Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Ce n'est pas sans rappeler la célèbre phrase du général de Gaulle, rapportée par André Malraux : « Vous savez, mon seul rival international, c'est Tintin. » Alors ministre des Finances, Valéry Giscard d'Estaing évoque la potion magique du druide Panoramix à l'Assemblée nationale.

Engouement

Le phénomène ne se limite pas à l'Hexagone. Aux USA (terre d'élection et patrie du genre), environ 300 millions d'exemplaires de Comic Books sont vendus chaque année. Ancrés dans la réalité américaine, la série des Peanuts parait néanmoins dans 62 pays, en 21 langues, reproduite par 1 581 journaux et magazines.

En Italie, 300 titres tirent annuellement à 235 millions d'exemplaires. La Chine, Cuba, l'Algérie utilisent la bande dessinée à des fins didactiques ou révolutionnaires. Les pays de l'Est éditent aussi des héros de papier (Yougoslavie et Pologne en tête). L'URSS, à son tour, y vient progressivement.

La bande dessinée (nouvelle dénomination de l'antique illustré) n'est pas de création récente. Sans remonter aux ancêtres — images d'Épinal (vers 1824), Famille Fenouillard (1889), Bécassine (1905) en France ; Yellow Kid (1896) et Katzenjammer kids, Pim Pam Poum (1897) aux USA —, Tintin, Popeye et Tarzan, toujours célèbres aujourd'hui, sont nés il y a près d'un demi-siècle, en 1929.

La bande dessinée figure en bonne place depuis longtemps dans les hebdomadaires pour la jeunesse (la Semaine de Suzette date de 1903) et dans les quotidiens d'information (des séries paraissent depuis 1896 dans la presse américaine). Mais jamais les vignettes illustrées n'ont tant débordé leurs cadres d'origine.

Chronologiquement, l'engouement actuel trouve ses points d'ancrage au début des années 60. Le premier numéro de Pilote sort en octobre 1959, Hara-Kiri l'année suivante et, en 1962, paraît dans V magazine une série dessinée dite pour adultes, Barbarella de J.-C. Forest. Ces trois parutions ouvrent la voie à un renouvellement de la bande dessinée pour adolescents, à un renouveau de la bande dessinée satirique et à la naissance d'une bande dessinée érotique (le dernier exemple : Histoire d'O de G. Crépax).

Consécration

Durant ces mêmes années 60, avec des interventions de Francis Lacassin, Edgar Morin, Alain Resnais et Evelyne Sullerot, une première fournée d'intellectuels et d'universitaires se penche sur la bande dessinée et entame un processus de légitimation culturelle et de valorisation esthétique.

Une importante exposition au musée des Arts décoratifs en 1967, due, entre autres, à Pierre Couperie et Claude Moliterni, annonce la consécration officielle de la bande dessinée, qui fait son entrée dans les galeries d'art, où certaines vedettes du genre vendent leurs originaux parfois pour de coquettes sommes. Des salons internationaux comme ceux de Lucca en Italie (depuis 1965), d'Angoulême (depuis 1974), et de nombreuses expositions dans le monde entier renforcent cette évolution.

Pilote, Hara-Kiri, l'érotisme et l'entrée de l'image au musée, tout cela modifie à la fois le comportement du public et le contenu des séries illustrées tout en attirant l'attention de la grande presse. Elle se met à étudier le phénomène avec condescendance, ironie ou sympathie. Des ouvrages d'analyse se multiplient ; un éditeur (Albin Michel) consacre depuis 1975 une collection, Graffiti, au monde multiple de la bande dessinée, et la revue spécialisée Phénix s'adresse aux amateurs-spécialistes.

Toute cette évolution, sans doute, n'a été possible que parce que de nouvelles couches de lecteurs, grâce au cinéma et à la télévision, pénètrent mieux le domaine de l'image. La possibilité de décrypter en quelques instants un album ou une série hebdomadaire par la compréhension immédiate de tout un code d'idéogrammes, d'onomatopées, de signes graphiques divers, satisfait la rapidité de lecture et stimule l'imagination.

À partir de cette nouvelle sensibilité à l'image, une évolution très diversifiée se fait jour.

Imagination

Après avoir été longtemps quelque peu statique, le monde de la BD se met à bouger, à fourmiller. Le foisonnement actuel fait qu'il n'est pas aisé d'en définir les grandes lignes de force.