Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Télécommunications

Pendant l'année 1994, les grandes firmes dominantes en matière de télécommunications, comme, aux États-Unis, ATT (leader mondial), McCaw, Spring ou, en Europe, British Telecom, France Telecom ou Deutsche Telekom, ont continué à préparer activement l'échéance européenne de 1998, c'est-à-dire l'ouverture du marché à la concurrence. Les uns et les autres de ces opérateurs, publics ou privés, se sont lancés, de gré ou de force, dans de grandes manœuvres stratégiques ; d'un côté, il s'agit de saisir une part importante d'un marché en plein essor et en voie de mondialisation à la suite de l'accélération, depuis quelques années, d'une mutation technologique spectaculaire ; d'un autre côté, comme cette dernière multiplie à la fois les services rendus et les zones de concurrence entre télécommunications proprement dites et tous les autres systèmes de communication, les opérateurs ont cherché à travers un jeu frénétique d'alliances à intégrer ces autres systèmes dans leur réseau d'activité.

L'ouverture du service téléphonique de base a été imposée par l'explosion des innovations technologiques. D'un côté, celles-ci ont accru le nombre des services rendus aux usagers : téléphone mobile, vidéoconférence et à la demande, télévision par câble et interactive, presse électronique, téléachat, télémédecine, télérecherche (Internet) ; d'un autre côté, les combinaisons possibles de ces technologies ont élargi la gamme des services et enrichi leur contenu. Ainsi, l'association du câble et des signaux numériques facilite la transmission, dans des débits impressionnants, de la voix mais aussi des images et des données. Comme, par ailleurs, les frontières entre le téléphone, le Minitel, la télévision, le jeu vidéo et l'ordinateur personnel tendent à s'effacer, chaque usager peut, sur un écran unique et chez lui, recevoir des pages illustrées de livres ou de magazines, des jeux, des films et envoyer sans image des données au destinataire de son choix.

En un mot, n'importe quel usager est en mesure de disposer maintenant d'un ensemble de services interactifs, appelés échanges multimédias ou, mieux encore, autoroutes de l'information ; cet ensemble repose sur un support numérique pour la réception et l'envoi de l'information sous toutes ses formes (sons, images animées, fixes ou virtuelles). Sous le nom d'« autoroutes de l'information » sont désignés des réseaux fixes en fibre optique (nouveau matériau fabriqué industriellement), qui facilitent l'acheminement d'énormes volumes d'information sans déperdition, à partir de n'importe quel point du territoire (et plus tard de la planète) en direction de n'importe quel autre, ainsi que tous les signaux de communication imaginables : voix, textes, films de cinéma, graphiques, jeux vidéo, etc. Ces véhicules ou signaux ne peuvent d'ailleurs circuler que s'ils sont traduits au préalable en langage numérique. Grâce à l'un et à l'autre, les systèmes de communication seront unifiés : les échanges téléphoniques (voix, fax...) et les images de télévision ne circuleront plus sur des canaux séparés.

Les autoroutes de l'information représentent un saut technologique majeur Un tel saut implique une politique d'investissements massifs que les opérateurs américains, japonais et allemands ont déjà amorcée, en avance sur les autres. Aussi France Telecom se demande-t-il s'il doit abandonner sa stratégie actuelle consistant à adapter son statut, à réformer sa grille de tarifs, à se préparer à la levée des barrières réglementaires sur les infrastructures, à tenter de réduire son endettement et à nouer des alliances pour pénétrer le marché américain (comme l'association de France Telecom et de Deutsche Telekom avec Spring, troisième opérateur américain de longue distance). Au lieu de chercher à être prêt dans de bonnes conditions de compétitivité au 01-01-1998, date à laquelle les monopoles existant sur les services téléphoniques seront supprimés, il serait préférable de miser sur les nombreux et puissants effets d'entraînement de la fibre optique et du numérique. Le débat est ouvert entre ceux (comme les fabricants de matériels) qui considèrent que le tout optique, le tout numérique correspondent au meilleur pari à moyen terme et ceux (dont France Telecom) qui craignent que, face à cette offre fantastique de produits et de services, les usagers n'adoptent pas ces nouvelles techniques de communication assez vite afin que se crée une clientèle prête à payer et que se dégagent ainsi des recettes et des moyens de financement nécessaires.

Gilbert Rullière