Günter Grass
Écrivain allemand (Dantzig 1927-Lübeck 2015).
Appartenant à la génération sur laquelle pèse le poids du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, Günter Grass, qui se décrit lui-même comme un Spätaufklärer (« un homme des Lumières attardé »), est un intellectuel engagé, attentif à discerner les « fautes et les dettes » allemandes, mais aussi « l'aveuglement, l'ignorance et la négligence » des nations. L'Académie suédoise, en lui décernant le prix Nobel 1999 de littérature, a déclaré entendre ainsi lui rendre hommage « pour avoir dépeint le visage oublié de l'histoire dans des fables d'une gaieté noire ».
Le peintre satirique du monde contemporain
Né à Dantzig de parents germano-polonais, Grass, après avoir été mobilisé à l'âge de 17 ans (1944), fut fait aussitôt prisonnier par les Américains ; libéré deux ans plus tard, il survécut d'abord comme ouvrier agricole puis comme mineur, devint étudiant en arts plastiques à Düsseldorf, et tenta de gagner sa vie comme sculpteur. Entré au Groupe 47 (1955), il débuta en littérature avec des poèmes et des pièces de théâtre. C'est son premier roman, le Tambour (1959 ; porté à l'écran par Volker Schlöndorff en 1979 [voir le Tambour]), qui le révéla au grand public ; cette œuvre allégorique, picaresque, nourrie des souvenirs de sa ville natale, allait constituer le premier volet d'une trilogie poursuivie avec le Chat et la Souris (1961, porté à l'écran par Claude Lelouch en 1975 [voir le Chat et la Souris]), et les Années de chien (1963).
Tout en s'engageant activement dans l'action politique en faveur de la social-démocratie et de Willy Brandt, il observe en clinicien et en visionnaire l'homme d'hier et d'aujourd'hui. Cynique et provocante, son œuvre, écrite dans une langue exubérante, truffée de jeux de mots, de grossièretés lyriques et de métaphores, attaque avec efficacité les incohérences et les mensonges du monde moderne : Une rencontre en Westphalie (1979), invite les intellectuels allemands à redécouvrir leur identité dans le foisonnement culturel de l'époque baroque. Il poursuit avec des romans qui témoignent de son engagement dans les mouvements pacifistes et écologistes, les Enfants par la tête (1980), où il met en scène un couple d'enseignants contestataires obnubilés par la famine du tiers monde, la Ratte (1986), description de la fin de l'humanité par la destruction de l'environnement et la guerre nucléaire.
Son œuvre abondante comprend également des recueils de poèmes, des pièces de théâtre (Les plébéiens répètent l'insurrection, 1954) et des essais littéraires et politiques (Anesthésie locale, 1969 ; Toute une histoire, 1995). Dans Mein Jahrhundert (Mon siècle, 1999), ce grand questionneur de l'histoire allemande et européenne, en fouillant la succession des événements du siècle écoulé et de son histoire personnelle, met au jour l'enchevêtrement des racines du bien et du mal. Im Krebsgang (En crabe, 2002) aborde, à travers le récit du naufrage du Wilhelm Gustloff, un paquebot transportant plus de 10 000 passagers torpillé par un sous-marin soviétique le 30 janvier 1945, le thème des victimes allemandes de la Seconde Guerre mondiale.
En 2006, en avouant dans Pelures d’oignons avoir été enrôlé dans une unité SS à la fin de la guerre, Grass suscite la polémique dans l’Europe intellectuelle : nombre d’écrivains et d’hommes politiques concluent à l’imposture, le fait d’avoir servi dans la jeunesse hitlérienne discréditant à leurs yeux son parcours d’auteur engagé. Opinion que ne partage pas la Fondation Nobel, qui soutient Grass et qui voit dans ces révélations tardives une preuve de courage. Deux ans plus tard, l’écrivain publie la Boîte, une autobiographie accompagnée de quelques-unes de ses photographies de famille.