Journal de l'année Édition 1986 1986Éd. 1986

Vaille que vaille pourtant, certaines démocraties cherchent à s'affirmer. En Inde, Rajiv Gandhi est parvenu à un accord avec les Sikhs les plus modérés (24 juillet), mais l'un d'entre eux est assassiné le 20 août, et ce meurtre risque de remettre en cause l'équilibre des communautés. Au Pérou, c'est un social-démocrate de charme, Alan Garcia, qui est élu, à 35 ans, le 14 avril, président de la République (par 48 % des voix) et qui, avec le soutien de la population, s'efforce de contrer les exactions terroristes du Sentier lumineux (d'inspiration maoïste). En Bolivie, un centriste, Victor Estenssoro, est élu le 5 août, pour la quatrième fois, aux dépens de l'ancien dictateur Banzer. Au Brésil, surtout, la démocratie renaît. Le très populaire Tancredo Neves, élu le 15 janvier, meurt le 21 avril sans avoir pu vraiment exercer le pouvoir, mais son successeur, José Sarney, malgré le chaos financier où se trouve plongé son pays, décide des réformes audacieuses (réforme agraire, élection du président de la République au suffrage universel, légalisation du Parti communiste). En Argentine, les élections du 3 novembre renforcent le pouvoir du radical Alfonsin, et les militaires argentins, responsables de la terreur et de 30 000 « disparitions », sont solennellement jugés et condamnés à de longues peines de détention. Au Chili, les émeutes contre la junte de Pinochet se multiplient, prouvant bien que le continent sud-américain aspire à la démocratie. De même, en Asie du Sud-Est, on respire, aux Philippines, une atmosphère de fin de régime. En Corée du Sud, l'opposition sort renforcée des élections du 12 février. En Turquie, après cinq ans d'application, l'état de siège est presque entièrement levé le 19 juillet. Bref, la démocratie n'a pas dit son dernier mot.

Le monde communiste lui-même bouge à son rythme. La Chine, sans l'avouer, retourne de plus en plus à l'économie de marché. En Pologne, les clandestins de Solidarnosc sont devenus un interlocuteur reconnu des pouvoirs publics. En Tchécoslovaquie, le 7 juillet, pour la première fois depuis 1968, on voit 150 000 catholiques participer à un pèlerinage. En Albanie, la mort d'Enver Hoxha, le 11 avril, après quarante ans de sectarisme, ouvre à son successeur, Ramiz Alia, la possibilité d'une libéralisation. Le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Jean-Michel Baylet, y accomplit une visite officielle.

De même en URSS, la disparition de Tchernenko, le 10 mars, met fin à une période de transition et à la gérontocratie. Quinquagénaire, son successeur, Michaël Gorbatchev, s'entoure de fidèles (Gromyko est élu président de la République) et se lance dans une politique audacieuse à l'intérieur (lutte contre l'alcoolisme) et à l'extérieur (sommet de Genève, le 19 novembre).

Dans les démocraties occidentales, les gouvernements sortants gagnent les élections, en Grèce, le 2 juin, où les socialistes d'Andreas Papandhréou recueillent 46 % des suffrages, et en Belgique, le 13 octobre, où la coalition chrétienne-libérale, présidée par Wilfried Martens, sort renforcée malgré la politique d'austérité qu'elle a menée. Il y a là très certainement un encouragement pour Margaret Thatcher, qui a gagné sa guerre d'usure contre les mineurs (ils ont repris le travail le 3 mars après un an de grève, sans avoir rien obtenu) et qui poursuit sa lutte contre l'État-providence, ou pour Ronald Reagan, qui promulgue au printemps une réforme fiscale importante, qui privilégie les plus riches et les plus pauvres. Ceux qui auraient pu douter de son aptitude à gouverner (il a été opéré le 13 juillet d'une tumeur cancéreuse) auront été rassurés par le dynamisme qu'il affiche dans sa rencontre avec Gorbatchev, même s'il n'en sort pas grand-chose, si ce n'est la volonté proclamée d'accélérer les négociations sur le désarmement. Déjà, le 2 avril, à Bonn, le sommet des dix pays industrialisés avait été davantage un spectacle qu'une véritable négociation, si bien que François Mitterrand s'était interrogé publiquement sur l'utilité de ces réunions. À l'ordre du jour, le cours du dollar, qui avait atteint 10,62 F le 26 février (mais qui est retombé par la suite en dessous même de la barre des 8 F) et surtout le projet de « guerre des étoiles », dont la militarisation de la navette spatiale américaine a pu constituer le prologue. La France n'adhère pas à cette stratégie d'interception des missiles dans l'espace, qui rendrait sa dissuasion désuète, et elle a fait à ses partenaires européens une contre-proposition, celle d'un programme de recherche commun, Eurêka, envers lequel les Allemands sont réticents. Cependant, pour la première fois, les problèmes de défense préoccupent l'opinion française, comme l'a prouvé, le 18 avril, l'émission télévisée d'Yves Montand sur FR3 : la Guerre en face.