Absolue le 8 mai 1988, relative le 12 juin 1988, la « majorité présidentielle » ne disposait plus que d'un support électoral minoritaire au soir du 18 juin 1989. À sa gauche, elle ne pouvait plus compter puiser dans le vivier électoral désormais asséché du PCF pour atteindre la barre fatidique de 50 % des votants qui assurerait sa pérennité gouvernementale. À droite, l'échec de Simone Veil prouvait que les électeurs centristes et libéraux avaient préféré voter utile comme le leur avait conseillé Valéry Giscard d'Estaing.

Dans le duel à fleuret moucheté qui l'opposait depuis 1981 à François Mitterrand, l'ancien chef de l'État avait remporté un succès important qui restaurait sa légitimité au plan national et rendait de nouveau crédible son éventuelle candidature à la présidence de la République. Il était donc le grand vainqueur de ces élections, mais il n'était pas le seul.

Certes, derrière lui, c'était toute la droite traditionnelle qui l'avait emporté dans la diversité des composantes de l'UDF et du RPR, dont le rééquilibrage au profit de ce dernier et au détriment du Centre devait être confirmé le 24 septembre par les grands électeurs, lors du renouvellement du tiers sortant des sénateurs.

Mais, parmi les vainqueurs, il fallait aussi compter ceux qui voulaient que le pays soit gouverné autrement : électeurs du Front national qui s'étaient prononcés en fait en faveur de la mise en œuvre d'une politique de retour en matière d'immigration ; écologistes prêts, au contraire, à favoriser la mutation de la communauté nationale en une communauté multiraciale dont l'énergie devrait être employée moins à l'essor de la production qu'à l'amélioration de la consommation dans le respect des spécificités régionales, qu'elles soient économiques, linguistiques, ethniques ou religieuses ; défenseurs de la chasse et de la pêche, enfin, qui avaient su rassembler les moyens financiers nécessaires pour mener une campagne à l'échelle nationale. Leur appel fut largement entendu, car il ne leur manqua que 0,87 % des suffrages exprimés pour faire leur entrée au Parlement de Strasbourg.

Un tel résultat n'est surprenant qu'en apparence. En s'abstenant ou en votant très minoritairement pour les représentants des quatre formations politiques qui se partageaient ordinairement leurs suffrages, les Français ont peut-être exprimé leur lassitude d'un incessant appel aux urnes. Mais ils ont sans doute et surtout manifesté un certain rejet à l'encontre du régime et des hommes qui l'incarnent, élus ou fonctionnaires. Considérés comme « souverains » le temps d'une campagne électorale, ils acceptent de moins en moins bien d'être traités en « sujets » par une administration censée mettre l'État à leur service et qui, en son nom, et nonobstant les aléas électoraux, les infantilise en s'armant sans cesse contre eux des rigueurs (fiscales ou pénales) de la loi.

L'avenir de la démocratie est en jeu. À ne pas tenir compte de cet avertissement, les princes qui nous gouvernent – ou ceux qui aspirent à nous gouverner – se réserveraient des lendemains qui déchantent.

Pierre Thibault