Rabelais (François) (suite)
C’est donc à bon droit que la critique d’aujourd’hui s’interroge sur la portée du langage de Rabelais. Il ne suffit pas de dégager la pensée de l’auteur, encore moins de chercher dans son œuvre une exacte transposition du réel. Au milieu de la perplexité des jugements humains, la pensée rabelaisienne tente de se définir en s’opposant aux obstacles et aux nombreux « que sais-je ? » qui établissent une rupture entre le réel et le compréhensible.
L’influence de Rabelais est attestée à toutes les époques, et cela malgré la diversité des goûts. De son temps, sa célébrité est bien reconnue, et même les pamphlétaires protestants (d’Aubigné voit en maître François un « auteur excellent ») lui demandent quelques armes pour confondre leurs adversaires. Les « libertins » du siècle suivant ne manquent pas de l’apprécier, et il devient le modèle de plusieurs poètes burlesques (Saint-Amant, Sarasin ou Scarron). Molière et La Fontaine lui doivent beaucoup, et son œuvre a longtemps préoccupe Voltaire. La Révolution et le Romantisme vont faire de lui un prophète et un mage, et Victor Hugo le premier. Les Contes drolatiques de Balzac témoignent du même intérêt. Michelet dira du livre de Rabelais : « Le sphinx ou la chimère, un monstre à cent têtes, à cent langues, un chaos harmonique, une farce de portée infinie, une ivresse lucide à merveille, une folie profondément sage. » D’autres, comme Flaubert, aiment sa « phrase nerveuse substantielle, claire, au muscle saillant, à la peau bistrée ». Pourtant, si le nom de Rabelais demeure impérissable, c’est à titre d’auteur comique, d’un comique qui comporte autre chose que la farce et le ridicule, à titre de narrateur sans égal qui sait filer le récit, choisir le détail concret et expressif. Malgré les orages de l’époque, il incarne une saine gaieté, et son génie domine la Renaissance avec celui de Montaigne. Cinq livres et une continuelle réflexion sur la condition humaine ! C’est dans la mesure où les générations successives ont ajouté leurs expériences aux siennes qu’elles l’éclairent d’une lumière nouvelle et tout à la fois le parent de ce halo de mystère qui, comme l’écrivait Lucien Febvre, baigne les seuls grands.
J. B.
P. L. J. Villey, Marot et Rabelais (Champion, 1923). / J. Boulenger, Rabelais à travers les âges (le Divan, 1925). / J. Plattard, François Rabelais (Boivin, 1934) ; Rabelais, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1939). / L. Febvre, le Problème de l’incroyance au xvie siècle, la religion de Rabelais (A. Michel, coll. « Évolution de l’Humanité », 1942). / P. Jourda, le Gargantua de Rabelais (S. F. E. L. T., 1948). / V. L. Saulnier, le Dessein de Rabelais (S. E. E. S., 1957). / M. de Dieguez, Rabelais par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1960). / A. Glauser, Rabelais créateur (Nizet, 1961). / M. Bakhtine, l’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire ou Moyen Âge et sous la Renaissance (en russe, Moscou, 1965 ; trad. fr., Gallimard, 1970). / J. Paris, Rabelais au futur (Éd. du Seuil, 1970). / M. Butor et D. Hollier, Rabelais ou C’était pour rire (Larousse, 1972). / F. Rigolot, « les Langages de Rabelais » dans Études rabelaisiennes, t. X (Droz, 1972). / N. Aronson, les Idées politiques de Rabelais (Nizet, 1973). / J. Larmat, le Moyen Âge dans le Gargantua de Rabelais (Les Belles lettres, 1973).
Jalons biographiques
1483 ou 1494François Rabelais naît probablement vers cette ou 1434 date à La Devinière.
1511 ou 1520Moine chez les franciscains de Fontenay-le-Comte, en Poitou.
1524-1525Chez les bénédictins de Maillezais.
1525-1528Études dans plusieurs universités (Bourges, Orléans, Paris).
1530Études médicales à Montpellier.
1532Médecin de l’hôtel-Dieu, à Lyon, Publication de Pantagruel.
1534Premier voyage à Rome. Publication de Gargantua.
1535Deuxième voyage à Rome.
1536Chanoine au chapitre de Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris.
1537Rabelais achève ses études médicales à Montpellier.
1540Séjour en Piémont.
1543Condamnation de Pantagruel et de Gargantua.
1546Publication du Tiers Livre.
1547À Metz, comme conseiller de la ville. Troisième voyage à Rome.
1548Publication partielle du Quart Livre.
1551Il obtient les cures de Saint-Martin de Meudon et de Saint-Christophe-du-Jambet (Sarthe).
1552Publication du Quart Livre complet, dédié à Odet de Coligny.
1553Il meurt à Paris, le 9 avril.
1562Publication partielle du Cinquième Livre : l’Isle sonante.
1564Publication du Cinquième Livre complet.



