Pendentifs, boucles d'oreille, broches, en émail, en matière plastique, reproduisent des pommes, des étoiles. Saint-Laurent pose des lèvres rouges pailletées sur un manteau de velours noir. Dior dessine des boucles de ceinture en forme de bateaux, bleues et rouges. Il faut de tout pour faire une mode. Des couleurs et des formes, des événements, des souvenirs, les films, l'actualité.

Saint-Laurent a tenté de ressusciter les années 40. Les bas noirs, les sandales à semelles compensées et brides croisées à la cheville, la carrure élargie, la jupe écourtée, le renard autour du cou, la bouche peinte, rien ne manque. Les filles de vingt ans s'amusent de cette reconstitution, les mères s'indignent, les commentateurs mâchent leur déconvenue. « J'étais venu pour connaître l'avenir, j'ai trouvé le passé », expliquait un journaliste britannique, le premier effet de stupeur passé.

Réminiscences

Mais Saint-Laurent n'est pas le seul à mettre en scène un passé plus vieux que lui. Dans le Conformiste, histoire d'un fasciste italien, le metteur en scène Bertolucci habille ses héroïnes de merveilleuses robes 1938, qui s'insèrent avec naturel et élégance dans la mode d'aujourd'hui. Dans ce flot de réminiscences, on constate sans surprise le succès de la dernière collection signée par Chanel, plus lumineuse, plus jeune que ses jeunes concurrents. À ce passé vieux de trente ans s'opposent les bondissantes créatures de Courrèges qui montrent une peau bronzée, le blanc pour la faire valoir, une combinaison-short pour être à l'aise, et qui s'amusent alors que tout le monde s'ennuie.

Après l'évocation des « stars » aux longues chevelures, drapées dans le satin, après la ronde des filles de la rue, perchées sur leurs talons hauts, le futur imaginé par Courrèges ressemble à une promesse d'optimisme et de bonne santé. La beauté en plus.

Comment s'habiller en 1971 ? De tout et de rien, d'un short, d'une robe plissée à manches longues, en crêpe de Chine, d'une tunique ou d'une combinaison. Les femmes qui ont dépassé trente-cinq ans vont, dit-on, chercher la solution dans les magasins réputés classiques, par mesure de sécurité plutôt que par souci d'argent. Les plus jeunes, plus indépendantes économiquement, suivent les idées des boutiques de style, audacieuses, et plus chères. Mais nombreuses elles s'insurgent, refusent et diffèrent de choisir. Les incohérences de l'hiver ont précipité cette évolution.

La rue a vu passer des moujiks, le pantalon froncé dans les bottes, de fausses Péruviennes, cachées dans des ponchos multicolores et rutilants ; pendant que les unes jouaient, sous cape, au spahi, d'autres s'amusaient à imiter les héroïnes russes, dans les plis d'un manteau long à brandebourgs, à l'abri d'un capuchon romantique. Il y avait des bergères, vêtues de bure, des insoumises en pantalon, imperméable et tricot à col roulé. Ce long — adopté par les jeunes hommes et par les enfants de la maternelle —, qui apparaissait à certains comme une manifestation de nostalgie, une revanche des douairières sur les minettes, de l'argent sur l'impécuniosité, peu de femmes ont su, en fait, le porter sans vieillir et sans enlaidir.

Mort du protocole

C'est que les règles du jeu n'étaient pas claires, en dépit des conseils et des objurgations. « C'est la liberté qui est formidable dans la mode actuelle », déclarait Saint-Laurent avant d'ajouter : « La longueur se choisit selon la vie et le métier qu'on a... » Courrèges, dans le même temps, disait : « Je ne crois pas que le long durera... Le rôle d'un vêtement, c'est de se faire oublier, de rendre les bras, les jambes, les mouvements le plus libres possible... »

Aux spécialistes de la vente, l'embarras et l'attentisme de la clientèle féminine n'ont pas échappé. Ils ont reçu les doléances, l'expression du dépit... L'essentiel des achats, au cours de l'hiver, a porté sur les jupes, les tuniques et les pantalons, investissements prudents, interchangeables, d'un usage illimité, indifférents ou presque aux variations du temps et de l'opinion.