Traditionnellement, les facultés des lettres et des sciences ont deux missions : assurer la formation des professeurs du second degré et celle des chercheurs. Les deux principes fondamentaux étaient la liberté d'accès des étudiants et le libéralisme pédagogique, les professeurs faisant des cours ex cathedra, par lesquels ils transmettaient les résultats de leurs travaux personnels. Ce mode de fonctionnement s'opposait à celui des grandes écoles, reposant sur la sélection par concours à l'entrée, un plus grand dogmatisme pédagogique et le caractère de formation professionnelle de l'enseignement.

La conception pédagogique des facultés s'est trouvée fondamentalement remise en question à partir du moment où le nombre des étudiants dépassait largement les besoins en futurs enseignants et où les disciplines ne menant pas à l'enseignement commençaient à prendre une importance considérable (sciences humaines).

Malaise et insécurité

Appliquée aux lettres, la réforme a suscité d'innombrables contradictions. D'un côté, l'organisation pédagogique devenait plus rigoureuse, se rapprochant de celle des grandes écoles (enseignements obligatoires, création de sections spécialisées, travaux pratiques en petits groupes, limitation des possibilités de redoublement et perspectives de sélection à l'entrée).

De l'autre, la pratique pédagogique (cours magistraux dispensés devant des milliers de personnes, anonymat de la vie scolaire) et la finalité de l'enseignement (absence d'enseignement professionnel, manque de débouchés) n'étaient pas modifiées. Il devait s'ensuivre un sentiment de malaise et d'insécurité très vif chez tous les étudiants, et en premier lieu, comme il est normal, chez ceux des disciplines relevant des sciences humaines.

Le système devenait plus contraignant, sans que cette contrainte soit compensée par une plus grande assurance sur l'avenir. Cette crainte devant l'avenir et l'absence de débouchés professionnels n'étaient d'ailleurs pas propres aux facultés des lettres. On devait s'apercevoir que les diplômes de droit et (dans certaines disciplines du moins) de sciences étaient tout aussi dévalués. Le chômage gagnait les diplômés de l'enseignement supérieur du fait à la fois de la mauvaise conjoncture économique et de l'inadaptation de l'Université et de l'enseignement aux besoins de l'économie moderne.

Isolement, incohérence, impression de faire partie d'un monde inorganisé et irresponsable, tels sont les sentiments que ressentent depuis un certain temps déjà la plupart des étudiants. Dais cette institution surpeuplée et sans âme qu'est une faculté, l'étudiant n'a ni pouvoir ni interlocuteur. Ce malaise apparaît de façon particulièrement nette dans les deux séries d'incidents qui marquent la première moitié de l'année universitaire : la grève sauvage de la rentrée et les manifestations dans les résidences universitaires.

Les grèves de la rentrée

Les grèves qui éclatent dans les premiers jours de la rentrée à Nanterre et à la Sorbonne ont à l'origine des motifs très corporatistes : les étudiants protestent contre les modalités d'application de la réforme et particulièrement contre les équivalences entre l'ancien et le nouveau régime, qui, estiment-ils défavorisent les étudiants en cours d'études.

Rapidement, la contestation se porte sur un autre terrain : les étudiants demandent a constitution de commissions paritaires dans le cadre du département. Les revendications sur la réforme les ont amenés à poser le problème de savoir où et comment se prennent les décisions à l'intérieur de la faculté. Ils apprennent à distinguer ce qui dépend des professeurs, ce qui relève de l'administration de la faculté et, en troisième lieu, ce qui est du ressort du ministère et du gouvernement.

Dans le système traditionnel, le seul interlocuteur de l'étudiant est l'assistant. Or, celui-ci n'a pratiquement aucun pouvoir de décision, sa dépendance à l'égard du professeur étant totale. Les professeurs, titulaires de leur chaire, organisent leur travail à leur convenance, se mêlant peu de l'activité des assistants. Lorsque les demandes des étudiants et des assistants se font trop précises, ils les renvoient au doyen, qui, lui-même, se réfugie derrière les décisions des bureaux du ministère de la rue de Grenelle. Cette dilution des responsabilités a été un élément déterminant de la crise, en renforçant les étudiants dans la conviction que le pouvoir était à prendre et qu'ils avaient à en assumer une partie.

Un règlement désuet

Un phénomène du même ordre, mais sur un plan différent, s'est produit dans les résidences universitaires. Les étudiants demandaient à ne plus être soumis à un règlement désuet imposé par l'administration ; ils veulent participer à la gestion et à l'orientation des activités de la résidence. Certains aspects des revendications étudiantes (liberté d'accès des garçons dans les bâtiments des filles) ont été mal compris de l'opinion et ont détourné l'attention de ce qui faisait le fondement de la protestation : le désir des étudiants de régler librement leur vie et de prendre en charge les activités collectives.

Revendications politiques

Posant le problème en termes de pouvoir, les étudiants ne tardent pas à déboucher sur des revendications essentiellement politiques. À Nanterre, ils ont rapidement obtenu satisfaction sur la participation à des commissions paritaires dans le cadre des départements.