potlatch (suite)
Le potlatch constitue la forme juridique d’un type de production, qui reste à décrire et à analyser. Comment sont produites les richesses, quels rapports existent entre les producteurs au cours de la saison d’été, comment s’établit la concurrence dans la production avant de s’installer dans la consommation-destruction ? Ce sont là des questions que, jusqu’à présent du moins, l’ethnologie a laissées de côté.
Le potlatch est aussi un fait d’ordre politique, puisque c’est par lui que se conquiert le prestige. Il est la mise en scène au cours de laquelle se fait connaître et reconnaître la hiérarchie sociale. Un chant kwakiutl définit le potlatch comme une « guerre de propriété », une « guerre de richesses », opposée à la « guerre du sang ». Ce n’est donc pas par une lutte militaire, mais bien par une lutte économique qu’on gagne et qu’on perd les charges politiques, les sièges dans les confréries, les chances de mariage. On gagne ou on perd au potlatch comme au jeu ou à la guerre.
Mais le potlatch a aussi une importante fonction idéologique, qui assure du reste son utilisation et fonde son code d’honneur. Le contrat qui le règle et la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre reposent sur la croyance en la vertu magique des objets échanges. En effet, les biens échangés dans le potlatch sont, nous l’avons vu, différents des biens de consommation courants ; ils le sont par leur caractère sacré et leur origine spirituelle.
Le cuivre, par exemple, est l’objet d’un culte propre ; associé par sa couleur au Soleil et au saumon, lui-même animal sacré, il a pour les tribus du Nord-américain une personnalité divine. Le cuivre en général — et chaque cuivre en particulier — a sa personnalité, son nom, sa valeur économique et magique, qui résistent aux échanges et même aux destructions. De plus, les cuivres ont une vertu attractive : ils attirent les richesses ; ils réclament d’être donnés et d’être rendus. Les choses sacrées ne supportent pas d’être stockées et possédées ; il est dangereux de s’approprier un objet sacré, car s’attachent à lui l’âme du donateur et l’esprit de l’ancêtre.
Posséder un objet, c’est posséder quelque chose de celui qui la cédé. C’est pourquoi la propriété est à la fois sacrée, scellée par un lien spirituel, et à lu fois dangereuse ; pour les peuples qui pratiquent le potlatch, la circulation des richesses assure la permanence de la propriété en même temps qu’elle évite le risque de la possession, car donner, c’est rendre.
N. D.