Amazonie
Vaste région de l'Amérique du Sud, correspondant aux bassins moyen et inférieur de l'Amazone, s'étendant principalement au Brésil.
C'est une zone basse, presque déserte, au climat équatorial, où domine la grande forêt toujours verte, entaillée, au Brésil, par les routes Transamazoniennes.
Couverte par la plus grande forêt du monde intertropical et baignée par le fleuve le plus puissant de la planète, l'Amazonie – qui s'étend sur six pays, mais principalement au Brésil – est l'univers de la démesure. Aussi peu peuplée qu'un désert malgré son potentiel économique, elle a vu sa population doubler en trente ans. C'est l'un des derniers grands fronts pionniers s'offrant aux hommes.
1. Le milieu physique
Deux éléments essentiels caractérisent le milieu physique de l'Amazonie : l'Amazone et son réseau hydrographique en premier lieu, et la forêt dense ensuite, milieu si spécifique que ses caractères gouvernent aussi bien les formes de vie que les sociétés humaines.
L'Amazonie couvre environ 6 millions de kilomètres carrés, dont les trois cinquièmes au Brésil, le reste appartenant essentiellement à la Colombie et au Pérou, et, pour de plus faibles surfaces, à la Bolivie, au Venezuela, à la frange orientale de l'Équateur, à la Guyane, au Suriname et à la Guyane française. C'est une gigantesque plaine en forme de poire, qui s'étend de l'Atlantique au piémont andin, dans le sens est-ouest, et qui déborde sur les plateaux proches (Guyanes, Mato Grosso) et s'étend, dans le sens nord-sud, sur plus de 20° de latitude (5° de latitude N.-15° de latitude S.).
1.1. Aperçus géologiques
Les éléments géologiques montrent une architecture simple : deux massifs cristallins, éléments des boucliers antécambriens du Brésil (au sud) et des Guyanes (au nord), soutiennent un alignement de vastes bassins sédimentaires, dont l'ancienneté et l'épaisseur augmentent de l'Atlantique aux Andes. Le premier bassin, qui correspond à l'embouchure du fleuve et à son lit commun avec le Xingu dans son cours inférieur, atteint plus de 3 000 m d'épaisseur. En amont, jusqu'au confluent avec le rio Madeira, un deuxième bassin aussi profond contient des terrains paléozoïques et cénozoïques (des derniers dominants), couverts de grès pliocènes. De la partie centrale au pied des Andes, les sédiments se sont entassés sur plus de 4 000 m depuis le début du Paléozoïque (530 millions d'années).
Rattachée à l'Afrique et à l'Antarctique dans un immense continent appelé Gondwana, l'Amérique du Sud s'en détacha pour migrer vers l'ouest, jusqu'à sa position actuelle, acquise au début du quaternaire. Elle constitua donc longtemps un monde clos et isolé et ses espèces végétales et animales, initialement proches de celles de l'Afrique ou de l'Australie, s'en différencièrent peu à peu. Ce n'est qu'au cours du quaternaire qu'un pont continental, l'Amérique centrale, la relia à l'Amérique du Nord, dont les formes de vie sont encore assez différentes.
1.2. La topographie
Les altitudes, le plus souvent inférieures à 200 m – 100 m dans la gouttière fluviale –, approchent rarement 400 m. La topographie présente un aspect étagé : parallèlement à l'axe du fleuve, les terrasses fluviales inondables (lesvárzeas), qui concentrent les sols fertiles, ne représentent qu'à peine 3 % de la superficie totale. Elles sont surmontées de plaines presque horizontales. Sur les interfluves, au contraire, les terras firmas (terres fermes d'interfluve, non inondables) sont très lessivés, au point de n'être plus que des sables, à un mètre environ de profondeur, et couverts de forêt.
1.3. L'Amazone
Second fleuve par la longueur après le Nil, l'Amazone, qui prend sa source au Pérou, est le premier par le volume des eaux qu'il charrie. Il doit cette abondance à la surface de son bassin, qui, avec 7 millions de kilomètres carrés, est le plus grand du monde. Son débit moyen à l'embouchure est estimé à 180 000 m3s (quatre fois celui du Congo, deuxième fleuve par la puissance, et cent fois celui du Rhône), contre 160 000 m3s à Óbidos, situé à 1 000 km des côtes atlantiques. Les alluvions sont à l'origine de la distinction opérée entre les affluents du fleuve : les rios negros (noirs) sont chargés de fer et de matière organique ; les rios d'agua limpa sont limpides comme le Tapajós, et les rios brancos sont chargés d'alluvions claires et opaques (Madeira, Amazone). Les confluences entraînent parfois des phénomènes spectaculaires. Ainsi, à la rencontre de l'Amazone et du Negro, les eaux des deux fleuves ne se mélangent pas sur plusieurs kilomètres, tant elles sont abondantes et leurs caractéristiques différentes. Les eaux de l'Amazone sont si puissantes qu'elles forment un véritable barrage, faisant parfois refluer les eaux des affluents vers l'amont.
1.4. Le climat
Très chaud et très humide, le climat amazonien est typiquement équatorial dans le Nord-Ouest, et à nuance tropicale humide pour le reste de la région. Grâce à lui, et aussi parce que l'homme ne s'y est installé que tardivement, la forêt sempervirente y connaît un développement unique, les espèces vivantes y étant à la fois plus variées et plus riches en individus que partout ailleurs.
Les températures moyennes thermiques annuelles, très élevées, varient de 24 à 27 °C et les amplitudes diurnes de 8 à 10 °C. Les précipitations, dont la moyenne est de 150 à 200 mm par mois et d'environ 2 000 mm par an sur l'ensemble de la région, tombent durant 7 à 10 mois. Elles sont largement plus abondantes par endroits, à l'embouchure ou sur le cours supérieur de l'Amazone, par exemple. Quelques régions, telle la vallée du Branco dans le Nord, sont plus sèches. Si les fortes températures s'expliquent par la position en latitude, l'importance des pluies et surtout la brièveté de la saison sèche (août-octobre) sont plus énigmatiques dans cet espace continental. Séparée des vents d'ouest par la barrière des Andes et des alizés par le massif des Guyanes, l'Amazonie devrait connaître un climat relativement sec, à nuance continentale, en dehors des périodes de mousson. Il semble en fait que, selon la période de l'année, les alizés empruntent le couloir de la vallée de l'Orénoque, où des flux atmosphériques remontant le cours du fleuve depuis l'embouchure assurent un apport constant en air humide et provoquent des pluies à la rencontre des basses pressions atmosphériques, pratiquement constantes toute l'année sur l'Amazonie. De plus, la forêt dégage de grandes quantités de vapeur d'eau et de chaleur qui entretiennent le mécanisme des pluies quotidiennes, notamment en fin de journée.
1.5. La forêt amazonienne
L'Amazonie est couverte presque entièrement par une épaisse forêt pluviale. Il est paradoxal de constater que la forêt dense pousse sur des sols de qualité médiocre. Souvent minces (moins de 1 m, alors que les sols d'autres zones tropicales peuvent atteindre 2 m en forêt) et faiblement minéralisés, leur rôle se limite au support des grands arbres, qui étendent de longues racines à la surface du sol. Cette contradiction entre l'exubérance de la forêt et la pauvreté du sol s'explique par le fait que la forêt se nourrit, en quelque sorte, d'elle-même : les parties mortes de la végétation pourrissent en effet très vite, et leurs composants minéraux sont immédiatement absorbés par les arbres vivants.
La forêt amazonienne regroupe près de 390 milliards d'arbres, qui appartiennent à 16 000 espèces différentes. Environ 200 espèces sont dominantes et constituent plus de la moitié du total. Les espèces majoritaires sont les suivantes :
– des palmiers, notamment Euterpe oleracea, utilisé dans l'industrie agroalimentaire ;
– des Mysristicaceae, de la famille du muscadier ;
– des Lecythidaceae, de la famille du noyer du Brésil.
La forêt présente plusieurs strates (35 m, 20/25 m, 12/15 m) et est composée d'une grande variété d'espèces. Un hectare peut abriter plus de 200 espèces différentes d'arbres. Le sous-bois est particulièrement pauvre, car les grands arbres, dont l'ombre entrave la photosynthèse réalisée par les plantes basses, absorbent la plupart des ressources. Au-dessus, les arbres sont disposés en deux ou trois niveaux mêlant les futurs grands arbres et les espèces de taille moyenne, comme les palmiers. La strate supérieure est formée des plus grandes espèces qui atteignent 40 m, sauf dans l'est de l'Amazonie, où la forêt, de type plutôt tropical, est moins élevée et possède un plus grand nombre d'espèces caducifoliées. D'innombrables lianes et épiphytes (plantes enracinées sur d'autres), tels que les orchidées ou certains ficus, y pendent de leurs branches. Ces plantes prennent parfois la forme de parasites, étouffant peu à peu l'arbre sur lequel elles poussent; d'autres s'en servent seulement comme relais pour atteindre le sol. Dans la basse várzea, l'hyperhumidité ne permet l'existence que d'une prairie flottante. Sur ses marges, une forêt basse, composée en majorité de palmiers, s'agrippe aux rives. Sur la terra firma, en revanche, la forêt peut prospérer. À l'embouchure, la forêt continentale laisse la place à la mangrove, forêt caractéristique des littoraux tropicaux dont les arbres aux racines aériennes sont adaptés au milieu saumâtre.
Les limites de l'Amazonie coïncident avec celles du domaine de l'hévéa, arbre originaire de ce milieu. Exploité par l'homme, qui transforme sa sève (le latex) en caoutchouc, l'hévéa a été transplanté dans des régions au climat similaire, notamment en Asie du Sud-Est (Malaisie, Indonésie, Thaïlande).
Plus d'un cinquième de la forêt amazonienne a disparu depuis 1970.
1.6. La faune
La faune amazonienne, spécifique, présente peu de points communs avec celle des autres continents, car l'Amérique du Sud est longtemps restée isolée des autres continents.
L'Amazonie est la terre d'élection de plusieurs espèces de singes, très différents de ceux de l'Ancien Monde. Les marsupiaux sont également plus nombreux ici qu'ailleurs, l'Australie exceptée. D'autres mammifères se sont adaptés à la vie arboricole, tels les écureuils volants. Les reptiles (tortues, caïmans, serpents) sont surtout aquatiques, et vivent essentiellement dans les zones hyperhumides. La plupart des animaux sont adaptés à la pénombre constante régnant en forêt, comme en témoigne la grande taille des yeux des primates lémuriens. Quant aux oiseaux et insectes, ils pullulent.
L'Amazone et ses affluents comptent dix fois plus d'espèces de poissons que les fleuves d'Europe. Son bassin abrite probablement le quart des espèces d'oiseaux de la planète. Chaque année, les biologistes découvrent des dizaines d'espèces vivantes.
Exposés aux attaques de nombreux prédateurs, les animaux, comme les végétaux, ont élaboré une infinie diversité de moyens de défense pour se protéger. Des insectes usent ainsi de camouflages pour ressembler à des feuilles ou à des fleurs vénéneuses.
Chez d'autres espèces, comme certaines rainettes, l'épiderme est enduit de poisons très violents, et leur couleur, très vive, signale ainsi le danger aux agresseurs potentiels. La recherche pharmacologique trouve d'ailleurs en Amazonie un des domaines les plus riches en végétaux et animaux susceptibles de fournir des substances utiles à la médecine, notamment à la neurologie.
2. L'Homme et l'Amazonie
La vie s'est concentrée dans les vallées, surtout dans les várzeas qui se situent entre les terres qui, à peu près constamment immergées sous une faible lame d'eau, portent une forêt assez pauvre, et les interfluves non inondés (ou terras firmas). Bien que très chaud et humide, ce milieu tropical n'est pas des plus insalubres. Excepté le paludisme, les maladies les plus fréquentes des forêts équatoriales en général n'existent pas en Amazonie. L'organisme humain souffre néanmoins des faibles contrastes thermiques annuels, des forts degrés hygrométriques (presque toujours supérieurs à 80 %) et de nombreuses parasitoses.
Données principales de l'Amazonie
Données générales de l'Amazonie | |
Superficie | Environ 5 millions de km2 |
Pluviosité moyenne | 2 000 à 5 000 mm par an |
Température moyenne annuelle | 25-26 °C |
Amplitude moyenne annuelle | 4 °C |
Villes principales | Belem, Manaus, Iquito |
2.1. Les formes de peuplement
Très propice à la vie sauvage, l'Amazonie est en revanche un milieu répulsif pour l'homme. Le climat, les parasites et les germes pathogènes – l'aire d'extension de la fièvre jaune recouvre à peu près celle de la forêt –, mais aussi la forêt elle-même, ont gêné la croissance démographique. Jusqu'à la conquête par les Européens, les seuls habitants furent les ancêtres des actuelles populations indigènes amérindiennes, comme les Jivaros ou les Chavantes. Dispersés le long du fleuve et de ses affluents (rarement à l'intérieur de la forêt), ces peuples d'origines différentes et parlant des langues distinctes se regroupaient en petites communautés. Hormis à l'embouchure, sur la grande île de Marajó, aucune de ces sociétés ne forma de groupes assez nombreux pour donner naissance à une véritable civilisation capable de laisser des traces durables. Les genres de vie traditionnels sont, à l'inverse des conquêtes pionnières récentes, parfaitement adaptés au milieu naturel. La chasse et la pêche (à l'arc en hautes eaux et au piège en basses eaux) restent essentielles pour les Amérindiens, qui vivent surtout sur les interfluves et s'adonnent aussi à des cultures itinérantes de plantes vivrières (maïs et manioc surtout). La cueillette des fruits et des racines sauvages est encore pratiquée durant la longue saison des pluies et contribue aussi à la préparation de divers remèdes. Le fleuve était donc essentiel à leur vie : source de nourriture et d'eau, il servait aussi aux déplacements en pirogues, creusées dans des troncs d'arbre.
Les conquérants portugais visitèrent l'Amazonie dès la première moitié du xvie s., suivant eux aussi le cours du fleuve. Rapidement déçus par l'absence d'or, ils se contentèrent des produits de la forêt, mais, surtout, réduisirent de nombreux Indiens en esclavage. La population indienne était beaucoup moins nombreuse trois siècles plus tard : isolement, maladies, misère et perte du contrôle fluvial expliquent cette tragédie, comparable à celle que connurent les Indiens de l'Amérique du Nord au xixe s. Les Européens, découragés par des conditions de vie souvent difficiles, ne s'installèrent que très lentement dans cette région qu'ils pensaient dépourvue de richesses minérales, et n'y importèrent que peu d'esclaves.
La population reste aujourd'hui très faible : 25 millions d'habitants (dont les deux tiers au Brésil), soit environ 4 habitants par km2. De plus, cette population réside pour les deux tiers dans les villes, dont les deux principales, Manaus et Belém, dépassent le million d'habitants. Iquitos, au Pérou, est la troisième grande ville amazonienne, les autres villes de taille notable étant toutes brésiliennes. Le mouvement des populations rurales, souvent très pauvres, vers la périphérie des villes accentue la tendance à l'urbanisation. Si la population ne cesse d'augmenter – elle a plus que doublé durant les trente dernières années –, la forêt reste un désert humain, puisque les principales villes sont installées le long du fleuve et de ses grands affluents.
Parmi les principaux peuples amérindiens qui vivent en partie ou en totalité en Amazonie figurent les Krenakrores, les Makusis, les Tucunas, les Jivaros, les Aguarunas, les Mawés.
2.2. Les étapes du front pionnier
Front pionnier, l'Amazonie est un monde où l'homme conquiert des terres pratiquement vierges pour les utiliser et tenter d'y prospérer. Cette conquête se révèle toutefois difficile et souvent tragique, puisqu'elle a impliqué le massacre partiel des premiers habitants, les Amérindiens, et que la faiblesse de la population actuelle traduit la lenteur de la progression commencée voici cinq siècles.
L'Amazonie, qui couvre 42 % de leur territoire, est aux Brésiliens, peuple de pionniers et de migrants, ce que le Far West des États-Unis fut aux colons anglo-saxons. Mais si les montagnes ne représentent pas ici un obstacle – les altitudes ne dépassent nulle part 300 m –, la forêt dense en est un de taille. À la fin des années 1960, le gouvernement militaire crée la Surintendance du développement de l'Amazonie (Sudam). La politique des stimulants fiscaux pour favoriser l'investissement en Amazonie a suscité divers fronts pionniers de très rapide extension. Leur évolution rappelle la marche pionnière classique du sud du Brésil, bien que les débuts aient été marqués par un fort dirigisme de l'État fédéral. La colonisation agricole a débuté le long des nouvelles routes, devant assurer un peuplement rapide par l'installation de petits agriculteurs venus surtout du Nord-Est. Pour la plupart chassés du Nordeste par la sécheresse, les paysans croyaient qu'ils pouvaient tirer quelque bénéfice de cette dictature du bulldozer dans les grandes zones de colonisation dirigée (le long des grandes percées des routes transamazoniennes) ou en vendant leur force de travail dans les grands ranchs privés.
Quelques milliers de familles ont été ainsi installées jusqu'en 1974 par l'Institut national de colonisation et de réforme agraire (I.N.C.R.A.). À partir de 1974, les difficultés d'une petite colonisation en terre équatoriale, autant que les besoins urgents de l'État en devises pour solder une dette extérieure monumentale, ont suscité une nouvelle politique d'exploitation du milieu amazonien par l'implantation de pôles de développement. Ceux-ci peuvent être « agropastoraux » et se limiter à la création de grandes fermes (plusieurs dizaines de milliers d'hectares) d'élevage extensif sur prairie artificielle. Ils sont « agrominiers » lorsqu'ils visent aussi à l'extraction des énormes réserves de fer du plateau des Carajas (sud-est du Pará), de la bauxite du rio Trombetas, de la cassitérite du Rondônia, du manganèse de l'Amapá. À l'égard des Indiens, cette nouvelle politique s'accompagne d'une acculturation forcenée qui revêt des formes parfois violentes.
Si certains résultats, comme l'exploitation du fer de Carajás, ont été positifs, la conquête de cet espace apparemment homogène – mais en fait tellement contrasté – est loin d'être achevée, et a incité les paysans à s'associer à la révolte des Amérindiens. Au défi économique orchestré depuis Brasília – autre construction pionnière symbolique – et les sièges de quelques grandes sociétés multinationales s'est opposé, à partir des années 1970, celui des écologistes. Défenseurs des tribus indiennes, ces derniers considéraient que la destruction de la forêt amazonienne – indispensable à l'équilibre de la biosphère – pourrait avoir de sensibles répercussions sur le climat de la planète. L'antagonisme entre les partisans du développement économique et les défenseurs de la forêt prend souvent une tournure violente.
2.3. L'économie régionale
La cueillette commerciale est encore très usitée. La forêt constitue la première et la plus ancienne des ressources amazoniennes. Le bois est la principale production. La forêt amazonienne offre toutefois moins de ressources en ce domaine que celles d'Afrique ou surtout d'Asie, et la répartition des espèces exploitables n'est pas encore bien connue. Outre les bois, dont l'exploitation est rendue difficile par l'extrême dispersion des espèces dites précieuses, la châtaigne du Pará (amande provenant de l'arbre Bertholletia excelsa et fournissant de l'huile) est très recherchée dans l'Acre, les basses vallées du Tocantins et de l'Amazone. Berceau de l'hévéa (Hevea brasiliensis), l'Amazonie a connu jusqu'à la Première Guerre mondiale une certaine prospérité grâce au caoutchouc, qui fit de Manaus une ville riche et moderne en pleine jungle, qui possède même un opéra. Les plantations d'hévéas, lancées par Ford en 1928 dans la basse vallée du rio Tapajós (Fordlandia et Belterra), ont connu bien des vicissitudes. La création de vastes plantations en Indochine et l'invention du caoutchouc synthétique ruinèrent et la capitale amazonienne et l'exploitation des hévéas, dont la sève est récoltée par des forestiers itinérants, les seringueiros, qui saignent les arbres et en recueillent tous les jours le latex, qu'ils sèchent dans la fumée. Des firmes de pneumatiques ont relancé la plantation industrielle dans l'État du Pará, en des lieux moins isolés des routes et du port de Belém. Des plantations familiales de poivriers, pratiquées par des descendants de Japonais dans la vallée du rio Guamá (Pará), et de jute, dans la plupart des várzeas de l'Amazonie orientale, alimentent un assez fort commerce avec l'étranger. Outre le bois et le latex, les fruits, les huiles et les graines sont récoltés et exploités.
Les systèmes de culture
Les cultures vivrières sur brûlis – les cendres des arbres incendiés fertilisant le sol pour quelques années – ne conviennent qu'à des populations peu nombreuses et itinérantes (le sol est à nouveau épuisé au bout de cinq à dix ans). D'autres techniques ont été utilisées, notamment par des groupes d'agriculteurs d'origine japonaise, qui apportent systématiquement aux sols les constituants chimiques manquants. Ainsi fut développée la culture des poivriers et du corchorus. Il s'agit toutefois de techniques agricoles coûteuses, qui requièrent des cultivateurs ayant reçu une formation adéquate. Les autorités brésiliennes ont tenté d'implanter des exploitations de ce type, mais elles ont échoué, à l'exception de celles de l'État du Rondônia, où l'on produit surtout du manioc.
Longtemps limité aux seuls besoins des agriculteurs, l'élevage a connu une forte expansion depuis trente ans, d'abord du fait d'initiatives brésiliennes (qui se soldèrent par de nombreux échecs), puis sous l'impulsion de grandes sociétés multinationales. Il s'agit d'un élevage extensif de dizaines de milliers de bovins, pour les besoins duquel des centaines de milliers d'hectares de forêt ont été brûlés. Là encore, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, puisque la production, destinée à l'exportation, ne profite que très peu aux régions d'implantation.
Les mines et les industries
L'or, si longtemps espéré, n'est exploité que depuis peu de façon significative, dans des gisements ou sur des pontons flottants (par filtrage des eaux des rios negros). Des milliers de seringueiros, abandonnant les hévéas peu productifs, vendent leur production aurifère à des négociants qui en retirent de gros bénéfices. Les recherches pétrolières, après des signes très encourageants dans le delta de l'Amazone, se sont révélées vaines. En dehors de quelques gisements de minerai de fer, de bauxite, de potasse et de diamants, seuls deux minerais (le manganèse et, depuis peu, l'étain) sont exploités de manière rentable.
L'industrie reste limitée à Belém et à Manaus. Cette dernière connaît une nouvelle prospérité, après un demi-siècle de déchéance, grâce à sa zone franche (zone de production et de commercialisation vers l'étranger, libre de droits de douane) créée dans les années 1960 près du port fluvial, lequel peut recevoir des navires de haute mer. L'industrie électronique y connaît aujourd'hui une certaine réussite. Hors du Brésil, l'économie amazonienne, essentiellement agricole et commerçante, reste très rudimentaire. Iquitos, la dernière ville sur le fleuve accessible à des navires de fort tonnage et qui bénéficie de la présence d'un important aéroport, vit ainsi d'échanges entre produits de la forêt et articles manufacturés importés.
Les transports
L'un des problèmes essentiels de l'Amazonie demeure celui des transports. Si les cours d'eau sont généralement navigables, les zones comprises entre les rivières sont difficiles d'accès. L'avion permet de transporter des passagers en tous points, mais peu de marchandises et à des coûts trop élevés. Le chemin de fer est insuffisamment développé, la construction et l'entretien des voies étant fort difficiles et onéreux. L'État brésilien a donc décidé, dans les années 1970, la construction des routes transamazoniennes, tracées à travers la forêt. Les résultats sont discutés : si la route joignant Belém à la capitale, Brasília, est une réussite, celle traversant le sud de l'Amazonie d'est en ouest est plus controversée. Très coûteuse, elle nécessite un entretien constant, la forêt repoussant très vite après les défrichements. Coupée de bacs à chaque rivière, peu efficace et très lente, elle endommage la forêt, provoque une importante érosion des sols fragiles mis à nu, et suscite l'hostilité des Indiens, dont les territoires sont traversés, et des paysans.
L'économie amazonienne reste donc marquée par un grand manque de productivité dans tous les domaines, un échec aggravé par les conflits sociaux et les dégâts écologiques qu'il a provoqués.
2.4. Un espace menacé
L'Amazonie met en contact des populations aux intérêts divergents. Il en résulte plusieurs menaces graves, aussi bien pour les hommes que pour la forêt elle-même. Les Amérindiens, décimés par quatre siècles d'une colonisation portugaise parfois brutale et toujours néfaste (ils sont ainsi très exposés à l'alcoolisme ou à des maladies pour nous bénignes, comme la rougeole), ne sont plus que quelques milliers à vivre comme leurs ancêtres, en dépit de la politique de protection mise en place par les autorités brésiliennes et péruviennes depuis un demi-siècle. Les autres se sont réfugiés dans la périphérie des principales agglomérations, où ils vivent dans des conditions précaires. Certaines tribus, telle celle des Yanomani, se sont révoltées avec une violence croissante contre les défrichements des forêts de leurs réserves par les seringueiros et les éleveurs. Des massacres en ont résulté dans les deux camps, jusqu'à ce que l'État brésilien, encouragé par une opinion publique internationale alertée par les Indiens, impose un statu quo précaire. Caboclos (petits paysans) et seringueiros, eux aussi exaspérés par la pauvreté et l'utilisation insuffisante des terres par les grands propriétaires, ont à leur tour exprimé leur opposition, faisant parfois front commun avec les Amérindiens. À partir de 2003, le gouvernement de Luis Ignacio Lula da Silva s'est ressaisi de cette question à la suite notamment de la mobilisation des Indiens et d'un rapport très critique d'Amnesty International. En 2005, après avoir déjà reconnu une cinquantaine de nouvelles terres indigènes (pour un total de 653), il a ainsi créé cinq nouvelles réserves dans l'État d'Amazonas et reconnu officiellement celle de Raposa Serra do Sol (dans l'État de Roraima) où s'étaient intensifiés les conflits entre fermiers et communautés amérindiennes. Ces dernières ont remporté une importante victoire en 2009 en obtenant gain de cause devant la Cour suprême qui a interdit la fragmentation de ce territoire de 17 000 km2 et ordonné l'expulsion des agriculteurs qui s'y étaient installés illégalement.
Les conflits dont le front pionnier amazonien est le théâtre ne concernent pas que les hommes. La forêt, principal enjeu économique, souffre de défrichements incontrôlés. Mais, plus que les destructions massives, compensées par la capacité de repousse rapide de la forêt, c'est l'absence de précautions préalables qui est grave : la plus grande richesse de l'Amazonie est d'être le principal réservoir biologique de la planète. La forêt secondaire (apparue après défrichement) étant toujours beaucoup moins riche biologiquement qu'une forêt primaire, l'Amazonie perd peu à peu son potentiel vivant. Le gouvernement brésilien a donc créé un ensemble de réserves écologiques avec l'aide de la communauté internationale, afin de mieux connaître le milieu amazonien et d'en préserver l'avenir, tout en permettant l'exploitation économique d'un monde encore peu connu.