Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

antisémitisme (suite)

La guerre de 1914-1918 sembla devoir effacer toute trace d’antisémitisme là où il subsistait encore. Partout les Juifs avaient apporté le tribut de leur sang à leur patrie d’adoption ; les antagonismes religieux paraissaient en voie de disparition. En fait, les circonstances exceptionnelles de la guerre masquaient la réalité. Celle-ci apparut dans toute sa brutalité quand, en 1917, éclata la révolution russe, à laquelle participèrent de nombreux Russes israélites. Une fois de plus, des Juifs furent condamnés comme révolutionnaires par les « Blancs », comme réactionnaires par les « Rouges ».

En Allemagne, la capitulation (nov. 1918) réveilla un antisémitisme qui, depuis Bismarck, n’avait jamais cessé de se manifester dans la presse et la littérature. Mortifiée par la défaite, la république vit grandir le mouvement national-socialiste, dont l’un des buts fondamentaux était l’extermination morale, puis la « liquidation » physique de tous les Juifs, non seulement d’Allemagne, mais de toute l’Europe. L’agitation antisémite se développa en Allemagne à partir de 1921. La crise économique fut habilement exploitée par Hitler et ses compagnons, et, au nom de la pureté de la race aryenne, la législation du IIIe Reich priva pratiquement les Juifs de tous les droits de citoyens, avant qu’ils fussent privés de leur nationalité.

Avec la victoire momentanée de l’Allemagne hitlérienne de 1940, l’antisémitisme fera l’objet d’une propagande qui aboutira en France, comme dans les autres pays occupés, à un statut spécial, frappant les Juifs de toutes sortes d’incapacités juridiques : ceux-ci se virent privés de leurs postes d’enseignants, de magistrats ou de fonctionnaires, et ce malgré leurs titres d’anciens combattants, décorés, blessés, mutilés au service de la France. En zone dite « occupée », ils furent tenus de porter sur leurs vêtements, comme signe distinctif, une étoile jaune frappée du mot juif. Les contrevenants étaient arrêtés et déportés. La délation était récompensée. Des rafles collectives, notamment celle du 16 juillet 1942, livrèrent des milliers de Juifs au camp de Drancy, véritable antichambre des camps de la mort. Jusqu’à la Libération, des convois réguliers déversèrent dans les camps d’extermination des centaines de milliers de Juifs promis à la « solution finale » décidée par Hitler.

Comme en tout temps, l’antisémitisme trouva des opposants décidés parmi les non-Juifs : universitaires, ecclésiastiques, fonctionnaires, hommes et femmes de toutes les couches sociales résistèrent à la contagion de l’antisémitisme. Beaucoup, au péril de leur vie, aidèrent les victimes à échapper à leurs persécuteurs. La défaite de l’Allemagne nazie mit fin à une des pages les plus sombres de l’antisémitisme. Elle avait coïncidé, il est vrai, avec l’une des périodes les plus tragiques de l’Europe. C’est que l’antisémitisme n’intéresse pas seulement les Juifs, il affecte en réalité le progrès de l’humanité tout entière, comme toutes les manifestations de l’intolérance.

Les chrétiens, en particulier, réagirent fortement, notamment grâce à l’action des Amitiés judéo-chrétiennes, dont l’initiateur, du côté juif, fut l’historien Jules Isaac (1877-1963).

Depuis la dernière guerre, l’antisémitisme couve toujours. Il est particulièrement efficace — quoique sournois — dans les pays de l’Est, notamment en Pologne et en U. R. S. S. La question de l’État d’Israël et le problème palestinien l’ont avivé dans le monde, où l’antisionisme est chez certains un alibi recouvrant l’antijudaïsme traditionnel.

Trois séries classiques de fausses accusations contre les Juifs

La permanence de l’antijudaïsme est attestée par la facilité avec laquelle l’homme non juif, au cours de l’histoire, a accueilli les fausses accusations contre les Juifs. Les plus classiques sont : les profanations d’hosties, les crimes rituels, les empoisonnements de puits.

Profanations d’hosties. À Paris, en 1290, un Juif fut accusé de profanation d’hostie ; il n’en fallut pas plus pour provoquer l’expulsion de toute la communauté juive. L’histoire devait enregistrer de nombreux faits semblables, qui aboutirent parfois au supplice et à l’exécution des notables juifs.

Crimes rituels. En d’autres lieux, les Juifs furent accusés de meurtre rituel : ainsi à Blois, en 1171, la communauté juive fut tout entière exterminée. Cette accusation était fondée sur une rumeur incontrôlée qui voulait que les Juifs emploient du sang de chrétien pour préparer leurs pains azymes. Nul ne sait l’origine de ce préjugé. Un fait est certain : la tradition juive interdit la consommation du sang (même animal) sous quelque forme que ce soit et réprouve tout meurtre pour quelque raison que ce soit. L’accusation de meurtre rituel est dénuée de tout fondement, comme le proclameront les plus hautes autorités de l’Église et notamment une bulle du pape Innocent IV, qui confirma à cet égard les déclarations des papes précédents, tel Grégoire IX.

La liste est longue des fausses accusations de meurtres rituels, qui se reproduiront notamment en Allemagne, en Europe centrale et dans les Balkans. Au xixe s., l’affaire de Damas (1840) vit réapparaître cette calomnie ; il fallut les interventions énergiques de plusieurs chancelleries d’États européens pour innocenter les Juifs damascènes. En 1911, l’affaire Beilis, à Kiev, démontra que la croyance fondant l’accusation du meurtre rituel subsistait envers et malgré tout. Beilis fut acquitté, mais la propagande hitlérienne reprendra cette calomnie, à côté de tant d’autres, pour justifier le génocide dont seront victimes 6 millions de Juifs européens.

L’empoisonnement des sources. Pour expliquer les terribles ravages de la peste noire (1346-1353), les Juifs furent accusés d’avoir empoisonné les puits. Par milliers, ils furent soumis à la torture. À Strasbourg notamment, dix-huit cents Juifs, hommes, femmes et enfants, furent brûlés vifs : ni l’opposition du conseil de la ville, ni la voix du pape proclamant leur innocence ne purent éviter le massacre. Il se répétera en d’autres pays, décimant des communautés entières.

H. S. et P. P.