En novembre, la condamnation à dix ans de prison de Michael Milken, ce financier génial qui « inventa » le système des junk bonds (obligations pourries), est symbolique d'une époque révolue. En dix ans, ce système a permis à la Bourse d'offrir plus de 200 milliards de dollars de bénéfices à ceux qui entraient dans ce jeu. D'où le décollage de ce qu'on a appelé l'économie financière ; d'où la multiplication des OPA ; d'où le krach de 1987... Désormais, on assiste à une réhabilitation de l'économie réelle et de la logique des grandes entreprises au détriment de l'irrationalisme des casse-cou de la finance.

Le réalisme s'est imposé également à l'ancien candidat Bush dont le principal argument de campagne avait été : « Read my lips : no new taxes » (en français : lisez sur mes lèvres : pas de nouveaux impôts). Dès le printemps, le président laisse entendre qu'il va lui falloir opérer un changement déchirant, c'est-à-dire imposer davantage les revenus les plus élevés (la tranche supérieure passerait de 28 à 31 %) et l'essence, sujet très délicat au pays du gallon à bas prix. L'opinion le prend mal, d'autant plus que George Bush se contredit plusieurs fois au cours de l'été. Sa popularité en pâtit, passant de 75 % en septembre (au plus fort du déploiement militaire dans le Golfe) à moins de 50 % quelques semaines plus tard.

Dans un autre domaine, l'administration républicaine a pu enregistrer avec satisfaction un tassement relatif de la consommation de drogues : un sondage montre que les lycéens n'étaient plus que 3 % à déclarer consommer régulièrement de la cocaïne, contre 7 % cinq ans auparavant. La grande mobilisation contre les narco-trafiquants et les dealers commencerait-elle à porter ses fruits ? La jeunesse demeure néanmoins au centre des préoccupations. Au-delà de la crise de l'enseignement, qui, ici comme ailleurs, révèle une inadaptation croissante des institutions à l'éducation de masse, la violence est en passe de devenir un point de passage difficilement évitable du parcours juvénile dans les villes américaines : chaque année, plus de 4 000 jeunes sont assassinés, et cette proportion est bien supérieure à celle des autres pays développés. Cette violence touche bien plus les enfants des minorités (il y aurait plus de jeunes Noirs en prison qu'à l'université) que ceux de l'« élite » blanche et peut parfois sembler remettre en cause le modèle du melting pot.

Si, globalement, on continue d'assister à un raidissement de l'opinion sur les questions de société et de morale (l'affaire de la censure d'œuvres artistiques jugées obscènes, puis finalement autorisées, a ainsi défrayé la chronique), il n'en demeure pas moins que l'Amérique doit affronter, avec plus d'acuité que jamais, le double défi de la pauvreté et de l'intégration raciale : 50 % des enfants noirs vivent dans la pauvreté (40 % des Hispaniques) contre 13 % pour les Blancs. Par ailleurs, de 1969 à 1989, les familles officiellement pauvres (et donc majoritairement de couleur) ont vu leur part dans le total des revenus passer de 4,1 à 3,8 % tandis que la part des familles riches passait de 43 à 46 %.

La nouvelle donne internationale, caractérisée par la chute de la tension est-ouest et la fin de la course aux armements, permettra-t-elle aux États-Unis de toucher les « dividendes de la paix » pour les affecter ensuite aux plus défavorisés de l'intérieur ? Rien n'est moins sûr. Les conflits régionaux, jusque-là contenus par l'affrontement des deux Grands, risquent de se multiplier. D'autre part, la situation en Europe orientale nécessite une aide accrue de l'Ouest, et notamment de l'Amérique. Plusieurs voix se sont fait entendre pour réclamer un nouveau plan Marshall à l'intention de l'Est en rappelant qu'à l'époque (1947-1953) les États-Unis avaient accordé plus de deux milliards par an (au cours actuel) à l'Europe occidentale. En 1990, seulement 300 millions de dollars ont été débloqués en faveur des nations de l'ancien empire communiste.

Malgré toutes ces difficultés, George Bush aura relativement bien surmonté l'épreuve des élections de novembre et maintenu presque intactes les positions républicaines au Congrès et dans les États de l'Union.

Jules Chancel