Takis, « gai laboureur des champs magnétiques », comme le saluait Marcel Duchamp, nous invite d'ailleurs à entrer dans son jeu : dans une boîte, on puise des clous à pleines mains et on les projette sur des plaques d'aluminium, derrière lesquelles se dissimulent des électro-aimants, et où ils se fixent en curieux bouquets aigus. Et, si l'on tourne rapidement la manette de la Sculpture hydromagnétique (1969), on fait jaillir d'un mélange d'eau, de kérosène et de ferrites d'incroyables reliefs oniriques. Capteur des ondes, des souffles, des courants, Takis est le premier sculpteur de l'invisible.

Pol Bury

(CNAC, 11, rue Berryer, 14 novembre 1972-8 janvier 1973). « C'est un jeu qui exige plus de patience que les jonchets, plus de délicatesse que la politesse chinoise. Un jeu périlleux comme tous ceux qui ont pour partenaire le mystère en travesti, portant les couleurs de sa dame : l'humour » ; depuis ce Petit Plaidoyer pour l'irréalisme, prononcé en 1965 par F. C. Legrand, Pol Bury a fait beaucoup de chemin : en direction du réel et de l'inquiétant. Bien réels ces cubes et ces cylindres de bois lisse, ces surfaces nettes de métal poli, sur lesquels on a envie de laisser courir sa paume. Mais les voilà hérissés de protubérances, de billes, de boules en équilibre au bout de petites colonnes parcourues de légers frémissements. Cette réalité massive et immobile, au premier coup d'oeil, se défait lentement sous notre regard. Cela tremble, hoquette, glisse imperceptiblement comme le caviar métallique du Mouvement horizontal dédié à 12 000 billes (1971). Pour l'instant, comme le remarque Ionesco, tout cela tient encore, « la débandade est freinée ». Le jeu est celui de la mécanique ; ses pièces jouent entre elles. La boule, sournoisement mise en mouvement, retrouve dans son trajet imprévisible la spirale qui l'engendra, tout en manifestant, par la lenteur du déplacement, sa tendance fondamentale à l'inertie. 919 points blancs sur fond blanc (1965), 13 boules dans un cube sectionné (1968), Monument-mètre cube no 4 dédié à la réflexion de 15 demi-sphères (1971), 4 087 Cylindres érectiles (1972) : autant d'éléments qui composent, spasme après spasme, une stèle mouvante à la gloire de l'électricité.

Sanejouand

(CNAC, 11, rue Berryer, 30 mars-21 mai 1973). L'exploration du mouvement est aussi la préoccupation majeure de Sanejouand, mais à travers l'analyse des comportements humains. Après avoir planté des échafaudages de tubes métalliques dans la cour de l'École polytechnique, exposé, dans un musée suédois, des centaines de bidons de plastique transparents remplis d'eau distillée, programmé six avalanches simultanées dans une vallée de montagne, Sanejouand fait le point d'une étude menée dans le cadre du département Recherche art et industrie de la Régie Renault : il a pu, après trois ans d'exploration du terrain, d'analyse sociologique et de réflexion théorique, appliquer ses principes d'organisation de l'espace au schéma directeur de la vallée de la Seine entre Paris et Le Havre. Dans les salles et les jardins de la rue Berryer, ses miroirs, ses graphiques, ses panneaux monumentaux, qui décrivent l'articulation des zones d'habitation, des axes de circulation, des aires de loisir, se disposent suivant les règles du jeu de topo, dont il est l'inventeur.

Rares sont ceux qui ne jouent pas le jeu. Pourtant, ce ne sont pas les moindres résonances qu'ils éveillent, témoin l'angoisse nue de Requichot (CNAC, 11, rue Berryer, 2 juin-16 juillet 1973), étalée dans ses peintures, multipliée dans ses collages, enclose dans ses reliquaires, ou la lumière insolite dans laquelle baignent les géométries symboliques d'Andrée Pollier (Le soleil dans la tête, 26 octobre-17 novembre 1972) révélées dans le cadre de l'Aide à la première exposition, créée par le ministère des Affaires culturelles pour encourager les artistes inconnus ou méconnus et dont c'était la première manifestation.

Plus étonnant encore est le choix de Sam Szafran (Claude Bernard, 6 octobre-10 novembre 1972) : pour peindre la réalité la plus close et la plus quotidienne, celle de son atelier avec son poêle, sa verrière, son fauteuil, son amoncellement d'objets hétéroclites, il use de la fragilité intimiste et archaïque du pastel, distendant l'espace et les contours des objets, empruntant sa vision un peu folle au dérèglement systématique de l'objectif de la caméra.