Inde : vie politique depuis 1947
1. Après l'indépendance
La tâche qui attend l'Inde, son indépendance acquise, est immense. Elle sera menée par Nehru et par Sardar (→ Vallabhbhai Patel) jusqu'en 1950, puis par Nehru, seul, à la tête à la fois du parti du Congrès et du gouvernement, jusqu'à sa mort, en 1964.
1.1. La construction de la nation
La construction de la nation commence par la promulgation de la Constitution (janvier 1950), qui permet l'élection du premier Parlement au suffrage universel (1952), laquelle est un succès pour le Congrès. Démocratie, laïcité et abolition de la caste et de l'intouchabilité sont les trois grands principes de la Constitution de « la plus grande démocratie du monde ».
Les institutions de la république sont en grande partie reprises du Government of India Act de 1935. L'intégration de la myriade d'États princiers (plus de 500) est l'œuvre de Patel, le plus difficile à intégrer étant le Jammu-et-Cachemire.
→ Cachemire.
Après le rattachement de ces États à l'Union indienne commence un long processus d'intégration politique et administrative. Il s'achève par le States Reorganization Act de 1956, qui définit 14 États sur des bases linguistiques, auxquels s'ajoutent 6 territoires administrés directement. Mais d'autres États seront encore créés à la suite de pressions diverses. L'Union indienne comprendra dès lors 22 États et 9 territoires sous administration directe.
1.2. Nehru, leader des pays non alignés
La politique extérieure de l'Inde sous Nehru est d'abord active et originale. Sa politique de coexistence pacifique, énoncée pour la première fois lors du traité sino-indien sur le Tibet en 1954, aboutit à la doctrine du non-alignement, qui tente de créer, à l'époque de la guerre froide, un vaste ensemble anticolonial de pays pacifiques et neutres face aux zones d'influence des deux blocs américain et soviétique. Les vues de Nehru sont adoptées par un certain nombre de nations fraîchement indépendantes d'Asie et d'Afrique (→ conférence de Bandung, avril 1955).
Puis, dans les années 1960, l'Inde se voit contrainte, à cause des tensions et des conflits qui se manifestent et éclatent avec ses voisins, d'opérer un repli diplomatique et d'adopter une attitude plus pragmatique. Une guerre frontalière avec la Chine a lieu en 1962, aux frontières de l'Assam et du Ladakh, guerre qui fait suite à l'invasion par la Chine du Tibet en 1959. L'Inde est battue, mais la Chine, condamnée comme agresseur, se retire sur ses positions de novembre 1959, sauf au Ladakh.
Cette défaite est une humiliation sévère pour Nehru. Le contrôle de l’espace himalayen restera jusqu’à nos jours un enjeu majeur pour l’Inde qui fournit aide et assistance au Sikkim (protectorat indien en 1950 avant son annexion en 1974) et au Bhoutan et qui maintient, d'autre part, le Népal, pays neutre, sous sa dépendance économique.
Après celui de 1947-1949, un second conflit oppose l’Inde et le Pakistan au sujet du territoire frontalier du Cachemire en 1966, alors que Lal Bahadur Shastri a succédé à la tête du gouvernement à Nehru. Le traité de Tachkent du 10 janvier 1966 rétablira le statu quo entre les deux voisins.
Pour en savoir plus, voir l'article Cachemire.
1.3. La recherche d'une « troisième voie »
La politique économique et sociale du socialiste Nehru est prudente. Il s'agit, en fait, malgré le virage à gauche de 1955-1956, d'une politique d'économie mixte, planifiée sans dogmatisme. Et c'est cette politique que poursuivra Indira Gandhi, la fille de Nehru. Les efforts ont d'abord porté sur la constitution d'une infrastructure et, dans ce domaine, l'Inde a fait des progrès considérables.
La réforme agraire, en revanche, lancée en 1952 avec le Programme de développement communautaire, poursuivie, en 1956, par l'instauration d'une « décentralisation démocratique », c'est-à-dire par un système d'administration locale du développement (le Pancayati Raj), semble n'avoir profité d'abord qu'aux paysans aisés ou riches. Seuls les grands intermédiaires, héritage le plus criant du passé, sont tombés, mais les mesures de développement du crédit accessible aux petits paysans et de protection des tenanciers n'ont guère eu l'effet escompté. La « révolution verte », lancée par le nouveau Premier ministre L. B. Shastri (1964-1966), aura en revanche plus de succès.
2. Le déclin du parti du Congrès
2.1. Les années Indira Gandhi
La mort prématurée de L. B. Shastri surprend la vieille équipe dirigeante du Congrès, qui décide de nommer Indira Gandhi à la tête du gouvernement (janvier 1966). La fille de Nehru au nom prestigieux (mais qui n'a aucun lien avec le Mahatma), déjà populaire et aguerrie à la vie politique, leur semble aisément manipulable.
Le nouveau Premier ministre se révèle pourtant indépendant et décidé, en particulier à l'occasion des élections législatives de 1967, qui montreront les premiers signes de l'usure du système congressiste. La crise économique que traverse le pays provoque en effet le mécontentement du monde rural et la pugnacité de l'opposition. I. Gandhi exerce ses talents politiques en obtenant l'élection d'un de ses partisans, Varahagiri Venkata Giri, au poste de président de la République pour succéder à Zakir Hussain.
Les premiers revers électoraux du Congrès suscitent, en 1969, à l'occasion d'un désaccord sur le projet de nationalisation des banques, une scission d'une partie des conservateurs au sein du parti, et la création d’une deuxième formation, le Congrès O (O pour « Organisation »), à laquelle se rallient de nombreux notables.
Mais la gagnante est à nouveau I. Gandhi, qui, sur la lancée de sa victoire personnelle au sein du parti, prend des mesures populaires et socialisantes : renforcement du contrôle du secteur privé, abolition des avantages qui avaient été accordés aux princes en échange de leur intégration dans l'Union. Ce dernier projet sera invalidé par la Cour suprême, que le Premier ministre n'aura de cesse, par la suite, de mettre au pas.
Cependant, I. Gandhi, qui se trouve en position de faiblesse à la Chambre basse, décide de la dissoudre en décembre 1970. Sa campagne électorale, menée sur le désormais célèbre thème « Garibi hatao ! » (« Éliminons la pauvreté ! »), trouve un écho très favorable auprès des masses, en particulier des « intouchables » (scheduled castes ou castes répertoriées) et des Adivasi (tribus aborigènes ou scheduled tribes) et son parti, le Congrès R (R pour Réquisition) l’emporte très largement aux élections anticipées de mars 1971.
2.2. La montée des mécontentements
Renforcée de nouveau par des élections locales en 1972 et par le succès de l'opération militaire au Pakistan-Oriental en décembre 1971 (devenu alors le Bangladesh), la fille de Nehru tarde pourtant à honorer son programme influencé par la politique de son père. La personnalisation croissante du pouvoir suscite, à partir de 1974, des mécontentements de plus en plus grands, surtout au sein d'une population urbaine frustrée. Un mouvement populaire se cristallise autour d'un vétéran, proche du Mahatma Gandhi, Jayaprakash Narayan. Le peuple souffre d'une montée de l'inflation et du chômage, ainsi que des conséquences d'une banalisation de la corruption ; des grèves éclatent et s'étendent sur l'ensemble du pays. Le mouvement se politise et réussit à fédérer l'opposition de droite comme de gauche, et même une partie du Congrès, hormis le parti communiste (PCI, prosoviétique), allié du Premier ministre.
L'impopularité de I. Gandhi s'accroît encore en 1975, avec l'invalidation de son élection en 1971 pour pratiques illégales. Cependant, pressée de démissionner par ses ennemis et menacée d'inéligibilité, elle s'accroche au pouvoir et décide de faire signer par le président de la République, Fakhruddin Ali Ahmed, le 25 juin, l'instauration de l'état d'urgence.
2.3. L'état d'urgence
Très vite, grâce à un décret autorisant la détention sans jugement de tout opposant politique pendant deux ans, des milliers de personnes sont incarcérées, dont de nombreux leaders politiques. Au total, 100 000 personnes seront emprisonnées pendant les deux années que dure l'état d'urgence : la plupart d'entre elles appartiennent à des mouvements d'extrême droite ou « communalistes » (basés sur l'appartenance à une caste ou à une religion), mais de nombreux démocrates sont aussi privés de liberté.
Si les grands partis ne sont pas interdits, les médias sont censurés et I. Gandhi concentre dans ses mains les principaux pouvoirs tandis que son fils cadet Sanjay, bien que n’ayant aucune fonction officielle, prend de plus en plus d’ascendant, mettant notamment en œuvre une politique radicale de contrôle des naissances. Par cette campagne de stérilisation forcée, I. Gandhi s’aliène une grande partie des masses paysannes.
Justifiée par le souci de protéger la démocratie contre le « communalisme » et l’extrémisme (l’Inde devient alors une « République souveraine, socialiste, laïque et démocratique »), cette dérive autoritaire et populiste, malgré quelques avancées en matière sociale, suscite de plus en plus de mécontentements et entraîne le regroupement de l’opposition qui crie au népotisme et à la dictature.
Mais I. Gandhi crée la surprise le 16 janvier 1977, lorsqu'elle annonce la tenue d'élections générales pour mars. Contre toute attente, l'opposition réussit à se rassembler sous la bannière du Janata Party, et remporte les élections avec 43 % des voix contre 34,5 % pour le Congrès, qui perd plus de la moitié de ses sièges au Lok Sabha.
3. L'ère des coalitions
3.1. Le gouvernement du Janata
L'année 1977 marque la rupture entre le système du grand parti du Congrès, auréolé par sa lutte pour l'indépendance, et une nouvelle ère, faite de coalitions et d'alliances souvent opportunistes, alors qu'émergent parallèlement des mouvements politiques basés sur des distinctions communautaires.
Le gouvernement du Janata ne reste que deux ans au pouvoir : les querelles idéologiques ou personnelles font rapidement éclater la coalition. Le Premier ministre, Morarji Desai, rétablit les libertés mais échoue à faire condamner l'équipe au pouvoir durant l'état d'urgence. Les options économiques se rapprochent plus de la vision du Mahatma que de celle de Nehru (encouragement de l'artisanat) ; toutefois, le nationalisme hindou représenté par le Bharatiya Jana Sangh exerce une influence croissante sur le pouvoir, ce qui provoquera de nombreux mécontentements au sein de la coalition, et sera en partie la cause de l'atomisation du Janata. M. Desai, contraint à la démission, cède la place à Charan Singh, en charge des affaires courantes jusqu'aux nouvelles élections de janvier 1980, qui voient la victoire du Congrès I (I pour « Indira »), formé par les dissidents favorables à cette dernière, avec 42 % des voix et 378 sièges.
3.2. Le retour d'Indira Gandhi : les tensions séparatistes
Indira Gandhi, redevenue Premier ministre, bénéficie surtout d'un vote négatif de la part d'une population dégoûtée des querelles de personnes. Tandis que l'opposition se déchire de plus en plus, le gouvernement congressiste recherche la stabilité du pays : limitation de l'indépendance de la justice, centralisation du pouvoir grâce à l'instauration de la pratique du President's Rule (qui permet à New Delhi de gérer les affaires d'un État fédéré).
À partir de 1982, le parti du Congrès commence à délaisser l'idéologie laïque de Nehru pour se prévaloir d'une identité hindoue, en partie pour marginaliser les partis nationalistes hindouistes, qui se font de plus en plus entendre. Des heurts entre les tenants de la religion majoritaire et les musulmans éclatent dans le Nord.
Mais le danger majeur vient des tensions séparatistes, en Assam, au Cachemire et surtout au Pendjab. Le chômage qui frappe cette riche province agricole, peuplée majoritairement de sikhs, provoque la naissance d'une contestation regroupée autour du parti Akali Dal. I. Gandhi tente de diviser le mouvement en soutenant sa faction la plus extrémiste, mais cette dernière, qui réclame la création d'un État sikh, le Kalistan, se développe plus que prévu : les attentats et les heurts sanglants (plus de 11 000 morts) amènent le gouvernement à envoyer l'armée à l'assaut du Temple d'or d'Amritsar, bastion de la résistance, le 2 juin 1984. La profanation du lieu le plus sacré des sikhs est à l'origine de l'assassinat de I. Gandhi, par ses gardes du corps sikhs, le 31 octobre suivant.
3.3. Le tournant libéral de Rajiv Gandhi
Cette mort tragique provoque un regain de popularité en faveur d'un parti du Congrès qui remporte une victoire jamais égalée dans toute son histoire aux élections législatives de décembre 1984, avec 49 % des voix et 426 sièges sur 567.
Le petit-fils de Nehru, Rajiv Gandhi, qui avait pris malgré lui la place de son frère Sanjay, mort dans un accident d'avion en 1983, comme héritier politique de la dynastie, accepte d'être nommé Premier ministre. En dépit de son inexpérience, le jeune Rajiv se démarque rapidement de la politique menée par sa mère et opte pour une orientation libérale. Il réussit à pacifier le Pendjab et l'Assam, mais provoque les ressentiments du patronat industriel, menacé de ne plus être protégé de la concurrence étrangère par l'État, et, surtout, de l'opposition de gauche, hostile à toute libéralisation de l'économie.
R. Gandhi, qui dénonçait les pratiques de corruption – voire de favoritisme envers les hindous au sein du parti du Congrès – verse rapidement dans les voies mêmes qu'il condamnait : il teinte ses discours de références hindouistes, ce qui provoque la défection de l'électorat musulman traditionnel du Congrès, et revient sur l'accord du Pendjab, déclenchant une nouvelle flambée de violence. Des affaires de corruption (pots-de-vin lors de contrats d'armement avec la firme suédoise Bofors) autour de sa personne sont l'occasion pour son ministre des Finances, Vishwanath Pratap Singh, de rejoindre l'opposition, qui se regroupe autour du Janata Dal dans une formation nommée National Front.
3.4. La montée du parti du peuple indien (BJP)
Aux élections de 1989, le parti du Congrès perd 231 sièges au profit surtout du Janata Dal – créé en 1988 par certaines factions du Janata Party et plusieurs autres petits partis (142 sièges) et du parti du Peuple indien (BJP, nationaliste hindouiste, successeur du Bharatiya Jana Sangh), qui parvient à faire élire 89 députés contre 2 aux précédentes élections. Le Janata Dal peut gouverner avec le soutien du BJP et des communistes qui, avec 46 députés, progressent également.
Après un court état de grâce, le nouveau Premier ministre, V. P. Singh, doit faire face à une montée des violences intercommunautaires. Des troubles se développent au Cachemire, et les ultranationalistes hindous menés par la Vishwa Hindu Parishad (VHP) focalisent leur action sur Ayodhya (Uttar Pradesh), ville de pèlerinage où le site d’une mosquée, la Babri Masjid (xvie siècle), est revendiqué depuis 1949 comme le lieu même de la naissance du dieu Rama. L’organisation lance alors une vaste campagne pour la reconstruction d’un temple à la place de la mosquée, provoquant de sanglantes émeutes à travers tout le pays.
Alors que V. P. Singh décide d'étendre les mesures de discrimination positive en faveur des « classes arriérées » (backward classes) dont les voix sont notamment recherchées par le Bahujan Samaj Party (BSP, créé en 1984, 4 députés), le BJP, se servant d'Ayodhya pour gagner sa popularité, entame, à l'automne 1990, une procession de cinq semaines à travers l'Inde du Nord jusqu'au lieu convoité, et retire son soutien au gouvernement. Une recomposition des alliances s'opère, et Chandra Shekhar, rival de V. P. Singh et soutenu par le Congrès, est nommé Premier ministre le 6 novembre. Mais le gouvernement, critiqué par R. Gandhi, est dissous au bout de sept mois ; de nouvelles élections législatives anticipées sont organisées pour le mois de juin 1991.
3.5. Narasimha Rao et la libéralisation de l'économie
La mort de Rajiv Gandhi, assassiné en pleine campagne électorale par des extrémistes liés au mouvement séparatiste tamoul du Sri Lanka (LTTE), aide le parti du Congrès à retrouver une certaine popularité, ce qui lui permet de remporter les élections (36,4 % des voix), alors que le BJP consolide ses positions (20 %), ainsi que les autres partis identitaires (castéistes ou régionalistes).
La veuve de Rajiv, Sonia Gandhi, une Italienne, refuse de lui succéder ; le parti choisit de porter au pouvoir un homme d'expérience, P.V. Narasimha Rao, sans vraiment croire en ses chances de longévité ; contre toute attente, celui-ci se maintiendra jusqu'aux élections de 1996.
De juin 1991 à mai 1996, le gouvernement s'engage, par la libéralisation économique, dans une voie qui constitue une rupture décisive avec le « modèle indien » traditionnel. Le pays, qui se trouve alors au bord de la banqueroute, est dans une situation plus que délicate : des émeutes sanglantes (1 000 morts à Bombay) éclatent à la suite de la démolition, le 6 décembre 1992, de la mosquée d'Ayodhya par des fanatiques hindouistes ; la question du Cachemire s'envenime ; des scandales boursiers éclatent, éclaboussant le Premier ministre. Celui-ci, accusé de laxisme voire de complaisance envers la montée des violences hindouistes, décrète la President's Rule dans les quatre États du Nord dirigés par le BJP.
Relativement discrédité par les événements de 1992, le parti hindouiste perd de sa force à l'occasion des élections organisées en 1993 dans ces États, alors que le parti du Congrès est relancé. Les partis des basses castes apparaissent comme les principaux bénéficiaires de la désaffection des musulmans et des « intouchables » à l'égard du parti du Congrès.
Les années 1994 et 1995 sont marquées par une accélération du déclin du parti du Congrès, qui suscite les ambitions des rivaux du Premier ministre : Arjun Singh et Narayan Datt Tiwari décident de créer leur propre parti, accusant la politique libérale de P. V. Narasimha Rao de défavoriser les pauvres.
3.6. Crise de l'État, crise de la nation
En vingt ans, l'alternance politique est devenue banale, et le parti du Congrès n'arrive plus à reconquérir son électorat. Parallèlement, la scène politique se criminalise de plus en plus et tisse des liens étroits avec la mafia ; l'affaire du versement de pots-de-vin de la part d'un industriel touche l'ensemble des partis politiques, à l'exception des communistes.
Les positionnements religieux dans le jeu politique rendent les gouvernements incapables de faire cohabiter pacifiquement les différentes communautés religieuses : le chauvinisme hindouiste est de plus en plus largement légitimé. Le populisme s'immisce dans tous les programmes politiques. Les élections du printemps 1996 ne donnent la majorité à aucun parti : le BJP progresse encore en remportant 163 sièges (son allié, le Shiv Sena, limité au Maharashtra et sa capitale Bombay, en obtient 15) devant le parti du Congrès (140) le National Front (NF, constitué de partis régionalistes et socialisants, 79 sièges) et le Left Front (LF, composé notamment des deux partis communistes, 52 députés).
Par ailleurs, la lente érosion de l’audience des partis nationaux par rapport à celle des formations « régionales » (basées dans les États), qui avait commencé à la fin des années 1980, comme les partis dravidiens DMK et son rival l’AIADMK se poursuit. Atal Bihari Vajpayee, un des leaders modérés du BJP, forme un gouvernement, qui, minoritaire, doit démissionner.
Le NF et le LF, entre-temps alliés dans un Front uni, parviennent à prendre le pouvoir grâce au soutien sans participation du Congrès. Haradanahalli Deve Gowda, un homme de basse caste du sud de l'Inde, est nommé Premier ministre. Il choisit deux personnes sûres pour mener à bien sa politique : Palaniappan Chidambaram aux Finances (un ancien ministre du gouvernement Rao) et Inder Kumar Gujral aux Affaires étrangères. P.V. Narasimha Rao, entendu pour des affaires de corruption, est remplacé à la tête du parti du Congrès par un vieux routier de la politique, Sitaram Kesri, qui dénonce le soutien de son parti au gouvernement. D. Gowda est contraint de démissionner à son tour en avril 1997, sans avoir pu réaliser de réformes substantielles. I. K. Gujral, qui le remplace au poste de Premier ministre, jouit d'une solide réputation d'intégrité et laisse entrevoir des possibilités de détente sur le plan extérieur, notamment avec le Pakistan. Mais, à la fin de l'année, le parti du Congrès retire à nouveau son soutien au gouvernement.
Le nouveau président de la République élu depuis juillet 1997, Kocheril Raman Narayanan, décide de dissoudre la Chambre basse et convoque des élections législatives anticipées en mars 1998. Prenant la mesure de son erreur, le parti du Congrès parvient à obtenir in extremis le soutien de S. Gandhi, qui mène la campagne électorale. Les programmes, assez semblables, ne passionnent pas l'opinion. Le jeu des alliances politiciennes, les querelles de personnes entachent un peu plus l'aura des trois grandes formations que sont le Front uni, le parti du Congrès et le BJP. Ce dernier, qui a pris la tête de l’Alliance démocratique nationale (NDA) formée de treize partis nationaux et régionaux, réussit néanmoins à obtenir la majorité des sièges requise pour la formation du gouvernement.
3.7. L'accession au pouvoir des nationalistes hindous
Atal Bihari Vajpayee est nommé Premier ministre. Bien qu'elle suscite de sérieuses inquiétudes à l'étranger, l'arrivée au pouvoir des nationalistes hindous ne provoque pas de remous dans le pays, malgré la virulence de certains propos chauvins pendant la campagne (projet d'une limitation sévère de l'implantation d'entreprises étrangères, accusations contre la communauté musulmane).
Dès novembre 1998, le parti du Congrès opère un retour en force lors des élections provinciales. Le BJP est considérablement affaibli par des rivalités internes à la NDA. À la suite de la défection d'un des principaux alliés de la coalition, le cabinet Vajpayee démissionne en avril 1999. Après l'échec de la tentative d'union engagée par le parti du Congrès, la Chambre du peuple est finalement dissoute et des élections anticipées sont organisées en septembre-octobre. Le BJP remporte alors 189 sièges, le meilleur résultat de son histoire, et la NDA, obtient la majorité absolue au Parlement.
La priorité du nouveau gouvernement est le redressement des finances, mises à mal par la crise du Cachemire et les six mois d'immobilisme qui ont précédé le scrutin. En 2001, le BJP essuie une série de revers lors des scrutins régionaux dans les États du Kerala, du Tamil-Nadu, de Pondichéry, de l'Assam puis lors des scrutins de 2002, au cours desquels il est évincé par le parti du Congrès de S. Gandhi dans les États du Pendjab, d'Uttar Pradesh, d'Uttaranchal et de Manipur. En 2002, ses bons résultats électoraux obtenus au Gujerat , au Rajasthan, dans le Madhya Pradesh et au Chhattisgarh (décembre 2003) – États jusqu'à présent contrôlés par le parti du Congrès – ainsi qu'une situation économique très favorable incitent A. B. Vajpayee à convoquer des élections législatives anticipées au printemps 2004.
3.8. Le retour du parti du Congrès
En dépit de sa position de favori, le BJP est victime du succès de sa politique très libérale qu’il vante dans son slogan électoral « India Shining », cette nouvelle « Inde qui brille » : accusé par ses adversaires d’avoir délaissé la lutte contre la pauvreté, il est devancé de justesse par le parti du Congrès qui doit cependant former une coalition, l’Alliance progressiste unie (UPA), regroupant une quinzaine de partis nationaux et régionaux, pour obtenir une majorité à la Chambre du peuple.
Parmi les nouveaux alliés du Congrès, les partis de gauche (communistes) obtiennent le meilleur score de leur histoire (62 sièges) et acceptent de soutenir le gouvernement et l’UPA afin d’écarter le BJP. En proie aux attaques xénophobes des nationalistes du BJP et à l'hostilité de certains de ses alliés, la présidente du parti du Congrès, S. Gandhi, renonce au poste de Premier ministre qui lui était échu et désigne un fidèle, Manmohan Singh, économiste sikh et ministre des Finances de 1991 à 1996, qui est officiellement nommé le 19 mai par le président Abdul Kalam (élu en juillet 2002).
Sur la base d'un programme minimum commun (une première en Inde), l'Alliance s'engage à lutter contre la pauvreté et à poursuivre les réformes « à visage humain ». Profitant de la croissance instaurée vingt ans plus tôt et qui s'accélère (plus de 8 % par an de 2005 à 2008), l'« Inde qui brille » remporte des succès spectaculaires dans les services et la haute technologie, mais également dans une industrie conquérante (prise de contrôle du groupe sidérurgique européen Arcelor par Mittal Steel en 2006, rachat au groupe Ford de Jaguar et de Land Rover en 2008 par Tata Motors, qui commercialise l'année suivante la nano, la voiture la moins chère du monde). Toutefois, la prospérité qui favorise 300 millions de membres des classes moyennes laisse toujours à l'écart une masse de défavorisés. Et ce d'autant plus que l'objectif de « croissance partagée » poursuivi par le gouvernement se trouve rapidement entravé par une inflation qui tend à s'accélérer, au point de susciter, notamment à partir de l'été 2008, de multiples manifestations de mécontentements.
En juillet 2007, une femme, membre d'un parti de l'Alliance au pouvoir, Pratibha Patil, est portée à la présidence, pour la première fois de l'histoire de ce pays, qui fête par ailleurs son soixantième anniversaire. Cependant, en août, la coalition que dirige M. Singh est ébranlée par les remous suscités par l'accord de coopération sur le nucléaire civil négocié avec les États-Unis depuis 2005 et conclu au début du mois : le parti communiste qui, comme le BJP dans l'opposition, y voient une atteinte à la souveraineté nationale, menace de s'y opposer. Un compromis est finalement trouvé, qui crée une commission politique chargée d'examiner les objections au partenariat militaire avec les Américains, prolongeant de facto un gouvernement manifestement de plus en plus en sursis. C'est donc sans surprise qu'en juillet 2008, protestant contre la décision du Premier ministre de hâter, puis de finaliser la signature de l'accord avec Washington, quatre partis de la gauche communiste décident de lui retirer leur soutien, le contraignant à élaborer une nouvelle et fragile coalition, à obtenir de justesse un vote de confiance du Parlement, et à se survivre à lui-même.
3.9. Violences interreligieuses et terrorisme islamiste
Alors qu'à propos du Cachemire, la politique de concertation est poursuivie tant avec Islamabad qu’avec les autonomistes, les tensions interreligieuses, en particulier entre hindous et musulmans, s’accentuent avec l’apparition de nouveaux groupes extrémistes dont l’objectif est, semble-t-il, de rallumer les affrontements intercommunautaires.
En mars 2006, un attentat à la bombe à Bénarès est revendiqué par un groupe islamiste jusque-là inconnu, Lashkar-e-Kahar. En juillet, sept attentats à la bombe coordonnés sont commis dans plusieurs trains à Bombay : les islamistes pakistanais du Lashkar-e-Taiba sont suspectés mais le mouvement nie toute implication. En septembre, ce sont des Musulmans qui sont visés à Malegaon (Maharashtra) dans un attentat attribué par certains à des extrémistes hindous, de même que l’année suivante, en mai, au sein même d’une ancienne mosquée de Hyderabad.
Suivent en novembre d’autres attentats à Varanasi, Lucknow et Faizabad (Uttar Pradesh) puis en 2008 à Jaïpur, Ahmenabad, Bangalore et Delhi, dans lesquels sont impliqués les Moudjahidins indiens, une nébuleuse peu connue, soupçonnée d’être liée au Harkat-ul-Jihad-al-Islami (HuJI) actif au Pakistan et au Bangladesh et réputé proche d'al-Qaida.
Par ailleurs, la minorité chrétienne est également la cible d’extrémistes hindous dans l’État d’Orissa (août 2008) tandis qu’une nouvelle flambée de violence, attribuée aux séparatistes (qui nient toute implication) déchirent l'Assam à la fin octobre. Parallèlement, les affrontements entre nationalistes hindous et séparatistes musulmans continuent à déchirer le Jammu et Cachemire à l’occasion des élections régionales de novembre-décembre. Le terrorisme atteint son acmé lors des spectaculaires attentats de Bombay des 26-29 novembre : perpétrés par un commando du Lashkar-e-Taiba, ils font 166 victimes (plus 9 des 10 terroristes) et suscitent un regain de tension avec Islamabad.
3.10. La persistance de la guérilla maoïste
Parallèlement, à partir de 2009, le mouvement maoïste, mis hors-la-loi parce que jugé terroriste, multiplie ses opérations. Héritier des Naxalistes des années 1960-1970, il est désormais présent dans de nombreux districts et États et plus particulièrement actif à l’intérieur d’un « corridor rouge » dans le centre-est du pays comprenant le Bihar, le Jharkhand, le Bengale, le Chhattisgarh et jusqu’au nord de l’Andhra Pradesh. Il fait de nombreuses victimes (estimées à 600 en 2009), pour l’essentiel dans les forces armées mais aussi parmi les civils, le déraillement d’un train au Bengale en mai 2010 (plus de cent morts) lui étant aussi attribué.
Dirigée cependant avant tout contre la police et les forces paramilitaires (engagées dans une vaste offensive en novembre) et affirmant défendre les tribus et les paysans pauvres exclus du développement ou expropriés pour l’industrialisation, la guérilla a le soutien d’une partie de la population et le gouvernement, conscient de ce fait et de la gravité de ce conflit, affirme être prêt à prendre en compte certaines de ses revendications à condition qu’elle dépose les armes.
3.11. Le Congrès après les élections de 2009
Contre toute attente dans ce contexte fort instable, les élections législatives qui se déroulent en avril et mai 2009 voient la nette victoire du parti du Congrès (avec 207 députés sur les 543) et de la coalition qu'il organise (262 sièges, soit 10 de moins que la majorité absolue). Le BJP (115 députés) reste dans l'opposition, tandis que l'encombrant allié communiste y retourne après avoir perdu 28 sièges malgré sa tentative de promouvoir une nouvelle alliance, le « troisième front » (79 sièges).
M. Singh, reconduit à son poste de Premier ministre, poursuit son œuvre d'ouverture sociale (son cabinet inclut désormais 10 « intouchables », contre 7 précédemment), sa politique de libéralisation de l'économie dans le cadre de la « croissance partagée », et une série de grands travaux destinés à prolonger les trois plans de relance adoptés depuis le retournement brutal de la conjoncture nationale et mondiale à la fin 2008.
Le budget qu’il présente alors prévoit d’ailleurs une hausse sans précédent des dépenses publiques (+ 36 %), nourrie en particulier par l’investissement dans les infrastructures, le prolongement de la politique de garantie de cent jours d'emploi par an pour les familles rurales et le maintien de prix modiques pour les produits de première nécessité à destination des foyers les plus nécessiteux. De fait, après avoir quelque peu fléchi en 2008, la croissance repart sur un rythme qui avoisine les 8 % dès 2009 et s’accélère ensuite.
D’où, en 2010, l’accent porté sur la réduction du déficit (estimé à 6,8 % du PIB), via la vente de participations de l’État dans les entreprises et la mise aux enchères de licences (de téléphonie mobile notamment), sans qu’il soit toutefois question de coupes sociales ni de révision des mesures de soutien de l’activité. Au contraire, le budget propose d’ajouter à ces postes la création d’une sécurité sociale pour les travailleurs du secteur informel et un ambitieux plan de lutte contre la malnutrition.
En avril-mai 2011, les élections dans quatre États et un territoire sont globalement plutôt favorables au parti du Congrès. Si l’un de ses principaux alliés, le DMK, est défait au Tamil Nadu et s’il perd Pondichéry, le parti est confirmé à la tête de l’Assam, enlève de justesse le Kerala à la gauche tandis qu’un autre de ses principaux alliés, le All India Trinamool Congress, l’emporte sur le parti communiste au Bengale. Le résultat le plus saillant de ces scrutins est la défaite des communistes dans leurs deux fiefs traditionnels du nord-est et du sud-ouest de l’Inde : après l’insuccès du « troisième front » en 2009, la déroute historique du parti communiste au Bengale remet ainsi fortement en question la possibilité même d’une alternative à l’affrontement entre la mouvance congressiste et celle conduite par le BJP.
4. L'Inde à la croisée des chemins
4.1. Corruption et essoufflement économique
La croissance économique de l’Inde s’est accompagnée cependant d’une extension de la corruption qu’encourage la multiplicité des centres de décision et qui n’épargne aucun échelon, atteignant le plus haut niveau de l’État. Plusieurs scandales impliquant d’importants responsables politiques ont ainsi de nouveau éclaté, notamment en 2011, concernant la préparation des Jeux du Commonwealth de 2010 et l’octroi de licences de téléphonie mobile en 2008.
Un mouvement anti-corruption s’est développé – très médiatisé par la grève de la faim de son militant Anna Hazare en avril et août 2011 –, recevant un appui populaire massif, en vue de faire pression sur le gouvernement pour qu’il renforce l’arsenal législatif – Jan Lokpal Bill, inspiré notamment de la commission contre la corruption de Hong-Kong – et le fasse adopter par le Parlement, alors que depuis la fin des années 1960, plusieurs projets de loi instituant une autorité indépendante en la matière sont restés lettre morte.
La question de la corruption revient sur le devant de la scène à l’occasion des élections législatives dans les États de 2012, plus particulièrement dans l’Uttar Pradesh. Le Congrès et le BJP tentent chacun de reconquérir l’État le plus peuplé de l’Inde, contrôlé depuis 2007 par le Bahujan Samaj Party (parti de la société majoritaire, BSP, représentant les « classes arriérées » [backward classes] ainsi que les minorités religieuses) et par sa présidente Kumari Mayawati. Cette dernière, l’une des étoiles montantes de la vie politique indienne, adulée par de nombreux « intouchables » mais finalement mise au cause pour sa gestion de l’État et soupçonnée d’enrichissement personnel, est lourdement sanctionnée non au profit des deux principaux partis nationaux mais de son rival, le Samajwadi Party (Parti socialiste mené par le jeune Akhilesh Yadav, fils d’un autre « baron » et ex-chief minister de l’État) qui rafle une majorité absolue des sièges grâce notamment au vote des Musulmans.
La lenteur des réformes s’ajoutant à la dégradation de la conjoncture internationale, la croissance s’essouffle (4,4 % au deuxième trimestre 2013) et le déficit commercial se creuse révélant les déséquilibres structurels de l’économie indienne parmi lesquels d’importants goulots d’étranglement dus à des infrastructures défaillantes et de fortes tensions inflationnistes issues notamment des contraintes pesant sur l’approvisionnement. Alors que les investissements directs étrangers chutent, le gouvernement tente ainsi de relancer le processus de libéralisation entrepris dans les années 1990 : parmi les mesures annoncées, l’ouverture du commerce de détail multimarque aux grands groupes de distribution, est emblématique, mais suscite une levée de boucliers dans l’opposition et des tensions au sein de la coalition au pouvoir conduisant à la défection de l’All India Trinamool Congress en septembre 2012. Cette volonté de déréglementation, qu’illustrent également la nouvelle loi sur les modalités d’acquisition des terres (29 août 2013) et l’ouverture des secteurs des pensions et des assurances aux investisseurs étrangers, est cependant insuffisante et les menaces d’une crise financière s’intensifient avec une dépréciation spectaculaire de la roupie.
4.2. La défaite historique du Congrès et le triomphe du BJP
Ces difficultés d’ordre économique et social creusent encore le fossé entre la population et le Congrès. Mené par Sonia Gandhi et son fils Rahul, le parti ne parvient pas à redorer une image fortement détériorée par les affaires de corruption. Donné perdant plusieurs mois avant l’échéance électorale d’avril-mai 2014, le parti essuie une défaite sans précédent : à l’issue d’un scrutin marqué par un taux de participation jamais atteint (66,4 %), il ne parvient à conserver que 44 représentants sur 543, tandis que le BJP s’arroge à lui seul plus de la majorité absolue des sièges avec 31 % des suffrages. Cette déferlante est particulièrement forte dans les États du Nord et du Centre parmi lesquels, outre ses fiefs du Gujerat et du Madhya Pradesh (où il domine aisément avec 59 % et 54 % des voix), le Rajasthan (déjà ravi au Congrès en 2013 où il remporte les 25 sièges), le Bihar, l’Haryana et surtout l’Uttar Pradesh où le parti rafle 71 sièges sur 80 avec 42 % des voix.
Son candidat au poste de Premier ministre, Narendra Modi, ministre en chef du Gujerat depuis 2001, prend la tête du gouvernement le 26 mai. Personnalité charismatique mais aussi controversée depuis les émeutes antimusulmanes en 2002 dans son État, il doit à la fois rassurer les minorités – les musulmans en premier lieu – et répondre aux attentes de changement qui l’ont porté au pouvoir.
4.3. Nationalisme religieux et développement économique
Fort de ce soutien populaire et de sa majorité au Lok Sabha (mais pas au Rajya Sabha, le Conseil des États), N. Modi s’attache à mettre en application un programme reposant sur deux piliers qui peuvent sembler contradictoires : l’affirmation d’un nationalisme hindou ombrageux, voire agressif et intolérant d’un côté, le développement économique par un ensemble de réformes d’inspiration libérale de l’autre.
Si la promotion de l’Hindutva (« hindouité ») peut s’exprimer à travers l’inoffensive et pacifique journée du yoga (instituée par l’ONU en 2015 à l’instigation du Premier ministre indien), elle revêt aussi des formes beaucoup plus controversées. Ainsi des mesures contre l’abattage des bovins, une filière contrôlée par les musulmans, qui est l’occasion pour des militants extrémistes autoproclamés « protecteurs de la vache » de se livrer à d’inquiétantes exactions.
Le nationalisme représenté par N. Modi a ainsi pour conséquence de marginaliser politiquement la minorité musulmane, de donner libre cours à des discours exclusifs à l’égard des minorités, favorisant la propagation de l’idéologie du Sangh Parivar, famille politique réunissant les différentes mouvances du nationalisme hindou issues du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), organisation politique, éducative et paramilitaire fondée dans les années 1920, dont le prosélytisme s’intensifie et dont le recrutement continue de s’étendre.
S’il s’adresse d’abord à la classe moyenne indienne aspirant à la réussite économique, le Premier ministre, se présentant comme le « premier serviteur du peuple » en rappelant ses origines modestes (dans une « backward cast »), veut aussi rallier les dalits (« intouchables ») et les groupes les plus défavorisés que le BJP parvient désormais à séduire alors que les réformes avantagent tout d’abord « l’Inde qui gagne ».
Applaudies par le FMI, les politiques lancées à partir de 2014 comprennent en effet un ensemble de réformes structurelles visant à soutenir la croissance : la promotion de l’industrie nationale (ouverture de nouveaux secteurs aux investissements étrangers dans le cadre du programme Make in India) et de l’économie numérique (programme Digital India) va de pair avec une restructuration des mécanismes de subventions qui sont réduites mais mieux ciblées, tandis que sont visés la réduction du déficit budgétaire, l’assainissement du secteur public bancaire et des Chemins de fer parallèlement à des privatisations partielles. Ce qui n’exclut pas les projets d’inclusion financière (plan Jan Dhan Yojana lancé en 2014) et de développement des campagnes (électrification des villages, construction de routes, amélioration de l’infrastructure sanitaire ...).
Parmi les mesures phares destinées à doper la croissance (plus de 7 % depuis 2015), la taxe sur les biens et services (GST, adoptée à l’issue de difficiles négociations au sein du Conseil des États en août 2016) a pour objectif de rationaliser et unifier la fiscalité indirecte.
Justifiée par l’impératif de lutter contre l’économie souterraine, la contrefaçon et la corruption mais risquée d’un point de vue à la fois économique et social, l’opération de « démonétisation » (retrait et remplacement des coupures de 500 et 1 000 roupies en novembre 2016) est finalement menée à bien malgré ses effets négatifs à court terme sans fragiliser le gouvernement dont la popularité reste très élevée trois ans après son intronisation.
En témoigne, après les déconvenues à Delhi et au Bihar au début de son mandat en 2015 et son succès dans l’Assam en 2016, la victoire sans appel du BJP – due également aux divisions de l’opposition et au système électoral – aux élections dans l’Uttar Pradesh en mars 2017. Conduit par un prêtre extrémiste au passé compromettant, le parti y rafle 312 sièges sur 403 avec plus de 39 % des suffrages (contre 15 % en 2012), tandis qu’il s’impose également dans le petit État himalayen de l’Uttarakhand avec plus de 46 % des voix et 57 sièges sur 70. Autre récompense plus attendue, l’élection à la présidence de la République de son candidat Ram Nath Kovind, un dalit (« intouchable »), qui succède à P. Mukherjee (du parti du Congrès, en poste depuis 2012) en juillet.
4.4. La réélection de 2019
Après cinq ans au pouvoir, malgré le ralentissement économique – augmentation du chômage, investissement et consommation en chute, taux de croissance plus faible que prévu –, le Premier ministre aborde les élections législatives d’avril-mai 2019 en position de force. D’importants moyens (financiers, notamment) sont déployés par N. Modi qui vise dans sa campagne le parti du Congrès dont il entend « libérer » le pays alors que le bilan de son gouvernement est très controversé en particulier quant à l’efficacité de la réforme fiscale et de la démonétisation. La renaissance de tensions avec le Pakistan joue par ailleurs en sa faveur.
De son côté, en dénonçant l’idéologie nationaliste du BJP et en accusant le pouvoir de porter atteinte aux valeurs et institutions démocratiques tout en critiquant la politique économique adoptée, l’opposition se mobilise mais elle reste divisée.
Avec 303 sièges et plus de 37 % des voix (sans compter ses alliés au sein de la NDA), le BJP améliore son score de 2014. De son côté, après avoir enregistré quelques succès électoraux face à son adversaire en 2018, le Congrès ne parvient à faire élire que 52 députés. À la suite de cet échec, R. Gandhi démissionne de ses fonctions de président du parti. N. odi sort d’autant plus renforcé de ce scrutin que ses partisans viennent en tête dans les États où ils avaient été sanctionnés l’année précédente et étendent leur influence, notamment dans le Nord-Est (Bengale-occidental, par exemple, où le BJP progresse avec plus de 40 % des voix).
5. La politique extérieure depuis 1966
Jusqu'à la fin de la guerre froide, l'Inde cherche à respecter son statut de pays non aligné en contractant des alliances avec les grandes puissances sans abandonner son indépendance. Au début des années 1990, trois événements majeurs – la désintégration de l'URSS, la chute du mur de Berlin, qui clôt la guerre froide, et l'adoption par l'Inde d'un programme de libéralisation économique – entraînent d'importantes modifications. Devant s'adapter au nouvel ordre international, l'Inde est motivée par la nécessité d'assurer l'autonomie de ses décisions et de favoriser l'émergence d'un monde multipolaire, dont elle serait l'un des principaux pôles. Ce faisant cependant, elle rencontre voire heurte et se voit susceptible de devoir à plus ou moins long terme affronter les intérêts de l’autre superpuissance de la région, la Chine.
4.1. L'affaiblissement de la coopération russo-indienne
Développés à la suite de la visite de Nikita Khrouchtchev en 1955, les liens avec l'Union soviétique aboutissent à la signature d'un traité d'amitié et d'assistance mutuelle en 1971, renouvelé en 1991. Par la suite, la Russie, traditionnel fournisseur d'armes de l'Inde, ne présente pour celle-ci qu'un intérêt décroissant au fur et à mesure qu'elle amplifie ses relations avec les nouvelles républiques d'Asie centrale, puis avec les États-Unis, les pays de l'Union européenne, la Chine, l'Asie du Sud-Est et le Proche-Orient. Il n'en reste pas moins que les relations politiques avec la Russie demeurent étroites et que celle-ci s'avère toujours être un partenaire privilégié, en matière d'armement et d'énergie notamment.
4.2. Inde-Pakistan : un demi-siècle d'affrontements
Les relations indo-pakistanaises restent très complexes, et directement liées aux origines de la partition de 1947. L'Inde s'identifie d'une certaine manière à l'ancien Empire britannique, alors que le Pakistan s'est formé sur des bases purement religieuses. De plus, le jeu des deux Grands place le Pakistan du côté américain, alors que l'Inde, officiellement non alignée, se tourne en fait vers l'URSS.
Le caractère artificiel du Pakistan éclate quand, en 1970, des élections donnent la majorité à la Ligue Awami, une formation de sa partie orientale. Devant la réaction virulente du Pakistan occidental, celle-ci décide de proclamer son indépendance, et de créer le Bangladesh. La répression de l'armée pakistanaise provoque l'intervention de l'Inde, qui entre en guerre le 3 décembre 1971 et fait capituler son adversaire le 16 décembre. Cette victoire permet à l'Inde de montrer au sous-continent asiatique son réel statut de puissance régionale.
Cependant, la question du Cachemire reste toujours la pierre d'achoppement entre l'Inde et le Pakistan. Elle resurgit à l'occasion du retrait soviétique d'Afghanistan à la fin des années 1980 : alors qu'Islamabad y établit des liens avec le régime des talibans, le réseau al-Qaida et d'autres courants djihadistes, New Delhi l'accuse d'être à l'origine d'attentats terroristes. Le Cachemire indien sombre dans une guerre civile larvée.
Pour en savoir plus, voir les articles Bangladesh, Cachemire.
Malgré les ouvertures menées sous l'impulsion du Premier ministre Inder Kumar Gujral (1997-1998), l'arrivée des nationalistes au pouvoir, en mars 1998, relance la tension. Ces derniers procèdent, les 11 et 13 mai, à cinq essais nucléaires, auxquels le Pakistan réplique aussitôt par une série d'essais. Un « équilibre de la terreur » semble alors s'instaurer, mais la reprise du dialogue à l'automne désamorce la crise. Effectuant la première visite d'un chef de gouvernement indien au Pakistan depuis dix ans, Atal Bihari Vajpayee et son homologue pakistanais, Nawaz Sharif, affirment dans une déclaration commune la volonté de résoudre tous les problèmes bilatéraux, y compris celui du Cachemire (processus de Lahore). Néanmoins, le conflit qui éclate de mai à juillet dans la région de Kargil fait plus de 1 000 morts des deux côtés de la ligne de contrôle.
Le coup d'État militaire d'octobre 1999 portant à la tête du Pakistan le général Pervez Mucharraf incite l'Inde à une certaine prudence. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, ce dernier rallie ouvertement la coalition antiterroriste conduite par les États-Unis, se lance à la poursuite des groupes islamistes pakistanais et récuse tout soutien au régime des talibans afghans. Lorsque celui-ci s'effondre (fin 2001), le Cachemire devient le terrain de repli des activistes islamistes.
Au printemps 2002, l'Inde et le Pakistan se retrouvent une nouvelle fois très près de la confrontation à la suite de l'attentat perpétré le 13 décembre 2001 contre le Parlement de New Delhi par un groupe djihadiste pakistanais (14 morts). L'escalade verbale et militaire est alors inévitable et les tirs d'artillerie s'intensifient de part et d'autre de la frontière. L'intervention de la communauté internationale, en particulier celle des États-Unis, parvient à désamorcer la crise entre les deux pays, qui retirent une partie de leurs troupes.
Amorcée par New Delhi au printemps 2003, une nouvelle tentative de rapprochement avec Islamabad aboutit au rétablissement des relations diplomatiques complètes (interrompues depuis 2001) et à un accord de cessez-le-feu sur leur frontière commune au Cachemire, le 26 novembre 2003. La désescalade se poursuit tout au long de l'année 2004 avec la reprise d'un « dialogue global » incluant, comme le souhaite l'Inde, tous les contentieux, et le rétablissement des liaisons terrestres, maritimes et aériennes.
Qualifié d'« irréversible » par leurs dirigeants en avril 2005, le processus de paix entre les deux pays est durablement conforté, au lendemain du séisme qui frappe les Cachemiris pakistanais le 8 octobre suivant, par l'ouverture de la ligne de contrôle permettant l'acheminement de l'aide en provenance de l'Inde. Le réchauffement marque cependant le pas. Plus : la tension redevient palpable à partir de l'été 2008, à l'issue de l'attaque meurtrière de l'ambassade indienne à Kaboul, après de nouveaux incidents à la frontière cachemiri et surtout aux lendemains des spectaculaires attentats qui ensanglantent Bombay à la fin novembre. L'implication soupçonnée des services secrets pakistanais conduit le gouvernement à geler le processus de paix avec Islamabad voire, au tournant 2009, à envisager une possible confrontation.
Si l'escalade est en définitive enrayée, la question des responsabilités, pendante, continue d'envenimer un temps les relations entre les deux grands voisins. La rivalité s’exerce aussi sur le terrain afghan : le Pakistan envisage, depuis longtemps, d’en faire une de ses bases arrière, ce que s’emploie à contrecarrer l’Inde par son implication économique et humanitaire : celle-ci est en effet devenue le principal donateur du régime Karzaï de la région. D’où aussi les attaques qui visent régulièrement les intérêts voire les ressortissants de New Delhi sur place. Toutefois, force est de noter que dès juin 2009, malgré la décision de la justice pakistanaise de libérer le chef de la vitrine politique du Lashkar-e-Taiba, Hafiz Saeed, les Premiers ministres Singh et Gilani affichent leur volonté de reprendre le dialogue. Celui-ci s’engage de fait à partir de février de l’année suivante, en dépit de la survenue d’attentats censés l’obstruer, et la poursuite des troubles au Cachemire.
Dans cette région, la protestation contre le pouvoir de New Delhi prend durant l’été 2010 la forme de manifestations régulières où les pierres, sur le mode de l'Intifada palestinienne, remplacent les armes, et les jeunes gens les combattants. Ce qui conduit M. Singh à proposer en août l'ouverture de négociations sur le renforcement de l'autonomie de l'État, dans le cadre de la Constitution indienne, ainsi qu'un plan pour l'emploi local.
En juillet 2011, après trois nouveaux attentats terroristes à Bombay le 13, le gouvernement indien se garde cette fois de pointer du doigt ouvertement d’éventuelles complicités pakistanaises. Et à l’issue de leur rencontre à New Delhi, le 27, les ministres des Affaires étrangères des deux États annoncent de nouvelles mesures de confiance, notamment une facilitation des échanges commerciaux de part et d’autre de la ligne de contrôle entre les deux parties pakistanaise et indienne du Cachemire, où la situation reste tendue, comme l’illustrent de nouveaux incidents de frontière en janvier et en août 2013.
L’accession au pouvoir du parti nationaliste BJP en 2014 n’est a priori pas de nature à entraîner une amélioration des relations indo-pakistanaises. Dans un premier temps pourtant, la présence du Premier ministre pakistanais lors de la cérémonie d’investiture de N. Modi à Delhi, puis la visite privée de ce dernier à Lahore (décembre 2015) semblent témoigner d’une volonté d’apaisement, alors que les tensions sont loin d’être résorbées.
Après des attaques terroristes contre les forces armées indiennes au Punjab (Pathankot, janvier 2016) et au Cachemire dans les environs de la Ligne de contrôle (Uri, septembre 2016), les relations se détériorent cependant encore en 2019.
En effet, début août 2019, dans la foulée de sa victoire aux élections d’avril-mai et conformément à l’un des engagements du BJP, le gouvernement rend « inopérant », par décret, l’article 370 de la Constitution garantissant un statut spécial au Jammu-et-Cachemire et subdivise l’État en deux « territoires de l’Union », dont l'un est constitué du Ladakh, sa partie orientale. Cette « réorganisation » est effective le 31 octobre. L’article 35A, permettant notamment de réserver aux résidents permanents de la région l’accès aux emplois administratifs et à la propriété, est également révoqué. Entérinée par le Parlement et, par ailleurs, approuvée par d’autres partis que le BJP, cette décision, sur laquelle la Cour suprême doit encore se prononcer, s’accompagne d’un verrouillage du Cachemire indien par les forces de l’ordre et reste lourde d’incertitudes.
4.3. Inde-Chine : compétition, coopération et discorde
Nombre d'observateurs considèrent néanmoins que le danger principal menaçant l'Union indienne est la Chine, pays à l'origine de sa seule défaite militaire (1962). Le nombre d'habitants, le problème des réfugiés tibétains, les questions frontalières et la compétition économique font craindre à l'Inde que l'empire du Milieu (qui maintient des contacts étroits sur le plan militaire avec le Pakistan) ne soit tenté de montrer à nouveau sa force.
Prudemment menés depuis 1989, les efforts de rapprochement – totalement suspendus lors de la reprise des essais nucléaires indiens en 1998 – reprennent en juin 2003, lorsque l'Inde reconnaît la souveraineté de la Chine sur le Tibet, et la Chine, l'appartenance du Sikkim à l'Inde.
Oubliant le contentieux qui les oppose le long de l'Himalaya depuis la guerre de 1962, les deux pays s'engagent, en avril 2005, dans un partenariat stratégique incluant une spectaculaire augmentation du commerce bilatéral, la coopération pour les explorations de matières énergétiques, la volonté d'établir une zone de libre-échange. La Chine est d'ailleurs devenue le deuxième partenaire économique du pays. Ainsi le col Nathula, reliant les deux nations, mais fermé pendant 44 ans, est-il réouvert à l’été 2006, cependant que la visite en décembre 2006 du président Hu Jintao à New Delhi est suivie par celle du Premier ministre Singh à Pékin en janvier 2008.
Toutefois, cette coopération et cette apparence de réchauffement n'éliminent en rien la méfiance réciproque entre les deux géants asiatiques, qui demeurent rivaux en termes géopolitiques et dont les échanges commerciaux restent fortement déséquilibrés au profit de la Chine. Et de fait, les sources de tension à la fois frontalière et régionale semblent dangereusement s’accumuler à partir de la fin 2009, cependant que Delhi fait connaître la révision de sa doctrine militaire et son intention d'améliorer la capacité de l'armée à faire face à un possible double front sino-pakistanais.
Depuis l’accession aux fonctions suprêmes de Xi-Jinping en 2013, la méfiance de l’Inde ne s’est pas démentie, tout particulièrement à l’égard de l’« Initiative de la ceinture et de la route » (les « nouvelles routes de la soie ») à laquelle New Delhi refuse de participer. Corrélé à ce vaste projet mondial, le « corridor économique Chine-Pakistan » – comprenant notamment de grands projets d’infrastructures au Gilgit-Baltistan, dans la partie du Cachemire contrôlée par le Pakistan – est particulièrement critiqué.
Des incidents militaires dans la zone frontalière contestée sur le plateau du Doklam, en juin-août 2017, ont par ailleurs ravivé un ancien contentieux non résolu depuis la guerre de 1962.
Des rencontres informelles ont lieu entre N. Modi et Xi Jinping, en avril 2018 puis en octobre 2019, dans un contexte de frictions aggravées par la crise au Cachemire. À cet égard, Pékin réitère son appui à son allié pakistanais et s’oppose à la réorganisation de l’État du Jammu-et-Cachemire, appelant New Delhi à respecter sa souveraineté, la partie orientale du Ladakh, l’Aksai Chin, sous contrôle chinois, étant également disputée par les deux pays depuis 1962.
4.4. L'Inde, une puissance régionale...
À l'instar de la Chine, l'Inde cherche à se doter d'un rôle de puissance régionale. Dans cette perspective, elle entretient, au cours des années 1970 et 1980, des rapports à la fois hégémoniques et protecteurs vis-à-vis de ses voisins immédiats : envoi d'une force de pacification au Sri Lanka en 1987, aux Maldives en 1988. Ces relations viennent contrecarrer les objectifs de l'Association de coopération régionale sud-asiatique (SAARC) – à laquelle elle a adhéré en 1985 –, même si ce forum annuel reste peu actif.
Plus pragmatique, la « doctrine Gujral » – du nom du ministre des Affaires étrangères en place de 1989 à 1990 et de 1996 à 1997 – prône une « diplomatie de proximité », assortie d'une politique de compromis : pour améliorer, en premier lieu, ses rapports avec les petits États voisins, l'Inde doit accepter de faire des concessions unilatérales, comme le montrent, en 1996, la signature d'un traité sur le partage des eaux du Gange avec le Bangladesh et celle d'un accord sur le partage des eaux de la rivière Mahakali avec le Népal.
Les négociations avec ce dernier, gelées au début 2004 pour contrer l'influence grandissante de la Chine, reprennent pourtant vite. Après avoir soutenu le roi Gyanendra Singh, l'Inde opère un virage à 180 degrés et, en pleine crise népalaise, à la fin avril 2006, prenant fait et cause pour les manifestants, elle en appelle à la mise en place d'un gouvernement multipartite à Katmandou.
Les relations avec le Bangladesh demeurent très limitées, malgré une série de visites bilatérales, dont celle du Premier ministre Khaleda Zia à New Delhi en mars 2006. La question de l'immigration et la menace islamiste aux frontières restent en effet autant de points d'achoppement dans le processus de normalisation entre les deux voisins.
4.5. ... en quête de reconnaissance internationale
Après un demi-siècle de méfiance et de malentendus, le rapprochement avec les États-Unis s'établit en premier lieu sur le terrain économique, à la faveur du début de la libéralisation de l'économie indienne, en 1991 : les États-Unis deviennent alors le premier partenaire commercial de l'Inde, avant de devenir son premier investisseur. Cette tendance s'accentue lorsque s'amorce par la suite leur rapprochement sur les plans politique et militaire.
Toutefois, deux sujets majeurs opposent New Delhi à Washington : les violations supposées des droits de l'homme au Cachemire et le programme nucléaire et spatial indien. Concernant ce dernier, New Delhi rejette l'extension indéfinie du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) de 1996 (prolifération). En dépit des sanctions économiques américaines infligées à l'Inde à la suite de ses essais nucléaires de 1998, la visite de Bill Clinton en Inde, en mars 2000, permet une meilleure compréhension mutuelle.
New Dehli approuve le projet controversé de bouclier antimissile présenté par George W. Bush en avril 2001 et propose, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, son concours logistique à la guerre en Afghanistan. La lutte antiterroriste – devenue prioritaire au niveau mondial – offre un nouveau terrain d'entente entre les deux États.
Conclu en 2005 (finalisé en 2008), l'accord sur le nucléaire civil marque l'aboutissement du rapprochement stratégique avec les États-Unis. C'est d'ailleurs pour une large part l'union de ces deux puissances qui fait échouer les négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à la fin juillet 2008 ou encore le sommet international sur le climat de Copenhague en décembre 2009.
Les aspirations indiennes à occuper une place prééminente dans un monde multipolaire s'expriment, notamment, par la revendication, maintes fois rééditée depuis la fin de la guerre froide, d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ; une revendication soutenue publiquement par les États-Unis et la France à l’occasion des voyages de Barack Obama et de Nicolas Sarkozy effectués respectivement en novembre et décembre 2010. Elles sont également manifestes au lendemain du tsunami du 26 décembre 2004, qui dévaste l'État du Tamil Nadu, les archipels d'Andaman et de Nicobar : entendant démontrer sa capacité à gérer seule la crise, l'Inde écarte les offres d'aide étrangères, notamment australiennes.
À la suite de l’accession au pouvoir du nationaliste N. Modi en 2014, le rapprochement avec les États-Unis, dont témoigne le lancement du « Dialogue stratégique Inde-États-Unis » (juillet 2009), est confirmé. Après l’élection de Donald Trump à la présidence en 2016, la déclaration commune clôturant la visite du Premier ministre indien à Washington en juin 2017 traduit une continuité, que viennent cependant troubler les tensions commerciales en 2019.
Mais c'est avant tout dans les domaines économique et technologique que l'Inde semble le plus à même de trouver la reconnaissance internationale à laquelle elle aspire. En octobre 2008, elle réalise un premier lancement de mission non habitée vers la Lune. Et la crise financière et économique qui s'abat sur le monde à l'automne la fait émerger comme acteur planétaire de premier ordre dans les sommets internationaux (comme ceux du G20 depuis 2008) aux côtés des autres membres du BRICS, groupe des principales puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) avec lesquelles les pays développés doivent désormais de plus en plus compter.