laval
(Châteldon, Puy-de-Dôme, 1883 - Fresnes 1945.)
Avocat de modeste origine, d’abord voué aux causes syndicalistes, il est député socialiste et pacifiste de la Seine de 1914 à 1919. Maire d’Aubervilliers (à partir de 1923), il rentre à la Chambre en 1924, mais s’inscrit « sans étiquette ». Plusieurs fois ministre de 1925 à 1930, il dirige, du 27 janvier 1931 au 16 février 1932, trois cabinets qui prolongent l’expérience Tardieu. Ministre des Affaires étrangères en 1934-35, P. Laval s’efforce de poursuivre la politique franco-allemande de Briand, mais l’Allemagne n’est plus celle de Stresemann : elle s’est donnée à Hitler. P. Laval mise aussi sur une alliance avec Mussolini.
De nouveau président du Conseil (7 juin 1935 - 24 janv. 1936), il s’efforce de réduire la crise par une déflation généralisée (décrets-lois) ; il tombe à propos de sa politique étrangère, qui a facilité la constitution de l’axe Rome-Berlin. Sénateur (depuis 1927), il ne réapparaît sur l’avant-scène politique qu’en pleine débâcle militaire.
Arrivé à Bordeaux le 14 juin 1940, P. Laval combat le départ du gouvernement pour l’Afrique du Nord et devient ministre d’État du maréchal Pétain (23 juin) ; à Vichy, il agit activement pour obtenir des chambres le principe de la révision de la Constitution (9 juill.), puis, de l’Assemblée nationale, la délégation du maréchal d’en promulguer une nouvelle (10 juill.). Vice-président du Conseil (12 juill.), il se rallie à l’ordre nouveau et déclare même que la République a cessé d’exister (sept.). Il préconise la collaboration avec l’Allemagne, rencontre Hitler à Montoire (22 oct.), où il prépare l’entrevue du maréchal et du Führer (24 oct.). Cette attitude lui aliène les ministres, qui obtiennent de Pétain son arrestation (13 déc.).
Libéré quelques jours plus tard sur l’intervention d’Otto Abetz (1903-1958), ambassadeur du Reich à Paris, P. Laval demeure à l’écart, mais poursuit ses contacts avec les Allemands et est blessé lors d’un attentat commis pendant une revue de la Légion des volontaires français (27 août 1941). L’Allemagne exige son retour comme chef du gouvernement à la place de Darlan (18 avr. 1942). Laval accentue la collaboration, disant même souhaiter la victoire de l’Allemagne pour éviter le bolchevisme (il prétendra avoir voulu duper Hitler), et suggère l’envoi en Allemagne, comme travailleurs, de Français volontaires destinés à permettre un prétendu rapatriement des prisonniers de guerre (discours du 22 juin sur la « relève »).