tiers-monde

Sommet des BRICS 2012 : anciennes puissances émergentes
Sommet des BRICS 2012 : anciennes puissances émergentes

Ensemble des pays qui sont exclus de la richesse économique répartie entre les nations.

Une vision politique du sous-développement

Enjeux d’une définition

Entré dans le vocabulaire courant, le terme « tiers-monde », désignant l'ensemble des pays pauvres, à l'exclusion de tout élément de l'ancien bloc soviétique, s'est banalisé sous forme d'une image aux contours flous. Il s'accompagne de diverses notions – « pays sous-développés » ou « pays en voie de développement », « pays du Sud » –, souvent considérées comme synonymes. Or, par exemple, parler de « pays du Sud », par un « géographisme » qui permet apparemment de ne pas prendre parti et que dénonce le géographe français Yves Lacoste, est dénué de fondement : c'est en effet oublier que l’Australie et la Nouvelle-Zélande (en Océanie) sont des pays riches ; c'est également suggérer que la latitude, donc le climat, est un élément déterminant de la richesse ou de la pauvreté des nations.

Il n'y a donc jamais de synonymie parfaite, et ces équivalences, approximatives, gênent la réflexion et enveniment des débats souvent passionnés. L'usage du singulier ou du pluriel n'est pas non plus indifférent : y a-t-il un tiers-monde ou des tiers-mondes, comme il y a des pays en voie de développement ?

L'origine du terme

L'expression « tiers-monde » a été créée par le démographe français Alfred Sauvy dans un article publié le 14 août 1952 par l'hebdomadaire l'Observateur (ancêtre du Nouvel Observateur), à la dernière phrase d'une chronique intitulée « Trois mondes, une planète ». L'auteur y évoque l'existence de deux mondes, pays « occidentaux » et pays du « bloc communiste », entre lesquels sévit une guerre froide pouvant se muer en conflit ouvert ; cette opposition tend à nier l'existence d'un troisième monde, l'ensemble des pays sous-développés, d'ailleurs convoités par les deux blocs.

Selon Alfred Sauvy, ce troisième monde a des caractères spécifiques, notamment sa croissance démographique galopante. Et l'auteur de conclure : « Car enfin, ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut, lui aussi, être quelque chose. » Alfred Sauvy établit donc une comparaison explicite entre le tiers-monde et le tiers état de la France de l'Ancien Régime, autre ensemble aux contours flous, sans unité sociale, comprenant les misérables ouvriers agricoles comme les bourgeois cossus, unis seulement par l'absence de participation aux privilèges dont bénéficiaient noblesse et clergé.

En 1956, dans un ouvrage publié en collaboration avec Georges Balandier, Alfred Sauvy explicite le terme « tiers-monde », dans une volonté de préciser, voire d'infléchir sensiblement le concept de « sous-développement », né quelques années plus tôt aux États-Unis.

Le contexte politique

Le thème du « sous-développement » était apparu dans un discours du président américain Harry Truman, prononcé en 1949, au début de la guerre froide. Parmi les quatre points de la politique nord-américaine à l'égard du communisme, le dernier précisait que les États-Unis apporteraient leur aide financière, économique et militaire à tout État menacé par la subversion communiste. Pour le leader du « monde libre », la pauvreté qui régnait dans le monde favorisait en effet la pénétration soviétique ; tenter de la juguler revenait à lutter contre le communisme.

Le terme de « sous-développement » postulait l'existence d'un développement et d'un seul, ce que l'économiste américain Walt Whitman Rostow devait théoriser dans les Étapes de la croissance économique (1960). Le nombre important des pays pauvres s'expliquait par leur retard dans un processus mondial de développement dont les États-Unis ouvraient la voie, l'aboutissement étant une société d'abondance, politiquement et économiquement libérale. Il convenait donc, au moyen d'une aide économique et financière, d'accélérer un processus trop lent, ou parfois à peine amorcé.

Les Nord-Américains ne négligeaient pas les causes politiques du sous-développement. Pour eux, la colonisation, qui avait nui à l'investissement et à l'évolution sociale, constituait le principal facteur du retard en matière de développement ; ils pensaient que le protectionnisme des métropoles avait exclu les colonies de l'évolution économique mondiale. Anticommunistes, les Américains étaient aussi anticolonialistes, au risque de provoquer le mécontentement de leurs alliés européens, alors trop dépendants pour regimber fortement. Somme toute, leur position était comparable à celle des Anglais à la fin du xixe s. : Londres était défavorable à une colonisation politique de l'Afrique et ne s'y risqua que contrainte et forcée par l'impérialisme de puissances comme l'Allemagne et la France. Dans les deux cas, la puissance économique dominante de l'époque estimait avoir tout à gagner au libre jeu du marché.

Le troisième monde

La notion de tiers-monde est venue perturber cette logique en affirmant que le problème du sous-développement recouvrait des dimensions politiques plus complexes : le tiers-monde, comme en 1789 le tiers état, n'était pas seulement pauvre, mais différent. Il ne pouvait se contenter de plus de richesse (ou de moins de pauvreté), allait réclamer la fin des privilèges unilatéraux, l'établissement d'un monde politiquement et socialement plus équitable.

Mais l'approche d’Alfred Sauvy, combinant aspects politiques, économiques, sociaux et culturels, a souvent été détournée dans un sens plus strictement politique et idéologique, avec notamment une assimilation entre « pays du tiers-monde » et « pays non alignés », puis par la déviance progressive de cette dernière notion. À l'origine, le vocable «pays non alignés», qui avait un sens politique, devait s'appliquer à tous les pays qui ne se rattachaient ni au bloc atlantique ni au bloc soviétique, à l'image de la Yougoslavie (qui avait rompu en 1948 avec l'URSS), voire, quelques années plus tard, de la Chine. Mais il pouvait prendre aussi un sens culturel. En effet, seule la différence culturelle peut expliquer que le Japon ait siégé à la conférence afro-asiatique de Bandung (1955) : il n'était déjà plus un pays pauvre et se trouvait politiquement lié aux États-Unis. Le bloc des non-alignés (non-alignement), dont le premier « sommet » s’est tenu en 1961, réunissait des pays dont les options économiques et sociales étaient très différentes, mais qui tous, à des degrés divers, misaient sur un jeu de bascule entre les deux blocs, tâchant d'en retirer le plus grand profit. Son origine afro-asiatique excluait les pays latino-américains, encore « chasse gardée » des États-Unis.

Une remise en cause des hégémonies

Le poids des idéologies

Cuba et les non alignés

La victoire de Fidel Castro à Cuba – et son alliance avec l'URSS – modifie les données en introduisant l'Amérique latine, ensemble sous-développé, dans le concert des nations non alignées ; Cuba était pourtant un pays éminemment « aligné » sur l'URSS. La Conférence tricontinentale de La Havane (Cuba, 1966) a mis en valeur l'unité du tiers-monde, marquant au passage une déviance politique manifeste du non-alignement, certains pays non alignés restant résolument anticommunistes, d'autres hésitant souvent entre les versions soviétique et chinoise du communisme.

La voie chinoise

L'entrée officielle de la Chine dans le débat est tardive. C'est en 1973 seulement que Mao Zedong affirme que la Chine appartient au tiers-monde. Puis, en 1977, après sa mort, les Chinois élaborent la doctrine des « trois mondes » : le premier constitué par les deux puissances hégémoniques (États-Unis et URSS), le deuxième regroupant les pays riches soumis à l'hégémonie américaine mais à même de l'ébranler (Europe de l'Ouest, Canada, Australie…), le troisième rassemblant les autres États de la planète. Entretemps, le modèle chinois a déjà influencé des pays du tiers-monde, séduits par les idéaux d'égalité et de bien-être qui paraissaient l'animer. Dans les années 1970, la prise de position chinoise contribue à donner, en France surtout, une dimension idéologique au débat et favorise la cristallisation d'un tiers-mondisme parfois caricatural.

La position soviétique

Pour l'Union soviétique, l'impérialisme, instrument politique du capitalisme, est la seule cause du sous-développement ; c’est pourquoi l’URSS ne se donne pas pour mission d'apporter une aide économique, mais opte pour un appui politique et militaire. Considérant que seul leur modèle peut résorber les problèmes de développement, ils ne jugent pas nécessaire d'analyser la spécificité des pays dits sous-développés.

La recherche d’une « troisième voie »

Rejetant ces positions exclusivement politiques et idéologiques, le « mouvement » tiers-mondiste met en exergue la pauvreté et les atteintes aux libertés – tant dans les dictatures proaméricaines que dans le monde communiste – et cherche une « troisième voie » pour les pays dits sous-développés.

Les effets pernicieux du système capitaliste sont ainsi dénoncés comme étant responsables du sous-développement. Le capitalisme aurait en effet fondé sa prospérité sur l'exploitation des pays du tiers-monde et sur le rapport d'échange inégal entre matières premières et produits industriels ; de plus, l'introduction de rapports de production marchands aurait pour conséquence de déstructurer les sociétés et les économies du tiers-monde, provoquant un accroissement des inégalités et, in fine, les conditions du sous-développement. Il serait donc possible d'envisager un « développement du sous-développement » et un appauvrissement d'une « périphérie » (les pays sous-développés) exploitée par un « centre » (les pays capitalistes).

Le tiers-mondisme développe une critique globale du monde développé. Cependant, une fois ce constat pos, les solutions proposées au problème de la pauvreté sont multiples : certains défendent la « voie chinoise », d’autres militent en faveur d’un marxisme épuré de ses « hérésies » léninistes et staliniennes, tandis que d'autres encore fondent leurs espoirs sur les idéaux de solidarité qui auraient existé dans les sociétés dites « traditionnelles ».

Des évolutions économiques divergentes

Un modèle unique de développement ?

Les bouleversements politiques et économiques de la fin du xxe s. ont profondément modifié la réflexion sur le tiers-monde. Les retrouvailles de la Chine avec le capitalisme, l'effondrement du bloc soviétique, comme l'échec des socialismes utopiques « nationaux », ont créé un monopole idéologique : le modèle du libéralisme économique paraît contrôler le système mondial, les grands organismes internationaux (Banque mondiale et Fonds monétaire international) s'efforcent de faire appliquer partout les mêmes recettes fondées sur une stricte orthodoxie financière et sur l'ouverture au marché mondial, dans le cadre duquel chaque pays concerné devrait se spécialiser en fonction de ses « avantages comparatifs ».

Des situations contrastées

Toutefois, à considérer la cartographie de la répartition des indices quantifiables de développement, plusieurs tiers-mondes apparaissent, comme peut le montrer l'opposition entre eux des trois continents concernés (Asie, Afrique et Amérique du Sud).

Certains pays (principalement asiatiques, notamment les « Dragons ») paraissent avoir « décollé » en se tournant résolument vers le développement industriel destiné à l'exportation sur le marché mondial, tandis que d’autres s’enfoncent dans la misère et le désordre politique ; l'unité du tiers-monde ne se situe donc plus dans le seul indicateur de pauvreté, et la concurrence économique ne peut qu'exacerber les divisions. Dans les années 1960, le géographe Yves Lacoste a dressé une liste de 14 critères qui avaient pour objectif plus de repérer que de définir les pays sous-développés. S'il était déjà alors peu aisé de les retrouver dans l'ensemble des pays du tiers-monde, cette tentative serait aujourd'hui vaine : les différences de produit national brut (PNB) par habitant se sont creusées par l'enrichissement des pays pétroliers, peu peuplés, et l'émergence des nouveaux pays industriels (N.P.I.) ; l'exode rural a sévi partout, à des degrés divers (plus tôt et de manière plus importante en Amérique latine, plus tardivement en Afrique et à un moindre degré en Asie) ; le niveau sanitaire a souvent progressé, et la situation alimentaire, grâce à l'intensification de l'agriculture, s'est améliorée dans certains pays.

L'Amérique latine se distingue par un très fort taux d'urbanisation, des PNB par habitant et des niveaux de consommation d'énergie relativement élevés, une croissance démographique encore forte mais dont la décrue est amorcée. À l'inverse, l'Afrique se situe aux niveaux les plus bas pour tous les indices de bien-être et de développement économique, et sa croissance démographique se maintient, voire s'accentue, en dépit de l'exode rural. L'Asie offre un tableau plus composite : certains pays ont un retard conséquent (Népal, Birmanie) et appartiennent au groupe des pays les moins avancés (P.M.A.) – au même titre que la quasi-totalité des pays africains – ; d'autres ont été ravagés par les guerres (ancienne Indochine) ; tandis qu'ont émergé de nouvelles puissances industrielles et financières (Corée du Sud, Taiwan), qui se sont montrées capables de construire une industrie fondée sur leur marché intérieur, et qui peuvent prendre place, comme le fait aujourd'hui la Chine, dans le système du commerce mondial.

Faut-il croire les indicateurs de richesse ?

Ces contrastes significatifs au sein d’un même groupe (les pays du tiers-monde) incitent à s'interroger sur la pertinence de certains indicateurs. En effet, l'état de sous-développement a pour corollaires le sous-développement « statistique » et, plus fondamentalement, l'inadéquation des indicateurs, conçus pour des économies industrielles monétarisées de longue date et prônant le libre-échange.

Comment, par exemple, rendre compte officiellement et statistiquement de l'activité du secteur informel, qui, par définition, fonctionne en marge des règlements ? Comment évaluer précisément la réalité des niveaux de vie dans des pays où beaucoup de biens et services sont payés aux prix, généralement très bas, de marchés intérieurs peu ouverts ? Les indices sociaux ne sont pas forcément plus pertinents. Ainsi, le taux de scolarisation ne dit rien de l'efficacité de l'enseignement, le nombre d'habitants par médecin masque le manque de médicaments de base.

La disparité des indices témoigne, entre autres, des disparités dans la répartition et l'ampleur du peuplement, dans les types de structures économiques et sociales. Elle différencie le style de sous-développement davantage parfois que les inégalités de niveau de développement. Faut-il alors considérer qu'il n'existe pas d'unité du tiers-monde et que chaque pays est un cas spécifique qu'il faut traiter empiriquement, au risque de renoncer à une analyse globale du sous-développement ?

Le critère démographique

Un indicateur globalement commun

Poursuivant sa réflexion sur l'unité et la diversité du tiers-monde, Yves Lacoste en est venu, vers la fin des années 1970, à considérer qu'un critère commun et presque unique unissait ses constituants : l'ampleur de la croissance démographique (toujours supérieure à 2 % par an, alors qu'elle reste sensiblement inférieure à ce seuil dans le reste du monde). Dans le tiers-monde, ce phénomène, qui n'a jamais eu d'équivalent (la croissance démographique annuelle n'a pas dépassé 1 % par an dans l'Europe du xixe s.), est à la fois signe et cause de sous-développement : il est signe car il traduit des attitudes à l'égard de la vie quotidienne, des relations personnelles et sociales, de l'investissement dans l'éducation ou encore de la sécurité sociale ; il est cause dans la mesure où il provoque des tensions supplémentaires dans des économies peu productives où la proportion d'inactifs s'est brutalement accrue, tant par l'accroissement du nombre des personnes âgées que par le nombre croissant d’enfants, deux conséquences des progrès « importés » de la médecine de masse.

La croissance démographique du monde européen au xixe s. résultait, en revanche, d'une évolution endogène de la société dans sa production, ses techniques médicales et sa pratique de l'hygiène. Or cette charge démographique supplémentaire affecte des sociétés qui ont brutalement découvert, avec la mondialisation des échanges et de l'information, l'importance cruciale de besoins matériels, que seule une minorité de privilégiés parvient à satisfaire.

Le besoin d'affiner les critères

La pertinence de l'indicateur et du facteur démographiques paraît aujourd'hui de plus en plus incertaine. Certes, une carte du taux de croissance démographique dans le monde montre une extrême différence entre les pays industriels et les pays du tiers-monde. Mais une telle carte montre aussi que nombre d'États du tiers-monde sont passés sous la barre des 2 % de croissance annuelle, en Amérique latine (Brésil, Mexique, Colombie, Chili, Argentine), en moins grand nombre mais à un plus fort degré en Asie méridionale et orientale (Chine, Thaïlande, voire Indonésie), tandis que l'Afrique et le Moyen-Orient continuent de connaître une croissance très élevée, souvent supérieure à 3 %.

Un indice beaucoup plus fin, le taux de mortalité infantile, traduit le même type de disparité entre les trois continents. Il existe cependant une exception d'importance : nombre de pays du Moyen-Orient, particulièrement dans la péninsule Arabique, combinent une très forte croissance démographique à des taux déjà faibles de mortalité infantile et à des PNB par habitant très élevés qui, en dépit des inégalités sociales, assurent au plus grand nombre des conditions de vie honorables.

La relation entre sous-développement et croissance démographique, entre prospérité, limitation des naissances et vieillissement, serait-elle beaucoup moins générale qu'on a bien voulu le penser ? Ne s'agirait-il pas seulement d'une « théorie », confirmée par des exemples asiatiques, voire latino-américains, mais dont la valeur universelle n'est pas prouvée ?

Les tiers-mondes : d'autres mondes ?

On est ainsi aujourd'hui conduit à s'interroger sur d'autres dimensions de la notion de tiers-monde. Les progrès des techniques de production et de l'organisation des rapports sociaux sont-ils liés de telle façon que le développement suppose une réduction des civilisations à un dénominateur commun ? Pourrait-on, au contraire, envisager une époque de pluralisme ?

La dimension climatique

On ne peut, par crainte du déterminisme physique, passer totalement sous silence le fait que les pays du tiers-monde se situent pratiquement tous dans la zone intertropicale ou dans des zones arides, tandis que les pays industriels développés sont localisés dans des zones de climats océaniques ou continentaux, à moyenne ou haute latitude. Si cela ne signifie pas que leur milieu écologique confère irrémédiablement la pauvreté aux pays tropicaux, il est plus que probable que leur développement agricole suppose des techniques spécifiques que les pays industriels n'avaient pas de motif pressant de rechercher. Les agricultures pluviales des pays tropicaux font appel à des techniques particulières que la prééminence économique et technique des pays tempérés a fait négliger. Néanmoins, les plus grands progrès des agricultures du tiers-monde sont liés à l'utilisation de plantes également cultivées dans les pays développés (maïs, riz, blé) et de techniques qui y sont fort bien connues, à commencer par l'irrigation.

Les facteurs culturels

L'évolution de nombreux pays asiatiques, en premier lieu le Japon, montre que la croissance économique et le développement ne sont pas réservés aux pays européens ou d'Amérique du Nord de tradition judéo-chrétienne ; de plus, il n'est pas certain que leur prospérité matérielle débouche sur la constitution de sociétés construites sur le modèle occidental. L'Amérique latine, la plus métissée des grandes régions du tiers-monde, la plus proche des pays riches quant à l'origine du peuplement (langues, usages sociaux, religions…), recherche aujourd'hui au moins autant sa voie dans le retour à ses spécificités, dans son passé précolombien, que dans l'utopie révolutionnaire importée qui lui permettait de se dresser contre les États-Unis. En Afrique, des intellectuels se posent aujourd'hui la question de l'utilité même du développement, tant ce continent semble avoir de difficultés à mettre en place des encadrements qui correspondent aux capacités techniques de ses habitants, tant il vit difficilement le passage de sociétés fondées sur la parenté et l'alliance à des entités nationales s'appuyant sur un contrat social.

Le cas de l'Afrique

C'est peut-être sous cet angle particulier qu'il faut envisager le retard de l'Afrique. Le continent ne souffre d'aucune « malédiction écologique » : ni les sols ni les climats n'y sont globalement plus hostiles qu'ailleurs. À ceux qui pensent que la colonisation doit être mise en cause, on peut rétorquer que l'Éthiopie, qui l'a pratiquement ignorée, est le pays le plus pauvre de l'Afrique sub-saharienne. La proximité de l'Europe, qui devrait être un atout, s'affirme, au contraire, comme un handicap : entre la copie des modèles européens, l'attente de solutions extérieures, et leur détournement au nom de l'authenticité africaine, la juste mesure reste pour l'heure introuvable. Pour reprendre un concept élaboré par un auteur fort éloigné de la problématique du développement, Pierre Gourou, ce sont les « encadrements » qui paraissent en cause.

Les risques de l'économie mondialisée

Ce débat concernant les différents critères à prendre en compte pour décrire le plus précisément possible une situation de sous-développement ne peut occulter la réalité de la domination des puissances financières dans le monde contemporain. Si la croissance démographique aggrave la pauvreté, elle n'en est pas la cause unique ; celle-ci est bien aujourd'hui dans la recherche du profit à l'échelle mondiale, dont, fût-ce à un moindre degré, pâtissent même les pays industrialisés, victimes des délocalisations vers des pays où la main-d'œuvre est moins chère. L'affirmation de la pluralité des cultures, d'autre part, qui peut être extraordinairement féconde, est aussi des plus périlleuses si elle débouche sur des oppositions de civilisations dans un univers où de nouveaux pays riches pourraient manipuler, au nom d'idéologies exacerbées, des masses enfoncées dans la pauvreté. La notion de tiers-monde, devenue plurielle, retrouverait alors une redoutable actualité.