La guerre israélo-arabe du 6 octobre 1973 va permettre aux pays arabes d'accélérer brusquement leur programme et d'imposer d'un coup leurs conditions.

Dès les premiers jours de la guerre du pétrole, il apparaît que les compagnies ont perdu, selon toute apparence, leurs prérogatives essentielles : la fixation du rythme de production et des prix.

Pour la première fois, elles doivent partager la rente, c'est-à-dire la différence entre le prix de vente moyen au consommateur d'une tonne de produits pétroliers finis et le coût de production de cette tonne, selon des conditions qui ne sont pas fixées avec leur accord. De plus, les pays consommateurs, dans leur crainte de manquer d'énergie, cherchent à négocier directement avec les pays producteurs des accords d'État à État de troc (pétrole contre biens d'équipement), court-circuitant ainsi les compagnies intermédiaires.

Tant que celles-ci avaient assuré (avec talent, il faut le dire) un approvisionnement régulier en pétrole à bas prix, leur puissance restait, somme toute, fort appréciée. Dès lors que la belle mécanique se détraquait, l'opinion publique allait se retourner contre elles.

Crise

L'année 1973 leur avait été très favorable (la crise n'a éclaté qu'en novembre) : leurs profits avaient augmenté de 30 à 60 %, Exxon réalisant même « le plus gros bénéfice qu'une compagnie ait jamais fait ». L'annonce de tels résultats au début de 1974, au moment où l'inquiétude était à son comble, ne pouvait évidemment que braquer l'opinion. Aux États-Unis même, plusieurs enquêtes sont lancées par le Congrès. On remet en question les avantages fiscaux considérables dont jouissent les compagnies (par exemple, la possibilité de déduire des impôts qu'elles paient aux États-Unis ceux qu'elles ont versé dans les pays producteurs) ; on les accuse de mettre à profit la rareté des produits pour étrangler les petits distributeurs indépendants ; on les soupçonne enfin, sinon d'avoir monté elles-mêmes le scénario de la crise, du moins d'avoir joué de celle-ci avec une suprême habileté pour faire accepter des hausses de prix substantielles, et pour retrouver ainsi, au stade de la distribution, les sources de profit qui sont en train de leur échapper au stade de la production du brut.

Dans la plupart des pays d'Europe, les mêmes reproches leur sont adressés. En Italie, on découvre que les compagnies pétrolières ont généreusement contribué aux caisses électorales des partis : énorme scandale.

En France, on a vu rebondir à cette occasion une affaire engagée devant les tribunaux bien avant la crise par un distributeur indépendant de Marseille, Roger Bodourian, accusant plusieurs grandes compagnies de « refus de vente ». Le conflit, classique, entre petits et gros se présente sous un jour particulier du fait de la législation (loi du 30 mars 1928) qui organise le marché pétrolier en le répartissant, sous la surveillance de l'Administration, entre les différents distributeurs.

Déclin

Il faut croire que la surveillance manquait de vigilance, puisque le ministère de l'Industrie avait cru nécessaire, dans un protocole du 28 septembre 1973, de préciser, parmi les pratiques concurrentielles, lesquelles étaient licites et illicites. La pénurie, au moins apparente, de l'hiver 1973-74 devait renouveler la tentation : les grandes compagnies, seules à disposer de raffineries (et de brut), préféraient évidemment servir en priorité leurs propres clients, plutôt que de fournir des grossistes qui, dans la période d'abondance, allaient souvent s'approvisionner à l'étranger.

Toujours est-il que l'État dut constater des infractions à ses propres réglementations et engagea à son tour, en février 1974, des poursuites pénales.

Est-ce à dire que l'heure du déclin a sonné ? N'allons pas si vite. Les grandes compagnies disposent encore d'atouts considérables, et les esprits remarquables qui les dirigent ont d'ores et déjà entrepris une reconversion à grande échelle.

Tout d'abord, les États producteurs (ils ne sont pas tous arabes) sont encore loin d'avoir mis la main sur la totalité des ressources pétrolières de la planète. L'eussent-ils fait qu'ils ne pourraient recréer (ou racheter) instantanément l'immense appareil de transport, de raffinage et de commercialisation mis en place dans le monde entier par les compagnies (sans parler du savoir-faire nécessaire pour qu'il fonctionne correctement).

Survivre

Si elles ne sont plus toutes-puissantes, les compagnies gardent malgré tout la possibilité de jouer serré avec les nouveaux maîtres du pétrole.