classe sociale

(latin classis, groupement de citoyens)

Le temps passé
Le temps passé

Groupe d'individus ayant une place historiquement déterminée au sein de la société et se distinguant par son mode de vie (habitat, éducation, travail, etc.), son idéologie et, pour les marxistes, par sa place dans le processus de production, à la fois réelle et vécue comme telle par ceux qui la composent (conscience de classe).

SOCIOLOGIE

Si toutes les sociétés connues ont été caractérisées par leurs modes de différenciation sociale, notamment en fonction de l'âge, du sexe et des relations de parenté, les classes sociales sont une réalité relativement récente. En Europe, elles apparaissent de façon embryonnaire à la fin du Moyen Âge, mais datent surtout des débuts de la société capitaliste.

La stratification en castes, comme en Inde, ou en états, comme dans l'Europe féodale, est l'expression d'un niveau relativement développé de division sociale du travail qui se reproduit selon des règles apparemment immuables. Dans un tel cadre, la tradition joue un rôle décisif, y compris pour sélectionner ou rejeter de nouvelles pratiques.

Une structure de classe flexible

Dans la société capitaliste, qui est fondamentalement une société où la division sociale du travail (la structuration en classes) et la division technique du travail sont en perpétuelle transformation, la structuration en classes ne peut y être conçue comme un caractère fixe. En fonction de la dynamique économique et sociale prédominante à un moment donné – force plus ou moins grande de l'accumulation du capital, permanence ou non de logiques sociales précapitalistes – se met en place une dialectique complexe des classes ascendantes et des classes descendantes – montée de la bourgeoisie et de la classe ouvrière, déclin des gros agrariens latifundiaires, par exemple.

Les classes, à travers les activités des groupes et des individus qui les composent, ne cessent en fait de procéder à des évaluations des prestations qu'elles échangent, de se livrer à des appréciations sur les places que les uns ou les autres occupent, ou ont à occuper, dans la société. On se classe à l'intérieur des classes ; on se classe aussi d'une classe à l'autre en fonction des apports, réels ou supposés, des individus et des groupes à des échanges généralisés de valeurs symboliques.

La conscience de classe

Toute définition purement économique des classes sociales est réductrice, car celles-ci occupent une place déterminée non seulement dans les rapports de production et la production sociale, mais aussi dans les rapports de pouvoir, dans les relations culturelles, dans la recherche et la production de l'imaginaire social.

Il en résulte qu'il n'y a pas de liaison directe entre position économique et conscience de classe. Aucune classe n'est prédestinée à une conscience de classe inscrite par avance dans son être. Cette conscience ne relève pas non plus des seuls états psychologiques caractérisant à un moment donné telle ou telle classe. En réalité, elle est le fruit d'élaborations et de confrontations menées au sein d'une classe par ceux qui contribuent le plus directement à son organisation et à ses relations avec les autres classes de la société. La classe sociale n'est pas un sujet collectif, une sorte d'entité capable de penser, d'agir comme penserait, agirait un individu. La réalité des classes est faite de réseaux d'interactions et de communication, d'institutions, de dispositifs et d'agencements permettant aux acteurs de se reconnaître et de se confronter dans le monde social ; elle n'est pas la réalité d'un acteur supra-individuel cherchant à imposer sa volonté.

Classes et sens de l'histoire

Il faut donc se garder d'interpréter le conflit social – ou la lutte des classes – en lui assignant des objectifs déterminés, en fonction d'une téléologie de l'histoire. La lutte des classes n'est pas pour autant faite d'affrontements aveugles et de mouvements inintelligibles ; elle se produit autour d'enjeux précis dans des conjonctures difficiles à cerner :  enjeux de pouvoir, de reconnaissance, de savoir, enjeux économiques...

La bourgeoisie

La lutte des classes a un effet paradoxal : elle modifie ces dernières, qui doivent répondre aux défis. La bourgeoisie a beaucoup changé depuis les débuts du xxe s. Ses liens avec les propriétés financière, commerciale et industrielle sont devenus plus complexes. Par ailleurs, le pouvoir au sein des entreprises s'est démultiplié : le « management » n'est plus constitué par un état-major limité, mais par un ensemble de rouages et de compétences complexes. De façon générale, le niveau de formation des dirigeants d'entreprises s'est élevé : ceux-ci sont de plus en plus nombreux à être diplômés des grandes écoles.

Les classes intermédiaires

La petite et moyenne bourgeoisie indépendante n'a pas disparu. Elle a souvent perdu des positions dans le commerce et dans certaines branches de l'économie, mais elle se maintient bien dans d'autres en se transformant en une couche très dynamique de sous-traitants et de fournisseurs des grandes entreprises. Les petits et moyens entrepreneurs occupent aussi très souvent des positions de pointe dans la mise en œuvre des nouvelles technologies qui ne réclament pas d'investissements lourds au départ. On peut par ailleurs noter un développement significatif des professions libérales. Toutefois, c'est la petite bourgeoisie dépendante, c'est-à-dire salariée, qui connaît, depuis plusieurs décennies, les développements les plus spectaculaires dans le secteur tertiaire. Elle comprend aussi bien des cadres moyens, des chercheurs, des spécialistes du traitement de l'information, des gestionnaires des médias. On est manifestement face à une classe montante, alors que la paysannerie, dans quelques années, représentera moins de 5 % de la population active des pays économiquement les plus avancés.

La classe ouvrière

Le cas de la classe ouvrière est plus complexe. Particulièrement dynamique pendant la majeure partie du xxe s., elle a porté et appuyé de grands partis réformateurs ou révolutionnaires, ainsi que des syndicats très actifs, qui ont transformé le terrain institutionnel en le démocratisant et en suscitant des changements quantitatifs et qualitatifs dans l'intervention de l'État (extension de la protection sociale).

À l'origine, la classe ouvrière était composée d'artisans et de paysans déclassés détenant peu de droits. Le travail à assumer était le plus souvent pénible, accompli dans des conditions très difficiles et pendant une durée journalière excessive. Aujourd'hui, la classe ouvrière est devenue un agent très actif dans la production du droit, notamment dans celui du travail. Dans les pays occidentaux, elle n'est pas une classe sans pouvoir : elle est présente dans les institutions et dans les entreprises. Toutefois, depuis la crise de l'État providence (crise de l'interventionnisme économique et arrêt des réformes sociales) et celle, idéologico-politique, du mouvement ouvrier, accélérée par la disparition de l'Union soviétique et de ses régimes satellites d'Europe de l'Est, son influence se fait beaucoup moins sentir au niveau étatique central.

Lorsqu'il n'y a plus de plein-emploi, mais un volant permanent de chômage important (entre 7 et 11 % de la population active), partis et syndicats se heurtent à des difficultés de plus en plus grandes pour obtenir des infléchissements en matière de politique économique et sociale. Autrement dit, la participation électorale, les pressions effectuées sur l'État et les actions revendicatives perdent en partie de leur efficacité dans ce contexte. Il en résulte à l'heure actuelle une tendance à l'éclatement de la lutte des classes. Elle est de moins en moins centralisée par des organisations politiques et syndicales et peut prendre des formes très diverses, depuis la formation de coordinations entre les grévistes d'un même secteur professionnel jusqu'à des manifestations de désaffection par rapport aux institutions. Les comportements se font plus insaisissables, moins prévisibles. La participation à des actions collectives ne se détermine plus par rapport à des référents politico-idéologiques (la solidarité ouvrière), mais à partir de considérations et d'appréciations sur ce que doivent être les relations de travail et la vie des individus dans le quotidien.

Opposition et coopération

Les classiques de la sociologie, Karl Marx, Émile Durkheim, Max Weber, ont montré que la réalité des classes sociales était dynamique. Les classes, selon la position qu'elles occupent dans la division sociale du travail, entretiennent simultanément des relations d'opposition et de coopération. Elles s'opposent sur la répartition des richesses matérielles et symboliques, sur l'organisation des pouvoirs légitimes, mais elles doivent coopérer pour rendre possible la production sociale. Dans cette dialectique de l'opposition et de la coopération, les classes se conditionnent réciproquement et transforment les conditions de la vie en société.

L'adieu au prolétariat

Il faut sans doute dire « adieu au prolétariat », comme le demandent des sociologues tels qu'Alain Touraine et André Gorz. Toutefois, il faut se garder de croire que la confrontation entre le capital et le travail cesse pour autant. Les ouvriers d'aujourd'hui ne sont certes plus les prolétaires d'autrefois. Ils ont globalement une formation générale plus solide qu'il y a quelques décennies et, le plus souvent, ne travaillent plus directement sur des matières premières. La part d'intellectualité dans le travail tend à s'accroître, et l'on entre maintenant dans une phase post-taylorienne (même s'il y a des poussées de néotaylorisme) où, pour affronter la concurrence, les entreprises doivent de plus en plus pouvoir compter sur l'inventivité de leurs travailleurs, sur leur capacité à faire face à l'imprévu.

Le « management » se fait moins conservateur, plus mobile et plus attentif aux réactions des travailleurs en tant que « ressources humaines » décisives dans la dynamique des systèmes de production. Le centre de gravité de la lutte des classes se trouve ainsi peu à peu déporté : la rémunération et l'emploi restent des enjeux majeurs, mais les formes et le contenu de la prestation (ou de la dépense) de la force de travail deviennent, de plus en plus nettement, des éléments d'affrontements centraux.

Les systèmes individuels de formation

La bataille ne se livre pas seulement au niveau des entreprises ou des systèmes de production, mais aussi dans les systèmes de formation où il faut réussir pour obtenir un droit d'accès aux carrières les plus intéressantes et les moins directement soumises à contrainte. L'échec scolaire et une moindre réussite dans les systèmes éducatifs semblent vouer les individus à des trajectoires sociales dévalorisantes. Pour le « management », ceux qui sont marqués négativement par leur passage dans les systèmes de formation sont à l'avance destinés à des positions relativement faibles dans une société qui est de plus en plus une société de production des connaissances. Aussi voit-on naître de façon récurrente des luttes autour des filières d'excellence du système éducatif, ce qui en creux et par contrecoup définit les lieux de la relégation éducative, annonciatrice de la relégation sociale. On constate toutefois que les affrontements autour des systèmes éducatifs comme instruments de sélection n'ont pas forcément pour conséquence de les reproduire tels quels.

Les luttes contre l'échec scolaire, sous leurs différentes formes, ne sont pas forcément inefficaces. Elles peuvent même donner lieu à de véritables mobilisations nationales (grèves, pressions sur les gouvernements). À cela il faut ajouter qu'une différenciation sociale trop rigide au niveau des systèmes éducatifs peut se révéler contre-productive pour l'économie dans son ensemble. Il faut, en effet, de plus en plus de travailleurs capables d'apprendre en permanence et de s'adapter rapidement à de nouvelles techniques de production. Il faut, en un mot, des individus capables de s'intégrer vite et bien dans une force intellectuelle collective qui utilise de plus en plus de connaissances et en produit elle-même de nouvelles sans discontinuité.

Vers une nouvelle stratification sociale

La révolution culturelle qui se produit dans le domaine de la production va nécessairement modifier la structuration en classes de la société. La classe ouvrière au sens traditionnel du terme a cessé depuis longtemps de croître, mais elle est rejointe, dans le rapport salarial qui s'articule au capital, par des couches d'employés, d'administratifs, de travailleurs intellectuels parcellaires, de chercheurs scientifiques. Les salariés comme prestataires de travail sont de plus en plus différenciés dans leurs activités, dans les positions qu'ils occupent dans la production sociale. En d'autres termes, l'extrême individualisation apparaît comme très dépendante des processus de socialisation de plus en plus poussés et des solidarités de fait.

L'ensemble que constituent les salariés dépendants (il ne faut pas les confondre avec les salariés managériaux) ressemble en fait de moins en moins à une classe subordonnée au sens traditionnel du terme. Il est, au moins potentiellement, détenteur des puissances intellectuelles de la production et de la puissance sociale multiforme qui se manifeste dans la coopération au travail. Ces potentialités sont, certes, loin d'être actualisées, en raison des formes actuelles d'appropriation du produit et du surproduit social. Mais, à l'heure où les menaces sur l'environnement mettent en question la survie de la planète, il n'est pas exclu que l'on souligne de plus en plus les fonctions sociales de la propriété et des modes d'appropriation en limitant l'absolutisme du droit de propriété. De même, on ne peut exclure que les espaces d'autonomie (individuelle et collective) s'élargissent dans les activités de production et de formation. On serait alors au seuil de tout nouveaux principes d'organisation et de stratification sociales, majorant considérablement la mobilité sociale.