Journal de l'année 1er juillet - 31 décembre 1982 1982Éd. 1982

Les voyages officiels à l'étranger du chef de l'État (Hongrie, Grèce, Afrique noire, Égypte, Inde) et même la crise parlementaire qui voit à Bonn le social-démocrate Helmut Schmidt céder la chancellerie au chrétien-démocrate Helmut Kohl (sans que les relations franco-germaniques en soient d'ailleurs affectées) sont éclipsés par tous ces grands dossiers-là.

Les Français, de plus en plus sensibles à la dimension mondiale de la crise, en retiennent surtout un sentiment de précarité et de vulnérabilité qui ne les pousse pas à l'optimisme.

Sécurité et défense

À Paris, un autre thème alimente d'ailleurs cette impression d'insécurité : le terrorisme. Il est souvent lié aux événements du Moyen-Orient, avec les attentats répétés contre les diplomates israéliens et contre les représentants de l'OLP ou bien avec des actions violentes revendiquées par des Arméniens. Mais il frappe aussi les imaginations avec deux types d'attentats plus imbriqués encore avec l'Hexagone : l'horrible massacre de la rue des Rosiers qui, en août, fait six morts à Paris et vise la communauté juive française ; la réapparition d'une violence redoublée en Corse à l'instigation des indépendantistes du FLNC (Front de libération nationale corse) : explosifs, armes à feu, extorsion de fonds, chantage et intimidation contre les Français venus du continent, tout est bon pour les militants de cette dernière cause.

Le gouvernement, qui, la première année de son règne, avait joué l'apaisement et le dialogue, opte maintenant pour la sévérité et la défense de l'ordre républicain. Le SAC est dissous en juillet, le mouvement gauchiste Action Directe en août. François Mitterrand, très marqué par l'attentat de la rue des Rosiers, nomme Joseph Franceschi, spécialiste du maintien de l'ordre, secrétaire d'État à la Sécurité publique et explique à la télévision ses intentions de fermeté. La Corse a désigné, le 8 août, à la représentation proportionnelle, son assemblée régionale, où siègent sept autonomistes et dont le premier président est le radical de gauche Prosper Alfonsi. Il n'est pas question de céder à la violence dans l'île de Beauté. Là aussi, c'est en quelque sorte une rigueur de gauche qui s'installe.

Ce quart de tour sur tous les fronts suscite, avec l'automne, une cascade de mauvais sondages. La cote du président de la République et celle du Premier ministre se détériorent gravement. L'état de grâce laisse la place à l'état de grogne, le climat de confiance se délite. Les ministres qui incarnent l'austérité voient leur popularité reculer brusquement. Le mécontentement mobilise la clientèle de l'opposition, cependant que le « peuple de gauche », comme aiment à dire les hiérarques socialistes, s'interroge, s'inquiète et tombe parfois dans la tentation du dépit. À l'aune de l'opinion publique, un net mouvement de reflux sanctionne la rigueur. L'exécutif paie ainsi cruellement les trop grandes espérances qu'il avait suscitées chez les siens.

Mécontentement

Cette altération générale se retrouve bien sûr dans les comportements catégoriels. Tour à tour, les petits patrons en colère du SNPMI, très hostiles notamment aux lois Auroux sur les droits des travailleurs, rassemblent 15 000 adhérents porte de Pantin, les professions libérales 50 000 personnes pour manifester, les artisans et les commerçants 30 000 pour défiler dans la capitale, la CGC, — moins heureuse — quelques milliers de militants, le CNPF, enfin, 20 000 patrons et cadres dirigeants aux états généraux de l'entreprise à Villepinte.

Ce sont toutes les classes moyennes et l'essentiel de la bourgeoisie qui font entendre ainsi leur mécontentement contre les difficultés de l'heure et les mesures gouvernementales qui les frappent avec le changement. Mais, symétriquement, une grogne nouvelle affleure aussi chez ceux des salariés dont l'arrivée de la gauche n'a pas su régler les problèmes : ainsi, les sidérurgistes, particulièrement touchés par la crise, vont jusqu'à conspuer Pierre Mauroy à Denain ; des conflits violents se déroulent chez Citroën et chez Talbot, mais il s'agit cette fois d'une épreuve de force entre direction et CGT.