Claude Lévi-Strauss

Anthropologue français (Bruxelles 1908-Paris 2009).

L'homme et son œuvre

Après ses études secondaires faites à Paris, Claude Lévi-Strauss passe une licence en droit, puis prépare à la Sorbonne l'agrégation de philosophie, qu’il réussit en 1931. Nommé membre d’une mission universitaire au Brésil, il y séjourne de 1934 à 1939, enseignant à l’université de São Paulo (1935-1938), tout en parcourant le Mato Grosso et l’Amazonie où il se découvre une vocation d’ethnologue : il réalise ainsi plusieurs enquêtes sur le terrain parmi les Amérindiens (la Vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara, 1948).

Revenu en France pour poursuivre son enseignement, Lévi-Strauss est mobilisé dès 1939. Au lendemain de l’armistice, il est révoqué par le gouvernement de Vichy. Il part alors pour les États-Unis, où il restera jusqu’en 1948. Professeur à la New School for Social Research de New York, il prend part également à la fondation de l’École libre des hautes études de New York et, en 1945, il devient conseiller culturel à l’ambassade de France. Docteur ès lettres en 1948, il est nommé successivement sous-directeur du musée de l’Homme, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (chaire des religions comparées des peuples sans écriture), puis, en 1959, est élu professeur au Collège de France (chaire d'anthropologie sociale), où il professe jusqu’à sa retraite en 1982. En 1989, ses collections d’objets sont exposées au musée de l'Homme et, l’année de son centenaire en 2008, son nom est donné au théâtre du musée du quai Branly et un prix national, dont la gestion est confiée à l'Académie des sciences morales et politiques, est créé. Sa mort est survenue dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre 2009, alors qu’il allait avoir 101 ans.

Élu à l’Académie française en 1973, au fauteuil d’Henry de Montherlant, Lévi-Strauss a également été élevé aux grades de grand-croix de la Légion d'honneur, de commandeur de l’ordre national du Mérite, de commandeur des Palmes académiques et de commandeur des Arts et des Lettres. Commandeur de l’ordre de la Couronne de Belgique et grand-croix de l’ordre du Mérite scientifique du Brésil, membre de nombreuses académies et docteur honoris causa de quinze universités dans le monde, il était devenu l’intellectuel français le plus prestigieux à l’étranger.

La découverte du concept de structure

Lévi-Strauss pose les bases de sa méthode dès 1945 dans un article intitulé « l'Analyse structurale en linguistique et en anthropologie ». Il reprendra cet article dans l’une de ses œuvres maîtresses, Anthropologie structurale (I, 1958 ; II, 1973). La liste de ses autres ouvrages est considérable. Parmi les principaux : les Structures élémentaires de la parenté (1949), Tristes Tropiques (1955), le Totémisme aujourd'hui (1962), la Pensée sauvage (1962), Mythologiques (I – le Cru et le Cuit, 1964 ; II – Du miel aux cendres, 1966 ; III – l’Origine des manières de table, 1968 ; IV – l'Homme nu, 1971), la Voie des masques (1975). Il a également rassemblé de nombreux articles dans ses livres le Regard éloigné (1983), Paroles données (1984) et la Potière jalouse (1985). Saudades do Brasil (1994) et Saudades de São Paulo sont ses derniers écrits.

Lévi-Strauss a toujours exprimé sa dette intellectuelle envers des maîtres comme le sociologue Émile Durkheim et l'anthropologue Marcel Mauss (« Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss » dans Sociologie et Anthropologie, 1950). Mais il reconnaît que c’est au linguiste américain Roman Jakobson, dont il fait la rencontre à New York en 1941, qu’il doit la notion de structure. C’est en effet Jakobson, en jetant les bases de la linguistique structurale, qui lui donne l’idée d'appliquer le concept de structure aux sociétés humaines. Lévi-Strauss précise l'emploi qu'il va en faire dans son fameux article de 1945, qui sera à l’origine du statut que le structuralisme acquerra dans les sciences humaines. Dans un autre article d'abord paru en anglais en 1952, puis traduit en français en 1958 sous le titre « la Notion de structure en ethnologie » (également repris dans Anthropologie structurale I), Lévi-Strauss précise : « La notion de structure sociale ne se rapporte pas à la réalité empirique, mais aux modèles construits d'après celle-ci. Ainsi apparaît la différence entre deux notions si voisines qu'on les a souvent confondues […], celle de structure sociale et celle de relations sociales. Les relations sociales sont la matière première employée pour la construction des modèles qui rendent manifeste la structure sociale elle-même […]. Les recherches de structure […] constituent une méthode susceptible d'être appliquée à divers problèmes ethnologiques. » L'analyse structurale permet de mieux comprendre les relations sociales, en les rapprochant des niveaux où elles ne sont généralement pas perçues, les mythes, les rites et les représentations religieuses (« Sens et usage de la notion de modèle », 1960, repris dans Anthropologie structurale I).

Les domaines d'étude

L'essentiel de l'œuvre de Lévi-Strauss tourne autour de deux domaines entre lesquels on a essayé d'établir un pont : la parenté et le mythe. Mais d'autres problèmes de nature anthropologique l'ont préoccupé : le totémisme, le racisme, l'art dit « primitif » sont sans doute les plus marquants.

Le totémisme faisait l'objet d'une approche dans les années 1930 que Lévi-Strauss a vivement critiquée. Le mot « totem », en langue algonquienne, signifie « il est mon parent » ; il était appliqué par les Algonquins par exemple à un animal dont ils disaient descendre. Cette ascendance pouvait, selon les témoignages recueillis par les ethnologues sur le terrain, se situer soit au niveau individuel, soit au niveau du groupe ou à celui de la croyance religieuse. L'anthropologue A.P. Elkin (1891-1979), en proposant ces distinctions, n'arrivait pas à établir un lien entre elles pour les unifier et se contentait d'une énumération. Lévi-Strauss a repris en la généralisant la notion de totem et en a fait un instrument classificatoire. Il affirme que, si le totémisme est bien la mise en relation de deux domaines, l'un naturel, l'autre social ou culturel, il existait quatre possibilités logiques : soit associer une catégorie naturelle à un groupe humain (espèce animale ou végétale + un groupe), soit associer une catégorie naturelle à une personne (espèce animale ou végétale + une personne), soit associer un être naturel (animal ou plante) à une personne, soit associer un être naturel à un groupe humain (individu + groupe). Les quatre éventualités se rencontrent, mais seules les deux premières sont habituellement qualifiées de « totémisme ».

Mais Lévi-Strauss s'est principalement intéressé aux domaines majeurs pour l'histoire de l'anthropologie que sont la parenté et les mythes. Il a retracé sa trajectoire intellectuelle dans Tristes Tropiques.

La notion de parenté

L'analyse fondatrice

La parenté définit deux sortes de liens entre les personnes : la consanguinité et l'alliance. Les modalités d'agencement de ces deux notions forment pour chaque société particulière des ensembles constitués et analysables, qu'on appelle les systèmes de parenté. Le mariage, pour tous les anthropologues qui étudient les règles régissant les rapports humains dans les sociétés (traditionnelles ou non), qualifie un rapport contractuel que passent des groupes sociaux entre eux, tout autant (sinon plus) qu'un rapport entre les individus concernés. Lévi-Strauss pose pour principe premier que les règles de mariage, qui définissent les unions recommandées (préférentielles) et les unions prohibées, sont autant de modalités des lois de l'échange. Elles sont corrélatives des règles de la prohibition de l'inceste en ce qu'elles « représentent toutes autant de façons d'assurer la circulation des femmes et des biens au sein du groupe social, c'est-à-dire de remplacer un système de relations consanguines d'origine biologique par un système sociologique d'alliance », qui garantit ainsi la permanence et la cohésion du groupe social. L'exogamie est ce qui permet l'échange de biens par les femmes entre les groupes ; elle est fondée par la prohibition de l'inceste, qui à son tour conditionne la possibilité même de l'échange. Ainsi, la structure élémentaire de parenté, en d'autres termes ce que Lévi-Strauss appelle l'« atome de parenté », unit nécessairement quatre termes : père, mère, fils et oncle maternel. Il écrit :« Dans la société humaine, un homme ne peut obtenir une femme que d'un autre homme qui la lui cède sous forme de fille ou de sœur. »

À elle seule, la famille élémentaire ne saurait constituer la parenté ; il lui faut établir une relation supplémentaire, la relation d'alliance. Lévi-Strauss distingue deux formes d'échange : l'échange restreint et l'échange généralisé. Dans les deux cas, les deux groupes mis en relation contractent, en vertu du principe de réciprocité, une série d'obligations mutuelles dont la durée n'est pas précisée. Ce sont les prestations et les contre-prestations de biens ou de valeurs de prestige. L'essentiel dans la prestation et la contre-prestation est leur caractère réciproque, que traduit l'échange. On peut donc en réalité distinguer trois modes d'échange :
– l'échange de biens, dans lequel les prestations et les contre-prestations peuvent s'effectuer simultanément – mais, comme ce système suppose des liens durables entre les deux groupes contractants, elles peuvent s'étaler dans le temps, et il se peut que l'équilibre entre les deux parties ne soit atteint qu'au bout d'un certain temps ;
–  l'échange de femmes, qui constitue la base de ce que Lévi-Strauss appelle l'« échange restreint » ;
–  l'échange de biens contre des femmes, qui constitue à ses yeux l'« échange généralisé ».

L'échange restreint

Lévi-Strauss montre, à la suite des travaux de James Frazer, d'Elkin et d'Alfred Reginald Radcliffe-Brown, que le type idéal est le mariage symétrique simultané des cousins croisés, c'est-à-dire le cas où un frère et une sœur épousent simultanément leurs cousins croisés qui seraient également frère et sœur. Le cas classique de ce type d'échange s'observe dans certaines tribus australiennes, notamment chez les Arenda, ou encore chez les Kariera. Dans un tel cas de figure, la société est divisée en deux moitiés (cela implique que cette société se caractérise par une division de type dualiste), qui peuvent à leur tour se subdiviser chacune en deux sous-groupes. Ou les deux moitiés sont exogames, et leurs sous-groupes le sont également ; ou elles sont endogames, et ce sont leurs sous-groupes qui sont exogames. Dans ce dernier cas, les sous-groupes sont reliés deux à deux et cette relation duelle inclut à la fois l'échange simultané des femmes et l'échange de dons et contre-dons (ou services et contre-services).

La thèse de Lévi-Strauss est de montrer que ce système, dit restreint, n'est qu'un cas particulier de l'échange généralisé, et qu'il apparaît toujours selon lui en liaison avec une organisation tripartite. Quand les Bororos lui décrivent leur système de parenté, ils montrent que leur société est de type bipartite ; mais en réalité la description du fonctionnement fait apparaître une troisième entité. Chez les Bororos, deux moitiés exogamiques (matrilinéaires, dans ce peuple) se subdivisent en quatre clans exogamiques, eux-mêmes recouvrant trois sous-fractions : supérieure, moyenne et inférieure. Or, un membre dans une fraction supérieure d'une moitié ne peut épouser dans l'autre moitié qu'un membre de la fraction supérieure : cela fait que le type dualiste de l'organisation n'est qu'apparent. Le mode de fonctionnement recouvre en réalité une organisation de type tripartite : supérieur, moyen et inférieur. Chaque groupe n'ayant aucun lien de parenté avec les deux autres, ce sont trois groupes endogames qui existent en fait dans l'échange.

L'échange généralisé

Il faut revenir sur les deux types de cousins croisés des Bororos. Cette structure repose sur trois classes d'individus : 1° le sujet pris en référence, avec son groupe apparenté ; 2° les cousins croisés dont seule l'ascendance par les femmes est prise en compte pour la transmission du nom, du statut, de l'appartenance à une unité sociale (clan, sous-groupe, etc.) – ce sont les cousins croisés matrilinéaires – ; 3° les cousins croisés dont l'ascendance prise en compte est celle des hommes – ce sont les cousins patrilinéaires. Lévi-Strauss, en reprenant les travaux de certains anthropologues comme Radcliffe-Brown, montre que les échanges préférentiels se situent entre plusieurs groupes, qui constituent ensemble autant d'étapes dans une relation circulaire fermée dans l'échange des femmes et des biens : A donne des femmes à B, qui en donne à X, qui en donne à A. Cette structure à trois n'est pas limitative ; un nombre croissant de groupes peut être intégré à cette relation. C'est pourquoi Lévi-Strauss l'appelle échange généralisé.

Les relations parentales annexes

Lévi-Strauss compare les relations des membres de l'atome de parenté : père/fils – oncle maternel/neveu – mari/femme – frère/sœur. Il montre que « les quatre termes sont unis entre eux par deux couples d'opposition corrélative ». Il affirme que « dans chaque génération, il y a toujours une relation positive et une relation négative ». Les relations sont celles qui se situent non seulement au niveau des personnes possibles à épouser, mais également au niveau des relations sociales ordinaires : la possibilité de transmettre ses biens, la possibilité de plaisanter ensemble, de paraître en public ensemble, etc. Ces relations font l'objet soit d'un interdit, soit d'une option privilégiée. Sont tabous par exemple le mariage frère/sœur, le mariage mère de la femme/mari de la femme (« on n'épouse pas sa belle-mère »). Sont préférentielles d'autres relations conjointement à celles qui sont taboues : lorsque la relation neveu/oncle maternel est positive, lorsque par exemple ils peuvent plaisanter ensemble en public, dans de nombreux cas observés, cette relation s'accompagne d'un droit privilégié pour l'appropriation de biens.

Mythes et mythologies

La critique fondatrice

Très tôt dans sa carrière, Lévi-Strauss s'est intéressé au mythe, qui est pour lui partie prenante du langage. Il estime que son fonctionnement relève du social et que sa structure s'analyse dans des termes qui sont coextensifs au langage. Dans un article paru en anglais en 1955, The Structural Study of Myth, et repris (sous le titre « la Structure des mythes ») dans Anthropologie structurale I (1958), il critique avec vigueur les interprétations naturalistes, psychologisantes ou psychanalytiques de ses prédécesseurs (Jung, notamment). Il va entreprendre dans les années qui suivent l'analyse des mythes amérindiens et aboutira à la rédaction des Mythologiques, où il suppose un noyau mythique commun à un groupe de mythes et propose des relations de type logique entre les éléments communs qui constituent ce noyau.

L'« anthropologie structurale »

Le temps mythique, celui de la narration des récits légendaires, présente deux sortes d'éléments antinomiques.1° La succession temporelle des événements mythiques, leur caractère apparemment imprévisible s'opposent à l'universalité du contenu, des référents du récit :« Tout peut arriver dans un mythe ; il semble que la succession des événements n'y soit subordonnée à aucune règle de logique ou de continuité […]. Pourtant ces mythes se reproduisent avec les mêmes caractères et souvent les mêmes détails dans diverses régions du monde. » 2° Si le temps des événements rapportés est bien celui du passé, l'ensemble renvoie à une autre direction qui est celle du diseur de mythe :« La valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que ces événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur. »

L'existence de ces deux antinomies a pour conséquence de démontrer que le mythe est consubstantiel au langage.« Il [le mythe] est simultanément dans le langage et au-delà », écrit Lévi-Strauss. Cela implique deux corollaires : 1° « Si les mythes ont un sens, cela ne peut tenir aux éléments isolés qui entrent dans leur composition, mais à la manière dont ils sont combinés » ; 2° les éléments constitutifs du mythe sont hiérarchisés comme le sont dans la phrase d'un langage naturel les phonèmes, les morphèmes, etc.

Cependant, le mythe ne se confond pas avec n'importe quelle forme de discours, cela pour deux raisons qui constituent en fait ses caractéristiques.

D'abord, c'est un récit qui peut être raconté par n'importe qui, n'importe où, allongé à volonté, dit en n'importe quelle langue.« Un mythe est perçu comme un mythe par tout lecteur dans le monde entier », ce qui permet à Lévi-Strauss dans un premier temps de résoudre un des plus importants problèmes du mythographe, celui de la version authentique. Il écrit en 1958 :« Nous proposons de définir chaque mythe par l'ensemble de toutes ses versions [….]. On n'hésitera pas à ranger Freud après Sophocle au nombre de nos sources du mythe d'Œdipe. »

Ensuite le mythe possède une autre caractéristique qui le distingue du fait langagier, une unité d'analyse supplémentaire, le mythème (un épisode mythique singulier). Le mythème est constitué par un paquet de relations qui lui donnent un sens. Lévi-Strauss écrit :« C'est seulement sous forme de combinaisons de tels paquets que les unités constitutives acquièrent une fonction signifiante. » Dans cet esprit, il schématise le mythe d'Œdipe en en dressant le tableau fait de lignes et de colonnes où les mythèmes (repérables par le groupe de phrases racontant un épisode particulier) s'enchaînent suivant les liens de parallélisme et d'opposition.

Les « mythologiques »

Cette méthode d'analyse n'a pas manqué de surprendre. Elle comprenait quelques affirmations non démontrables et Lévi-Strauss a lui-même pensé qu'elle était à la fois aventureuse et incomplète. Elle contredisait son souci de réalité tangible et effective. Surtout, il lui fallait passer à une analyse concrète, in situ, de mythes homogènes au plan de leur territoire, pour arriver à une méthode satisfaisante. C'est ce qu'il a fait en entreprenant la composition des Mythologiques. Il écrit dans le premier volume :« Il s'agit […] pour nous de dégager par le contexte la signification relative [du mythe] dans un système d'oppositions doté d'une valeur opératoire. Les symboles n'ont pas une signification intrinsèque et invariable, ils ne sont pas autonomes vis-à-vis du contexte. Leur signification est d'abord de position. Faire une analyse des mythes ne consiste pas à les classer selon leur thème apparent. Le mode d'exposition ne peut être celui des classifications préconçues en mythes cosmologiques, saisonniers, divins, héroïques, technologiques, etc. »

Le fait fondamentalement nouveau de la série Mythologiques est de rapprocher les éléments constitutifs du mythe de l'expérience sensorielle (celle qui est mise en œuvre, par exemple, dans la cuisine par la recherche des goûts différenciés des mets) :« L'objectif de ce livre est de montrer comment des catégories empiriques, telles que celles de cru et de cuit, de frais et de pourri […], définissables avec précision par la seule observation ethnographique et chaque fois en se plaçant du point de vue d'une culture particulière, peuvent néanmoins servir d'outils conceptuels pour dégager les notions abstraites et les enchaîner en propositions. »

D'abord, l'analyse structurale ne sera plus appliquée au mythe indépendamment du milieu social où il a pris naissance ; ensuite, il n'est plus question non plus d'opérer des rapprochements entre mythes ayant un terreau d'origine différent (finie l'union Grèce-Autriche pour le mythe d'Œdipe) ; enfin, l'hypothèse d'une pluralité possible de sources pour l'analyse, comme cela avait été envisagé pour Œdipe, est désormais mise de côté (finie l'union Sophocle-Freud).

La conséquence la plus visible est que mythe et langage ne relèvent pas d'une identité de nature, mais suscitent une analyse similaire, la méthode structurale (qui triomphait dans les années 1960 en linguistique). En réalité, cette similitude n'est qu'apparente.

En mythologie, la méthode structurale fait des éléments du mythe des groupes de variantes allogènes et/ou allomorphes, en opposition ou en complémentarité d'un corpus constitué, reposant sur les données de l'expérience sensorielle d'un peuple. Entre les sensations s'établissent des oppositions terme à terme, puis groupe de termes à groupe de termes, etc., qu'on retrouve transposées mais sous le même étagement dans la structure mythique. Après le Cru et le Cuit (1964), on arrive à Du miel aux cendres (1966), et Lévi-Strauss décrit lui-même la progression de sa méthode :« Pour construire le système des mythes de cuisine, nous avons dû faire appel à des oppositions entre des termes, qui tous, ou presque, étaient de l'ordre des qualités sensibles : le cru et le cuit, le frais et le pourri, le sec et l'humide, etc. Or voici que la seconde étape de notre analyse fait apparaître des termes toujours opposés par paires, mais dont la nature diffère pour autant qu'ils relèvent moins d'une logique des qualités que d'une logique des formes : vide et plein, contenant et contenu, interne et externe, inclus et exclu. » Les écarts entre les mythes « consistent […] en un corps de propriétés communes, exprimables en termes géométriques et transformables les unes dans les autres au moyen d'opérations qui sont déjà une algèbre » (Du miel aux cendres). Les Mythologiques analysent ainsi plus de huit cents mythes, qui, à partir d'un mythe de référence, sont introduits de proche en proche par le moyen de « transformations ».

La méthode structurale a été également tentée par Lévi-Strauss pour l'analyse des masques des Indiens de la côte nord-ouest de l'Amérique du Nord (la Voie des masques).

Par son œuvre, Lévi-Strauss a marqué toute une génération de chercheurs. Attentif à fonder l'unité de l'homme sur la diversité de ses sociétés et de ses productions culturelles, il a donné au structuralisme la dimension d'un humanisme qui s'oppose à toute forme d'évolutionnisme social, comme le montre un remarquable article écrit en 1952, « Race et histoire ». Son pessimisme sur le progrès et l'avenir de l'homme s'est accentué dans un autre article paru en 1971, « Race et culture ».