Guillaume Ier le Conquérant ou Guillaume Ier le Bâtard
(Falaise ? vers 1028-Rouen 1087), duc de Normandie [Guillaume II] (1035-1087) et roi d'Angleterre (1066-1087).
1. Un héritier sous tutelle
Fils illégitime du duc Robert Ier le Diable, Guillaume est reconnu comme héritier légitime du duché de Normandie par les barons normands, réunis en 1034, à la demande de son père en partance pour un pèlerinage à Jérusalem. Encore enfant, il est placé sous la tutelle de Gilbert de Brionne (un petit-fils de Richard Ier de Normandie). Puis, lorsque celui-ci est assassiné au cours de la révolte féodale qui suit l'annonce de la mort du duc (qui survient en Anatolie, en juillet 1035), Guillaume passe sous la tutelle de l'instigateur de cet assassinat : Raoul de Gacé.
2. Guillaume, duc de Normandie
Après douze ans d'anarchie sanglante en basse Normandie – période au cours de laquelle Raoul de Gacé renonce à défendre le Vexin français et le château de Tillières-sur-Avre, assiégé en 1036 par le roi de France Henri Ier –, le jeune duc de Normandie prend en main le gouvernement de sa principauté.
Presque aussitôt, Guillaume doit faire face à une révolte de ses vassaux de basse Normandie, animée par son rival Gui de Brionne (fils de Renaud Ier de Bourgogne et petit-fils, par sa mère, du duc de Normandie Richard II). Craignant que le succès de Gui de Brionne n'entraîne la constitution d'une principauté normando-bourguignonne fatale au domaine royal, le roi Henri Ier accorde son aide féodale à son vassal Guillaume le Bâtard.
Ainsi vainqueur de la bataille du Val-ès-Dunes en 1047, le duc de Normandie confisque une partie des biens des rebelles, tels ceux des vicomtes du Bessin et du Cotentin ; dans le même temps, il contraint un grand nombre d'entre eux à recevoir des garnisons ducales dans leurs châteaux ; à tous, enfin, il impose le respect de la paix de Dieu, qu'il proclame à Caen en 1047 avec l'aide d'un clergé dont il choisit avec soin les dignitaires (ne nommant, en particulier à la tête des monastères qu'il fonde, que des adeptes de la réforme clunisienne).
Ayant acquis l'appui de la papauté par cette politique, Guillaume affirme sa position parmi les grands féodaux en épousant vers 1053 Mathilde, fille du comte de Flandre Baudouin V. Ce mariage est l'un des éléments d’une politique dynamique, qui vise à étendre son autorité au-delà des frontières de la Normandie, dont il transfère la capitale de Falaise à Caen (où il fait ériger le château ducal).
Guillaume dispose d'une importante armée grâce à l'institution de fiefs de haubert en faveur de chevaliers contraints à un service d'ost très strict (quarante jours). Il resserre en outre son alliance avec le roi Henri Ier pour écarter le puissant et dangereux comte d'Anjou, Geoffroi Martel, auquel il reprend Alençon avant d'occuper Domfront en 1049.
En 1058, il fait reconnaître sa suzeraineté par le comte du Maine Herbert II, avant d'en annexer la principauté en 1062 et de s'y maintenir par la force en 1073 et en 1084. Mais, entre-temps, il est devenu roi d'Angleterre.
3. Guillaume, roi d’Angleterre
3.1. La conquête de l'Angleterre
Cousin germain du roi anglo-saxon Édouard le Confesseur, qui lui a probablement offert sa succession en 1065 par l'intermédiaire de l'archevêque de Canterbury, Guillaume est, en outre, parvenu à se faire prêter serment de fidélité quelques semaines plus tard par son compétiteur Harold, chef du parti anglo-saxon.
Cependant, le 6 janvier 1066, lendemain même de la mort d'Édouard le Confesseur, Harold est proclamé roi d'Angleterre sous le nom d'Harold II. Guillaume exploite aussitôt ce qu’il juge être un parjure de l'earl saxon (thème central des Gesta Guillelmi ducis de Guillaume de Poitiers et de la tapisserie de Bayeux) et obtient l'appui du pape Alexandre II.
Son expédition, partie de Saint-Valery-sur-Somme, débarque à Pevensey (Sussex) le 29 septembre 1066. Le 14 octobre, à la bataille d’Hastings, il vainc les troupes d’Harold II, lequel trouve la mort au combat. Guillaume, « le Conquérant », est finalement couronné roi d’Angleterre à l’abbaye de Westminster, le 25 décembre de la même année.
Afin d’asseoir son pouvoir, Guillaume Ier doit briser en décembre 1067 la révolte du Kent, puis en 1068 celles des partisans du défunt Harold à Exeter et à York, et en 1069 celle des Anglais du Nord, qui reconnaissent comme roi Edgar Atheling (ou Aetheling). Le nouveau roi d'Angleterre pratique dans les comtés du Humber et de la Tyne une politique de terre brûlée qui incite à la soumission le Yorkshire en 1069, le Shropshire en 1070 et qui conduit le roi d'Écosse Malcolm III, attaqué sur son territoire, à renoncer à soutenir Edgar Atheling en 1072.
3.2. Le constructeur de l'État normand
Le régime seigneurial français
Imposant à ses troupes une sévère discipline, ne concédant à ses barons normands que les terres confisquées aux partisans d'Harold, Guillaume le Conquérant introduit en Angleterre le régime seigneurial français.
Ce régime repose sur le principe, déjà appliqué avec succès en Normandie, de la dispersion de manoirs à travers toute l'Angleterre, dont Guillaume confie en fief l'exploitation à 1 500 seigneurs (anglais et normands), qui en perçoivent les redevances et y rendent la justice. Ainsi, Guillaume peut-il tout à la fois rétribuer les fidélités anciennes ou nouvelles, et bénéficier des avantages du système féodal (services d'ost, d'aide, de conseil, etc.), tout en empêchant la constitution de puissantes principautés territoriales. Par ce système, Guillaume devient, avec 1 422 manoirs, le premier propriétaire foncier d'Angleterre.
L'un des souverains les plus riches de l'Occident
Consignés en 1086 dans le Domesday Book, ou Livre du Jugement dernier, les résultats de cette réorganisation du territoire traduisent le souci du souverain de traiter les tenanciers sur un pied d’égalité, qu'ils soient anglais ou normands, et qu'il assujettit aux mêmes redevances (tel le danegeld, d'un rapport annuel de 20 000 livres). Guillaume le Conquérant, qui dispose, grâce à son domaine, de 50 000 à 60 000 livres de revenus annuels, apparaît comme l'un des souverains les plus riches de l'Occident.
Cela lui permet d'infléchir dans le sens d'un renforcement du pouvoir royal les institutions anglaises, tout en respectant les traditions locales : maintien de la milice des centaines et des comtés auprès de l'armée féodale normande ; assimilation de la Curia regis à l'ancien Witenangemot anglo-saxon ; attribution, à partir de 1075, de l'administration locale dans chaque comté (shire) à des sheriffs analogues aux vicomtes du duché. Mais, bien que choisissant ceux-ci exclusivement parmi des Normands, Guillaume ne parvient pas à briser leur tendance à l'hérédité des charges.
Une habile politique religieuse
Guillaume dispose de l'appui de l'Église romaine qui le félicite de chasser les prélats indignes (l'archevêque Mauger à Rouen, l'archevêque Stigand à Canterbury) au profit de moines réformateurs, qu'il affranchit de la tutelle de l'aristocratie locale : Maurille, abbé de la Trinité de Fécamp ; Lanfranc, abbé italien du Bec-Hellouin, en Normandie. Reconnaissante de cette politique anti-nicolaïte (contre le nicolaïsme) et anti-simoniaque (opposé à la simonie), précisée par de nombreux conciles (Winchester, 1072 ; Londres, 1075 ; Gloucester, 1080 et 1085), la papauté renonce à disputer au roi d'Angleterre l'investiture laïque des évêques.
En fait, ne tolérant d'autre autorité que la sienne en Angleterre comme en Normandie, Guillaume jette les bases d'une puissante monarchie mi-continentale, mi-insulaire, que tout oppose à la monarchie capétienne, et contre laquelle elle engage dès 1074 un conflit multiséculaire.
Une fin de règne difficile
En 1078, le roi de France Philippe Ier accorde son soutien à Robert Courteheuse (fils révolté de Guillaume), tandis qu'Odon (évêque de Bayeux et frère utérin de Guillaume), qui intrigue lui aussi, est arrêté et enfermé dans la tour du château de Rouen de 1082 à 1087. C'est au cours d’un raid de représailles contre la ville française de Mantes que Guillaume le Conquérant meurt, le jeudi 9 septembre 1087.
Pour en savoir plus, voir l'article Angleterre.