Journal de l'année Édition 1972 1972Éd. 1972

Le référendum du 23 avril 1972

En deux phrases de sa conférence de presse du 16 mars 1972, le président de la République annonçait le référendum sur l'élargissement de la Communauté européenne par l'admission de quatre nouveaux membres dont la Grande-Bretagne, consultation qui devait ensuite être fixée au 23 avril. À deux reprises, Georges Pompidou s'adressait encore au pays — la veille de l'ouverture officielle de la campagne et l'avant-veille du scrutin — pour lui demander un « oui » massif, mais en évitant avec soin de mettre son propre sort en balance ou de dramatiser les conséquences d'un éventuel échec.

Cependant, dès le coup d'envoi, l'UDR, les républicains indépendants et les centristes appartenant à la majorité appelaient avec ardeur à voter « oui ». Il en était de même de Jean Lecanuet, président du centre démocrate, et de Jean Monnet, père de l'Europe. À l'inverse, quelques gaullistes de gauche, comme Louis Vallon et Debu-Bridel, choisissaient sans hésiter le « non », et des gaullistes orthodoxes comme Jacques Vendroux, beau-frère du général de Gaulle, et J.-M. Jeanneney inclinaient vers l'abstention.

Tour à tour le parti socialiste, en se prononçant pour le refus de vote (abstention, vote blanc ou nul), et le parti communiste, en optant pour le « non », tiraient la leçon de l'échec des rapides pourparlers de leurs dirigeants qui avaient tenté vainement de s'accorder sur une même attitude. Le camp du refus de vote devait recevoir en outre le renfort du PSU, de la CFDT, des commerçants du CID-UNATI, d'organisations d'agriculteurs ou de rapatriés. Le « non » était prôné, outre le PC, par la CGT, divers mouvements d'extrême gauche (Ligue communiste, AJS, etc.), une fraction de l'extrême droite, de petites organisations de la gauche gaulliste, des mécontents — viticulteurs du Languedoc, travailleurs menacés de licenciement en Lorraine, etc. Du côté du « oui », on enregistrait bientôt, outre le ralliement de J. Lecanuet, P. Abelin et de leur centre démocrate, ceux d'Émile Muller et de son petit parti social-démocrate, du parti radical entraîné par Jean-Jacques Servan-Schreiber, de J. Soustelle et de ses amis, de L. Pradel, maire de Lyon, etc.

Ainsi les trois camps en présence étaient-ils composés de façon très hétérogène et la campagne, courte et terne, devait-elle vite faire apparaître que le sens donné à la réponse choisie variait singulièrement d'un homme ou d'une formation à l'autre. Au sein de la majorité, par exemple, le « oui » de V. Giscard d'Estaing, qui n'excluait pas certaines formes d'intégration, et celui d'Edgar Faure, partisan déterminé et pressé de l'Europe politique, contrastaient avec le « oui » de Michel Debré, résolument hostile à toute délégation de souveraineté et très réticent à l'égard de l'union politique. Et que dire du « oui » de J. Lecanuet, justifié par son espoir de voir prévaloir la supranationalité, de celui de J.-J. Servan-Schreiber qui proclamait en même temps son opposition plus déterminée que jamais à la majorité ?

Dans le refus de vote, on trouvait une majorité de « oui à l'Europe, non à Pompidou » — c'était l'esprit de la position socialiste —, mais aussi des « non à l'Europe et à Pompidou » venus de la droite, des dénonciations du « référendum-piège », notamment par le PSU. Le « non », enfin, comportait, selon qu'on allait des communistes à des mouvements professionnels et à l'extrême droite, bien des nuances.

La campagne, dès lors, avait presque plus d'intérêt entre chaque tendance qu'entre les trois réponses. Mais nul n'ayant intérêt à affaiblir son propre camp, les divisions demeuraient feutrées et peu compréhensibles pour le grand public que désorientaient également la complexité et l'aridité des questions débattues, l'inanité même de la consultation portant sur une affaire que l'on croyait déjà résolue. Si le gouvernement mettait en ligne tous ses membres, si chacun s'efforçait de faire saisir les nuances de sa position et intentait à l'adversaire des procès d'intention, si, les derniers jours, quelques bagarres, des incidents (dont l'un devait être mortel) marquaient les réunions, celles-ci ne suscitaient aucune passion et, pour tout dire, pas d'intérêt.