sociologie

Auguste Comte
Auguste Comte

Étude scientifique des sociétés humaines et des faits sociaux.

Aujourd'hui, comme toutes les disciplines qui se veulent scientifiques, la sociologie est devenue empirique, analytique et quantitative. L'introduction des statistiques, avec les enquêtes par sondages, et le développement d'une méthodologie spécifique, qui emprunte souvent aux modèles mathématiques, ne doivent rien, ou pas grand-chose, aux grands systèmes sociologiques du xixe s., soucieux de synthèse et de prophétie. Il ne s'agit plus d'embrasser dans sa totalité la réalité sociale, de soumettre la diversité des données observables au règne des grands principes explicatifs.

La naissance d'une science

C'est dans la tradition philosophique que, très profondément, la sociologie plonge ses racines. Platon, Aristote, saint Augustin, saint Thomas, Ibn Khaldun, Machiavel, Hobbes, Locke, Bossuet, Rousseau, Condorcet, Montesquieu apparaissent comme ses précurseurs. Mais elle n'a trouvé son nom, sous la plume de A. Comte, et ne s'est constituée comme science qu'au xixe s.

De Quételet à Comte

Le recours aux statistiques permet au savant belge A. Quételet de poser les principes de l'étude de l'homme en tant que membre des corps sociaux ; il définit une « physique sociale » (1835), appelée par la suite une « statistique morale », qui désigne l'étude des phénomènes singuliers rapportés à une société.

A. Comte, pour sa part, se propose avec plus d'ambition de réaliser une science de la réalité sociale dans son ensemble. Pour se démarquer de Quételet, il délaisse l'expression de « physique sociale » et lui donne en 1836 le nom de « sociologie ». Maître du positivisme, Comte a le mérite d'aspirer à en faire une « science » des faits sociaux. Selon ses propres termes, la sociologie consiste dans « une étude positive de l'ensemble des lois fondamentales propres aux phénomènes sociaux ». La différence entre Quételet et Comte s'est répercutée jusque dans les conceptions contemporaines de la sociologie.

Marx, Tocqueville et Le Play

K. Marx – même si on le considère moins souvent comme sociologue que comme économiste ou théoricien politique – a eu une même visée globalisante de l'explication sociale, en montrant par exemple l'interdépendance de l'infrastructure, principalement économique, et de la superstructure. Sa démarche est, à bien des égards celle, d'un sociologue. En faisant de la lutte des classes le facteur de l'évolution des sociétés, il pose du même coup le postulat que le phénomène « société » est autre chose que la somme des parties qui le constituent.

Selon R. Aron, dans les Étapes de la pensée sociologique (1967), il semble « injuste » que A. de Tocqueville – que l'on peut par ailleurs considérer comme le père de la science politique contemporaine (De la démocratie en Amérique, 1835-1840) – ne figure pas « parmi les inspirateurs de la pensée sociologique ». Selon lui, « Tocqueville est par excellence le sociologue comparatiste ». Enfin, Frédéric Le Play (1806-1882), inspirateur d'une sociologie conçue avant tout comme science descriptive, peut également être considéré comme l'un des pères de la sociologie.

Les deux grands fondateurs

Émile Durkheim

C'est Durkheim qui, tout en conservant de Comte l'idée trop ambitieuse d'une sociologie souveraine, apte à couronner l'ensemble des sciences, a le premier ouvert la voie d'une étude véritablement scientifique des différents faits sociaux. Les Règles de la méthode sociologique (1894) constituent un manifeste en faveur de la nouvelle science. Durkheim y souligne l'importance de la recherche des causes en sociologie. Il met l'accent, en même temps que sur les exigences de l'objectivité, sur les différents aspects de la méthode typologique (classant en types distincts les données empiriques) et pose le principe d'une sociologie scientifique : « Les faits sociaux doivent être traités comme des choses. »

C'est dans le Suicide (1897) plus encore que dans De la division du travail social (1893) que le sociologue applique la notion de loi à l'étude des faits sociaux : il s'efforce d'expliquer, statistiques à l'appui, les variations du taux de suicides, dans le temps et dans l'espace, en fonction d'un certain nombre de facteurs, dont il mesure les variations. Regroupée autour de Durkheim, une équipe de chercheurs donne ses heures de gloire à l'école française et à la revue l'Année sociologique (1898).

Max Weber

L'autre grand fondateur de la discipline est l'Allemand M. Weber, qui en développe une vision bien moins hégémonique : il s'attache, dans un esprit néokantien, à en définir les limites ; il est l'auteur de la conception moderne d'une sociologie de la compréhension, avec la notion d'« idéal-type », défini comme un acteur représentatif, dont le rôle est de lier les pratiques et les convictions (Économie et société, 1922).

La sociologie est marquée, après Durkheim et Weber, par l'élargissement de son domaine et par la multiplicité croissante de ses cadres théoriques, si bien que, malgré des efforts de recherche d'une théorie générale (chez T. Parsons, G. Gurvitch, etc.), c'est, en définitive, la spécialisation, voire l'hétérogénéité, qui tendent à l'emporter.

L'éclatement de la sociologie

Devant la multiplicité des types de recherches et, surtout, face à la tradition contrastée déjà perceptible du temps de l'opposition Comte/Quételet, les sociologues ont constitué des « domaines ». Ce sont la sociologie du travail (M. Friedmann, A. Touraine), des classes sociales (T. B. Veblen, M. Halbwachs), de la connaissance (R. K. Merton) et du droit.

Puis la sociologie s'est encore subdivisée en s'appliquant à l'art, à la culture de masse (H. M. McLuhan), aux loisirs (Joffre Dumazedier [1915-2002]), à la bureaucratie (Claude Lefort [né en 1924] ; Cornelius Castoriadis [1922-1997]), au milieu rural (Henri Mendras [1927-2003]), à l'urbanisme (Paul-Henry Chombart de Lauwe [1913-1998]), etc. La discipline a éclaté en une large diversité de secteurs d'études et le souci d'observation empirique tend à prévaloir.

Les méthodes

Dans le domaine des méthodes et des techniques de recherche, la période contemporaine a été marquée par la généralisation des instruments mathématiques et statistiques, l'affinement de certains concepts sociométriques, la multiplication des types de questionnaires, le perfectionnement des méthodes de description ethnographique, l'utilisation croissante de modèles linguistiques.

Le peu d'unité des méthodes et des techniques tient, d'une part, à ce qu'elles trouvent, la plupart du temps, leurs fondements théoriques dans des disciplines autres que la sociologie (psychologie, mathématique, économie, linguistique, etc.) et, d'autre part, à l'absence d'une théorie sociologique unifiée, capable à la fois de fonder l'analyse des phénomènes sociaux concrets et de rendre compte de son intégration dans des théories plus vastes.

Parallèlement, il est vrai, le besoin de percer l'opacité croissante des sociétés modernes, de surmonter la perte souvent ressentie de l'identité sociale explique que l'investigation sociologique et les choix opérés par ceux qui la mènent trouvent un écho certain bien au-delà des limites de la discipline.

La période moderne

Depuis les années 1970, la sociologie fait partie intégrante de la représentation que, spontanément, les sociétés se donnent d'elles-mêmes. Le vocabulaire des sociologues est souvent passé dans le grand public grâce aux médias. Les sociologues ont gagné en influence ; celle qu'ont exercée R. Aron et P. Bourdieu est certaine. Mais, au-delà de la diversité de ses méthodes et de ses théories, la sociologie n'en reste pas moins spécifique par son mode de pensée, et florissante. On peut distinguer quelques courants majeurs.

L'approche individualiste est dominée, en France, par R. Boudon, qui distingue l'observation des lois et l'action des individus qui sont à la source d'événements non prévisibles par des « lois », mais suffisamment importants pour constituer un « fait social ». L'approche stratégique, dont M. Crozier est le principal représentant, analyse les phénomènes sociaux sous un angle qui permettrait l'action possible d'un législateur ou d'une volonté collective. G. Balandier et A. Touraine défendent une sociologie dynamique. Quant à l'approche structuralo-marxiste, dont P. Bourdieu s'est prévalu, elle a notamment cherché à élucider la transmission de la culture dans les classes sociales privilégiées. → sociolinguistique

Auguste Comte
Auguste Comte
Émile Durkheim
Émile Durkheim
Marcel Mauss
Marcel Mauss
  • 1798 Essai sur le principe de population, ouvrage de T. R. Malthus.
  • 1839 L. Blanc écrit une théorie sur l'organisation du travail.
  • 1840 Tableau de l'état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie, œuvre de L. R. Villermé.
  • 1887 Communauté et société, ouvrage de F. Tönnies.
  • 1893 De la division du travail social, ouvrage de É. Durkheim, dans lequel l'auteur analyse deux types de sociétés, fondées sur deux conceptions de la solidarité.
  • 1895 La Psychologie des foules, ouvrage de G. Le Bon.
  • 1898 E. Pankhurst fonde avec ses filles l'Union féminine sociale et politique.
  • 1901 L'Éthique protestante, ouvrage économique de M. Weber.
  • 1903 La Morale et la Science des mœurs, ouvrage de L. Lévy-Bruhl.
  • 1906 Loi sur le repos hebdomadaire en France.
  • 1908 Réflexions sur la violence, ouvrage de G. Sorel.
  • 1908 Premier système national de retraite (Angleterre).
  • 1910 Individu et Société, ouvrage de J. M. Baldwin.
  • 1911 Premier système d'assurance chômage (Angleterre).
  • 1916 Traité de sociologie générale, par V. Pareto.
  • 1922 Économie et société, ouvrage de M. Weber.
  • 1925 Essai sur le don, ouvrage de M. Mauss.
  • 1929 L. Febvre et M. Bloch créent les Annales d'histoire économique et sociale.
  • 1932 Le Salaire, l'Évolution sociale et la Monnaie, ouvrage de F. Simiand.
  • 1934 Fondements de la sociométrie, ouvrage de J. L. Moreno.
  • 1935 G. H. Gallup crée un important institut de sondages d'opinion.
  • 1937 Morale théorique et science des mœurs, ouvrage du sociologue G. Gurvitch.
  • 1938 Morphologie sociale, ouvrage de M. Halbwachs.
  • 1950 Création du S.M.I.G. (salaire minimum interprofessionnel garanti) en France.
  • 1956 Troisième semaine de congés payés en France (9 mars).
  • 1957 Une théorie de dissonance cognitive, ouvrage de L. Festinger.
  • 1958 La Psychologie des relations interpersonnelles, ouvrage de F. Heider.
  • 1961 Les Damnés de la terre, ouvrage de F. Fanon.
  • 1964 Structure sociale et personnalité, œuvre de T. Parsons.
  • 1964 Pour comprendre les médias, œuvre de H. M. McLuhan.
  • 1966 Homo hierarchicus, ouvrage de L. Dumont.
  • 1967 Les Rites d'interaction, ouvrage de E. Goffman.
  • 1967 Anthropologie politique, ouvrage de G. Balandier.
  • 1967 Sociologie de l'art, ouvrage de J. Duvignaud.
  • 1967 La Fin des paysans, ouvrage de Henri Mendras.
  • 1968 Le Système des objets, ouvrage de J. Baudrillard.
  • 1970 Le S.M.I.C. (salaire minimum interprofessionnel de croissance) remplace le S.M.I.G. (salaire minimum interprofessionnel garanti) en France.
  • 1973 Production de la société, ouvrage de A. Touraine.
  • 1974 Majorité à 18 ans en France (10 juin).
  • 1979 La Distinction, ouvrage de P. Bourdieu.
  • 1988 Création du R.M.I. (revenu minimum d'insertion) en France (12 octobre).
  • 1998 Loi limitant la durée hebdomadaire du travail à 35 heures en France (février).
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