Pour les syndicats, en revanche, les chiffres officiels ne reflètent qu'indirectement l'ampleur du marasme. C'est ainsi que la clientèle potentielle des bureaux de placement atteindrait 5 millions de personnes : jeunes entrant au travail, retraités cherchant un emploi complémentaire, mutants agricoles, immigrants, personnes inactives désirant un emploi, mais qui ne se sont pas portées demandeurs, personnes ayant un emploi, mais qui, insatisfaites, souhaiteraient en trouver un autre.

Qu'est-ce qu'un chômeur ?

Les statistiques sur le chômage sont, en France, les plus controversées. On ne sait pas comment définir un chômeur. On distingue, en effet :
– Les chômeurs secourus par les fonds publics : 117 200 fin mars 1968 ;
– Les chômeurs allocataires des Assedic (associations paritaires patrons-syndicats) : 110 000 environ ;
– Les demandes d'emploi non satisfaites : les personnes qui se font inscrire dans un bureau de main-d'œuvre : 264 000 ;
– Les personnes qui déclarent, lors des recensements, qu'elles sont sans emploi et qu'elles en cherchent un.

Au moment du recensement de 1962 on avait constaté que le nombre de personnes de cette dernière catégorie était égal à celui des demandes d'emploi non satisfaites, multiplié par 1,9. Le recensement de 1968 conduira sans doute à modifier ce coefficient.

Les causes profondes

Au-delà des querelles de terminologie juridique, un fait demeure certain : malgré les ordonnances sur l'emploi (qui ont plus atténué les conséquences du chômage que supprimé les causes) et malgré l'amélioration de la conjoncture, le chômage a progressé.

La répartition socio-professionnelle des chômeurs est à elle seule révélatrice.

Les jeunes de moins de 25 ans représenteraient 40 % des chômeurs (contre 33 % environ aux Pays-Bas). Pour quelles raisons ? Sur une classe d'âge de 840 000 jeunes, selon Pierre Laurent, secrétaire général du ministère de l'Éducation nationale, 140 000 seulement ont un diplôme équivalent au brevet d'études professionnelles (BEP) ; il en faudrait 400 000.

Les certificats d'aptitude professionnelle (CAP), trop spécialisés, ne préparent pas aux futures conversions. On sait qu'au bout de dix ans 50 à 60 % des titulaires n'exerceront plus le métier pour lequel ils ont été formés.

Paradoxalement, le même phénomène atteint certains cadres. Trop spécialisés, il ne leur est pas possible, quand leur branche ou leur région déclinent, de se convertir, car leur formation n'a pas été assez polyvalente.

D'où ce phénomène étrange d'une pénurie de compétences, et d'un accroissement du chômage des cadres.

Inadaptation qualitative

Dans la métallurgie, la situation est analogue : les travailleurs sans qualification, les employés administratifs, les petits techniciens ne trouvent plus à se réinsérer dans la production, cependant qu'à la SOLLAC (laminage en Lorraine), chez Renault, Berliet, à la Compagnie des compteurs, on embauche simultanément, aux postes de déclassés dont personne ne veut, des manœuvres nord-africains et surtout des professionnels qualifiés.

Formation professionnelle, recyclage, tels sont, à long terme, les remèdes fondamentaux au sous-emploi. Les porte-parole du gouvernement avaient longtemps assuré que pour remédier au chômage il suffirait de confronter les offres et les demandes du marché du travail, en encourageant ces opérations boursières par des aides facilitant la mobilité géographique. Il est de plus en plus manifeste que c'est l'inadaptation qualitative de l'offre et de la demande qui contraint aujourd'hui nombre de gens à se croiser les bras.

Faut-il souligner l'insuffisance actuelle des services de placement officiels : il y a en France proportionnellement deux fois moins d'agents des services de la main-d'œuvre qu'au Luxembourg et aux Pays-Bas, quatre fois moins qu'en Belgique et en Italie, cinq fois moins qu'en Allemagne. Aussi n'est-il pas étonnant que, malgré leur monopole, les services officiels de placement n'en assurent que 10 %.

Ce triptyque : formation, recyclage, placement, est indissociable. Il constitue les conditions de l'efficacité des mesures plus globales d'encadrement économique. Autoroutes, entreprises nouvelles, subventions sont indispensables à la Bretagne, au Midi-Pyrénées ou au Sud-Ouest. Mais la compétence et la fluidité des hommes sont tout autant la clef du redressement.

Mobilité géographique

Il faut préparer les travailleurs à trois types de mobilité : professionnelle, sectorielle et régionale. La seconde parait actuellement la plus inéluctable ; la première deviendra de plus en plus nécessaire en raison de la rapidité du progrès technique. Actuellement, c'est la troisième qui tient le pas dans l'actualité sociale : Fougères, Redon, Toulouse ou Lens, voilà quelques-uns des points chauds de l'emploi.