Aucune mesure n'effacera cependant une réticence essentielle : le refus du métier manuel. Les indications de l'INSEE (avril 1972) montrent par exemple que, dans la zone de Fos, 61 offres d'emplois manuels sont insatisfaites face à 100 demandes. Dans le bâtiment, face à 100 demandes d'emploi, 185 offres n'ont pas de contrepartie. L'industrie des métaux, avec 48 offres non satisfaites sur 100 demandes présentées, ne se trouve pas dans une situation meilleure. Il y a, en revanche, pléthore dans les catégories du commerce et des emplois de bureaux, où les chefs d'entreprise peuvent largement puiser dans un marché surabondant.

Il faut faire une place à part, bien entendu, aux travailleurs étrangers. On estime à 300 000 environ leurs effectifs actuels. Ce marché, très fluctuant avant le démarrage des chantiers de Fos, paraît s'être stabilisé dans quelques départements, notamment dans les Alpes-Maritimes et le Var où la conjoncture du bâtiment est stationnaire ou en léger retrait. Il connaît, à l'inverse, une grande fièvre dans les Bouches-du-Rhône.

Les efforts tentés pour le logement des manœuvres étrangers autour de Fos sont tout juste suffisants. Les cités d'urgence déjà construites contiennent cette masse à grand-peine. Avant la fin de l'année, ils seront 15 000 au moins, et il faudra employer des palliatifs pour les héberger. Les dirigeants de l'aciérie de Solmer ont obtenu de pouvoir édifier des baraques sur les chantiers mêmes. Ce qui ne va pas sans provoquer quelques remous.

L'impression qui domine, au bout du compte, est celle d'une situation extrêmement paradoxale. À fin avril 1972, le nombre de demandes d'emploi insatisfaites se situait toujours à plus de 41 000 (dont près de 17 000 femmes) contre 36 000 en 1970 et 37 000 en 1971. Parallèlement, le nombre des offres d'emploi insatisfaites a pratiquement doublé d'une année sur l'autre (8 100 contre 4 500). 20 000 emplois nouveaux ont été créés durant l'année 1971, mais le plus grand nombre d'entre eux est allé à de nouveaux immigrés, sans qu'il soit possible de dire quelle est la part respective des Français venus d'autres régions et des travailleurs étrangers.

Pessimisme syndical

Les syndicats, pour leur part, observent la situation avec pessimisme. Leur souhait est de voir appliquer rapidement la loi sur la formation permanente. « Nous constatons, souligne un responsable CGT, que le patronat l'a captée à son profit. Il écrème les meilleurs... » Il est bien vrai que l'effort de formation vise plutôt à l'adaptation de travailleurs déjà dotés de connaissances techniques. Restent le problème des jeunes (sortant du secondaire ou même des CEG) et surtout celui des jeunes filles.

Pour les premiers, comme pour les femmes, les fonctionnaires de l'Éducation nationale et ceux de la préfecture se heurtent à une inconnue. Autant les emplois découlant, à Fos, de l'arrivée des sidérurgistes et des pétroliers peuvent être évalués avec quelque précision, autant les autres industries créatrices d'emplois restent pour l'instant hypothétiques. C'est bien pour pallier cette difficulté que Pierre Billecocq a annoncé la création d'un vaste campus, implanté à proximité de Fos, et dont l'objectif sera de faire face aux situations imprévues. Mais le problème demeure entier pour le reste de la région. Fortement créatrice de cerveaux, grâce à un appareil universitaire de premier ordre, la Provence se révèle incapable de former les spécialistes et les cadres intermédiaires nécessaires à sa mutation économique.

Fos ? Connais pas

Haro sur les technocrates : la région, quasiment unanime, a mené en 1971, de Marseille à Menton, la bataille contre les fonctionnaires parisiens et locaux. Tous les grands projets d'aménagement, tous les plans tirés dans les bureaux des ministères ont été contestés ou mis en pièces. Et cela a permis aux observateurs d'en déduire que le combat pour le pouvoir régional est engagé. Voire.

Tout a commencé avec le schéma d'aménagement du littoral provençal. Albin Chalandon en avait décidé l'étude en juillet 1970. Une équipe de jeunes ingénieurs, d'économistes, de géographes et de sociologues a travaillé sans relâche pendant dix-huit mois. Pour finalement essuyer un échec total. Ni les maires, ni les agriculteurs, ni les agents immobiliers n'en veulent. L'idée était bonne pourtant : éviter que l'appétit des promoteurs et l'anarchie des équipements aboutissent à une mise en coupe réglée du littoral et de l'arrière-pays. Mais les réflexes conservateurs ont été les plus forts. Telle Pénélope, l'Administration va devoir recommencer, morceau par morceau, un énorme travail d'inventaire et de choix pour le futur. À l'imagination, les Provençaux ont préféré le laisser-faire. Mais ils n'ont gagné que contre les bureaux. Victoire qui ne règle rien. Et pourtant, en faisant un effort d'information, de concertation, les pouvoirs publics auraient pu éviter le pire. C'est un peu par la faute des fonctionnaires que les notables ont pu gagner ce combat d'arrière-garde.