Lattre de Tassigny (Jean-Marie Gabriel de) (suite)
Quand l’horizon s’assombrit de nouveau, que les Alliés occidentaux éprouvent le besoin d’unir leurs forces, de Lattre, inspecteur général des forces armées depuis mai 1948, est nommé en octobre 1948, dans le cadre du traité de Bruxelles, commandant en chef des forces terrestres de l’Europe occidentale. Le 2 février 1950, alors qu’il vient d’avoir soixante et un ans, il est maintenu en activité sans limite d’âge : mais sa carrière semble s’achever à Fontainebleau dans l’auréole de ces hautes fonctions interalliées.
À l’automne, toutefois, une crise s’ouvre brutalement en Indochine*, qui, à la suite des échecs subis à la frontière sino-tonkinoise, fait craindre le pire pour le corps expéditionnaire français. C’est alors que de Lattre, qui a tout à perdre et rien à ajouter à ses titres de gloire, accepte la redoutable responsabilité du poste de haut commissaire et de commandant en chef en Indochine. Le 17 décembre 1950, il atterrit à Saigon ; le 19, il préside à Hanoi un défilé des troupes qui viennent de se battre et réunit les officiers : « C’est pour vous que j’ai accepté cette lourde tâche ; à partir d’aujourd’hui, je vous garantis que vous serez commandés. » En janvier 1951, il inflige aux forces Viêt-minh une première et très lourde défaite à Vinh Yen, qui sauve le delta du Tonkin. Après avoir décidé de le protéger par une ceinture fortifiée, de Lattre porte ensuite son effort principal sur la création d’une armée vietnamienne : à l’empereur Bao Daï, au gouvernement et à la jeunesse du Viêt-nam, il demande de s’engager totalement dans la guerre aux côtés de la France. À Singapour, le 15 mai, il s’efforce de convaincre Britanniques et Américains que le Tonkin est la clé de voûte du Sud-Est asiatique. Mais le 31, dans une nouvelle bataille que livrent les forces de Giap sur le Daï, son fils unique, le lieutenant Bernard de Lattre, est tué en défendant à la tête de son escadron vietnamien le rocher de Ninh Binh. Cette mort frappe au cœur le général, qui n’en reste pas moins à son poste. Il se rend à Washington pour demander aux Américains leur aide matérielle en Indochine et, au retour, s’arrête à Londres, puis à Rome, où il est reçu par Pie XII. Le 19 octobre 1951, il est de nouveau à Hanoi, surmontant le mal qui le mine, donne à tous un seul mot d’ordre, « foi et volonté », et lance l’offensive d’Hoa Binh, qui sera une victoire éclatante (nov. 1951). « Nous voyons le bout du tunnel », confie-t-il à un de ses officiers avant de rentrer à Paris pour se soigner. Il y arrive le 24 novembre, est hospitalisé le 19 décembre et s’éteindra trois semaines plus tard dans une clinique parisienne.
Sa personnalité de feu avait suscité bien des passions, mais cette mort aussi discrète que digne fut une sorte de révélateur qui désarma ses adversaires. Ainsi, ce grand homme de guerre, qui a traversé la vie comme un boulet, terrorisant parfois, mais fécondant toujours, restera à la taille des hommes parce qu’il sut jusqu’au bout aimer et souffrir comme eux. Fait maréchal de France à titre posthume, le 15 janvier 1952, de Lattre est enterré auprès de son fils à Mouilleron-en-Pareds. Il avait publié en 1949 des Mémoires sous le titre Histoire de la Première Armée française.
P. A. V.
➙ Guerre mondiale (Seconde) / Indochine.
L. Chaigne, Jean de Lattre, maréchal de France (Lanore, 1952). / Jean de Lattre de Tassigny, maréchal de France (Plon, 1953). / B. Simiot, De Lattre (Flammarion, 1953). / J. Dinfreville, le Roi Jean. Vie et mort du maréchal de Lattre de Tassigny (la Table Ronde, 1964). / S. de Lattre de Tassigny, Jean de Lattre, mon mari (Presses de la Cité, 1971-72 ; 2 vol.).