Salvador Dalí
Peintre, graveur et écrivain espagnol (Figueras 1904-Figueras 1989).
Génie protéiforme, cultivant l'extravagance et l'autocélébration, Salvador Dalí pratiqua une forme d'art de l'inconscient dont il eut la révélation en lisant Freud. Il marqua de sa personnalité le surréalisme en peinture comme au cinéma.
L'entrée dans le surréalisme
Élève rêveur et indiscipliné jusqu'à son entrée à l'École des beaux-arts de Madrid, Salvador Dalí se place à la croisée de plusieurs influences, qui mêlent les réalismes hollandais et espagnol, l'impressionnisme et le cubisme (Jeune Fille assise, vue de dos, 1925, Centre d'art Reina Sofía, Madrid). C'est à Madrid qu'il fait la connaissance de Luis Buñuel, tandis que De Chirico et la « peinture métaphysique », Magritte ou encore Miró décident de sa vocation, qui s'affirme dès 1927 par un style que caractérise une exécution minutieuse mise au service de représentations oniriques. Dans ses compositions apparaît aussi l'obsession des paysages marins qui ne le quittera plus (Femme devant les rochers, 1926, collection privée, Milan). C'est après un premier voyage à Paris qu'il « s'insinue » dans le surréalisme, selon le mot d'André Breton. Sa contribution au mouvement est moins celle du peintre que de l'auteur, avec Buñuel, d'Un chien andalou (1928). À peine moins déterminante est sa part dans la réalisation de l'Âge d'or (1930), qui restera longtemps interdit. La carrière cinématographique de Dalí s'achève en 1932 avec la publication d'un scénario, Babaouo, qui « se passe en 1934 dans n'importe quel pays d'Europe pendant la guerre civile ».
Dalí, qui a pour compagne et inspiratrice Gala Éluard, est le pourvoyeur d'un feu d'artifice ininterrompu. Il a « une idée par minute », de préférence incongrue ou obscène, mettant au service du mouvement surréaliste une publicité ingénieuse et tapageuse. Ses œuvres, telle l'Énigme du désir – Ma mère, ma mère, ma mère (1929, collection privée, Zurich), illustrent sa théorie de la « paranoïa critique » qu'il expose dans son livre la Femme visible (1930). Il s'agit d'une « libre interprétation des associations délirantes ». De là ces peintures où, sous l'apparence d'un trompe-l'œil, les objets s'allongent, se dissolvent, se métamorphosent ; de là ces loufoqueries à propos de tableaux célèbres, comme l'Angélus de Millet, où le chapeau de l'homme dissimule, selon Dalí, un sexe en érection. Malgré le reniement de Breton, en 1934, l'art hallucinatoire de Dalí relève bien de l'esthétique surréaliste (Persistance de la mémoire, ou les Montres molles, 1931, MoMA, New York ; Prémonition de la guerre civile, 1936, Philadelphie), résumée par cet aphorisme : « La culture de l'esprit s'identifiera à la culture du désir. »
Dalí aime Dalí
En 1936, Dalí affecte un retour spectaculaire au « classicisme » italien, qui consacre sa rupture définitive avec le surréalisme historique. De 1940 à 1948, il vit aux États-Unis. De retour en Espagne, il s'installe à Port Lligat, en Catalogne. Il épousera religieusement Gala en 1958. Puisant à toutes les sources, réalisme et baroque (Christ de Saint-Jean-de-la-Croix, 1951, Glasgow), expressionnisme abstrait et pop art, il a aussi recours, à partir des années 1970, à des procédés capables de donner l'illusion du relief comme l'holographie et la stéréoscopie.
À force d'inventions et de rodomontades, d'avances aux gens du monde, de compromissions avec les puissances politiques et religieuses, Dalí entretient son mythe personnel et continue de passer, aux yeux du grand public, pour l'authentique représentant du surréalisme. Vie et œuvre se confondent alors dans une imposture générale qui pourrait bien être aussi une œuvre d'art digne de forcer, sinon l'approbation, du moins une attention moins sceptique. Un musée Dalí, dont le peintre sera lui-même le promoteur, sera créé en 1974 à Figueras, où verra aussi le jour en 1984 la fondation Gala-Salvador-Dalí. Cinq ans plus tard, c'est elle qui recevra le corps de l'artiste.
Avida Dollars
Le sobriquet, en forme d'anagramme, a pour auteur André Breton. Il s'applique malicieusement à Salvador Dalí, à l'époque de son séjour aux États-Unis, où il n'eut pas d'autre choix que se proclamer le peintre le plus riche du monde ! Dalí, au demeurant, toujours situé aux frontières du dandysme et de la clownerie, ne laissa à personne d'autre qu'à lui-même le soin de faire valoir sa personne. Il endossa la défroque de l'histrion génial, à la moustache hilarante, et entreprit son propre panégyrique sur un ton glorieux et outrancier qui atteignait précisément à la dérision théâtrale… celle-là même dont il usa dans une célèbre publicité où il déclarait être « fou » d'un certain chocolat…