Ce mouvement est aussitôt défendu par un jeune polémiste provençal, Charles Maurras, pour qui l'École romane est le fer de lance d'un mouvement de régénération culturelle plus général qui s'oppose au romantisme germanique, accusé de promouvoir le subjectivisme, la liberté arbitraire de création et le goût du changement, à l'opposé du sens de la permanence hérité des canons classiques de la latinité. Tout un pan de la critique va s'engouffrer dans ce type d'analyse. Le culte de la Méditerranée devient le lieu de la recherche d'un art de la permanence classique, refusant le culte naturaliste de l'accident mais aussi la prédilection moderne pour l'ébauche et les effets de fugacité. Le corps massif sculpté par Maillol est à la fois charnel et géométrique, dans un mélange très calculé de détails naturalistes et de volumétrie architectonique : « Ma Méditerranée est inscrite dans un carré parfait », aime à rappeler le sculpteur. Les détails pittoresques du corps, encore présents dans l'étude de 1902, sont ignorés au profit de la structure d'ensemble : l'harmonie du corps rejoint un ordre architectural plus global dans l'esprit de la « renaissance classique ». Maurice Denis y reconnaît la facture d'un « primitif classique », synthèse plastique entre la statuaire grecque et la pureté hiératique de la sculpture gothique médiévale. La Femme de Maillol, avant même de prendre le titre Méditerranée, est devenue l'incarnation d'une « renaissance de l'idéal classique ». Contre la trivialité obscène du naturalisme, il faut imposer un idéal corporel, celui d'une femme puissante et fertile, propre à assurer la régénération de la race latine, la « raço latino » chantée par Mistral. La Méditerranée de Maillol est un exemple de refonte classique du corps qui fera, à la suite de la Première Guerre mondiale, de nombreux émules parmi les sculpteurs du retour à l'ordre (Henry Bouchard, Charles Despiau, Antoine Bourdelle, Charles Malfray...).

On constate la même ligne idéologique dans la peinture dite « méditerranéenne ». L'exposition du Grand Palais propose ainsi deux peintres catalans, Salvador Dalí et Joaquin Mir. Le premier est le Dalí d'avant le surréalisme, un Dalí moins connu dont la facture est totalement tributaire d'un mouvement esthétique catalan connu sous le label « noucentisme ». Il aurait été judicieux de présenter à ses côtés quelques œuvres d'autres membres moins connus de cette tendance, comme Joaquin Sunyer, qui peint des scènes idylliques sur le bord de la côte méditerranéenne. À vouloir privilégier les peintres majeurs, on rate l'enjeu idéologique de cette passion pour la Côte. L'exemple catalan est pour cela représentatif. La Catalogne, dont le mouvement nationaliste se répand au passage du siècle, va défendre les valeurs plastiques de la Méditerranée pour se démarquer du modèle castillan imposé par le centralisme madrilène. Dès 1906, Eugeni d'Ors invite les Catalans à découvrir en eux « ce qu'il y a de méditerranéen » : « Tout le sens idéal d'un geste rédempteur pour la Catalogne consiste aujourd'hui à découvrir la Méditerranée. » Très vite, c'est toute une esthétique qui se reflète dans cette référence à « l'éternelle beauté classique » et qui deviendra, quelques mois plus tard, ce que d'Ors appelle le « noucentisme » (traduction littérale du « novecento » italien, l'art du nouveau siècle).

Ce modèle fera florès parmi les sculpteurs influencés par Maillol (Enric Casanovas, Josep Clara, Esteve Monegal, Fidel Aguilar, Pau Gargallo ou Manolo Hugué). Il se retrouve à la même époque dans les paysages ruraux des peintres catalans que le critique et poète Josep Maria Junoy réunit en 1910, sous le label d'« École méditerranéenne ». Junoy y rassemble quelques peintres paysagistes chez qui se mêlent l'héritage latin et les leçons du « classicisme moderne » de Cézanne, avec cette même fusion intime des corps et de la nature que l'on retrouve dans les nombreuses pastorales peintes par Joaquin Sunyer, Josep de Togores, Francesc Vayreda ou Xavier Noguès entre 1910 et 1930. L'exposition aurait pu en montrer quelques exemples. La qualité de la sélection des œuvres n'en aurait pas souffert, le propos s'en serait plutôt enrichi. Car c'est cette même idéologie que l'on retrouve en filigrane dans la Jeune Fille à la fenêtre de Dalí accrochée sur les cimaises du Grand Palais. L'œuvre est présentée hors de son contexte historique, essentiel pourtant à sa lecture idéologique, à l'antipode des choix surréalistes assumés une dizaine d'années plus tard. Globalement, c'est donc un parti pris beaucoup trop formel et conventionnel que l'on peut reprocher à cette exposition. On serait en droit d'attendre des expositions qu'elles posent plus clairement de nouveaux éclairages sur les paradoxes de la modernité. La Méditerranée aurait pu être vue sous un jour plus neuf. L'occasion est manquée, dommage.

Pascal Rousseau,
critique d'art