Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Klein (Melanie) (suite)

Mais le mécanisme d’oscillation du sujet à ses objets de désir ne s’arrête pas là ; car un dédoublement s’effectue de l’intérieur à l’extérieur du corps : bon et mauvais objets jouant soit dans l’intérieur du corps (où ils mutilent ou comblent), soit à l’extérieur. Les images de l’enfant sont donc dédoublées : les figures parentales jouent dans l’espace du corps de l’enfant. Ce dispositif complexe est décisif dans la pensée kleinienne : c’est l’introjection-projection « À l’introjection des objets extérieurs correspond à chaque étape la projection de figures internes sur le monde extérieur, et cette action réciproque sous-tend la relation aux parents réels, comme elle sous-tend le développement du surmoi. La conséquence de cette action réciproque, qui suppose une orientation vers l’extérieur et vers l’intérieur, est qu’une oscillation constante s’établit entre les objets et les situations internes et externes. » Il existe donc une sorte d’écran-ventouse qui fait basculer sans cesse l’imaginaire et le sépare du réel. Les positions excessives de la pathologie s’en déduisent ; la fuite vers le bon objet intérieur, c’est la psychose ; la fuite vers le bon objet extérieur, c’est la névrose. C’est sur ce mécanisme que Melanie Klein fait reposer la thérapeutique par le jeu : ainsi, dans le cas de Ernst, qui ne peut écrire ni le p ni le i, elle trouve à l’analyse que ces deux lettres sont le pénis paternel, soit introjecté — et dans ce cas il attaque le corps de l’enfant —, soit projeté, et dans ce second cas il attaque le corps de la mère.

C’est précisément ce réel — le corps de la mère — qui suscite la position qui fait suite à la position schizo-paranoïde : position dépressive due à la perte de l’objet total. Le corps de la mère, c’est l’illimité : la totalité du monde extérieur est représentée pour l’enfant par cette réalité pour lui gigantesque : « Il n’est pas exagéré de dire que, d’après la première réalité de l’enfant, le monde est un sein et un ventre rempli d’objets dangereux — dangereux par la tendance de l’enfant lui-même à les attaquer. » La dernière partie de la phrase précise davantage le fonctionnement du fantasme : tout y est à la fois menace et jouissance, bien et mal. Si danger il y a, il ne peut être que le résultat de l’agressivité du sujet lui-même. Le système des équivalences posées par Melanie Klein transforme le monde fantasmatique de l’enfant en un manège instable, qui se règle au mieux par approximations successives, sous la conduite d’un surmoi cannibale et féroce qui lacère, déchire le corps primitif de la mère perdue. L’image du monde enfantin construite par Melanie Klein suscite résistances et effroi : lors même qu’on aura dit, avec Anna Freud, qu’il s’agit là d’une construction d’adulte projetée sur une réalité enfantine en fait insaisissable, on n’aura pas rendu compte de l’effet de vérité produit par les textes et les expériences thérapeutiques de Melanie Klein : ces dernières dépassent largement le champ restreint de la pratique analytique et concernent tout autant les images culturelles et idéologiques d’une société où l’agressivité est la règle.

C. B.-C.

➙ Agressivité / Œdipe / Psychanalyse.

 H. Segal, Introduction to the Work of Melanie Klein (Londres, 1964 ; trad. fr. Introduction à l’œuvre de Melanie Klein, P. U. F., 1969). / J.-B. Pontalis, Après Freud (Julliard, 1965). / J. Lacan, « l’Agressivité en psychanalyse » dans Écrits (Éd. du Seuil, 1966). / C. Geets, Melanie Klein (Éd. universitaires, 1971). / R. Jaccard, la Pulsion de mort chez Melanie Klein (l’Âge d’homme, Lausanne, 1971).

Klein (Yves)

Peintre français (Nice 1928 - Paris 1962).


Attiré très tôt par la couleur pure, il commence à exécuter des peintures monochromes de différentes couleurs dès 1946, tandis qu’il compose en 1947 sa Première symphonie monotone. Il se fixe en 1957 sur la couleur bleue, recouvrant uniformément la toile de ce bleu outremer qu’il appelle I. K. B. (International Klein Blue). Si ses œuvres peuvent apparaître comme des « anti-peintures », elles relèvent surtout d’une volonté de donner à la couleur sa véritable place dans l’espace, sans l’enfermer dans une composition de lignes ou de traits : « La ligne court, va à l’infini, tandis que la couleur, elle, « est » dans l’infini. » Cette libération de l’espace va de pair avec le désir d’atteindre une énergie dématérialisée, de créer des « zones de sensibilité immatérielle », ce qui le conduit à « exposer » dans une galerie vide (le Vide, galerie Iris Clert, Paris, 1958) ou encore à « haïr les oiseaux qui volaient de-ci, de-là, dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu’ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres ».

La double dimension de la couleur pure et de la sensibilité immatérielle, à laquelle s’ajoute une recherche de nouveaux moyens picturaux, faisant appel, en particulier, aux quatre éléments, explique les multiples aspects de son œuvre : les anthropométries sont des expériences de pinceau vivant, obtenues par des empreintes de femmes nues enduites de peinture bleue ; les peintures de feu, des combustions de gaz de coke sur des feuilles de carton ; les cosmogonies sont réalisées par l’entremise de manifestations atmosphériques telles que la pluie, le vent, la foudre ; dans l’architecture de l’air, l’eau, le feu et l’air sont utilisés pour obtenir une architecture fluide ; les éponges sont des éponges naturelles imbibées de peinture bleue ; les portraits-reliefs, des moulages du corps humain en plâtre peint en bleu (celui d’Arman sur fond or).

Ayant été à l’origine du groupe des Nouveaux Réalistes, fondé en 1960, qui regroupe des artistes comme Tinguely*, Daniel Spoerri, César*..., Yves Klein est sans doute, de sa génération, l’artiste qui aura eu la plus vaste influence. En atteignant, avec les monochromes, les limites de la peinture abstraite, il a permis, a contrario, ce retour en force de la figuration qui s’est amorcé dans les années 60. Mais les peintures monochromes postulent également (comme les travaux de Lucio Fontana*) l’impossibilité de continuer à se servir de la peinture en tant que procédé artistique. Toutes les tendances qui se sont développées depuis, de l’objet à l’art conceptuel*, doivent beaucoup à Klein en ce qu’elles abandonnent la peinture au profit de nouveaux supports. « Yves le monochrome » avait lui-même pressenti ces directions : les anthropométries et les cosmogonies étaient déjà des tentatives de ne plus faire de la peinture avec un pinceau. L’Immatériel, quant à lui, est une œuvre dont la procédure compliquée aboutissait à une absence physique : le collectionneur brûlait le reçu que lui avait vendu l’artiste, tandis que celui-ci dispersait l’or qu’il avait obtenu en échange.

Yves Klein s’est expliqué sur son travail dans de nombreux textes : le Dépassement de la problématique de l’art, le Réalisme authentique d’aujourd’hui, Le vrai devient réalité, l’Aventure monochrome.

A. P.

➙ Réalisme (nouveau).

 P. Wember, Yves Klein (Cologne, 1969). / P. Restany, Yves Klein (Hachette, 1974).