Iran (suite)
Ya‘qūb ibn al-Layth, le fils d’un ouvrier travaillant le cuivre originaire du Sīstān, commença sa carrière comme un brigand chevaleresque. Il devint rapidement maître de sa province et, en 873, il parvint à éliminer du Khorāsān les Ṭāhirides. Mais sa tentative pour conquérir Bagdad en 875-76 échoua. Il se préparait à une nouvelle guerre lorsque la mort le surprit. Ses descendants ne purent que se maintenir au Sistān. Ailleurs, principalement au Khorāsān, ils furent remplacés par les Sāmānides (874-999), descendants du général sassanide Bahrâm VI Tchobên. Cette nouvelle dynastie eut pour l’histoire de la civilisation iranienne une importance capitale.
Le premier Sāmānide, Isma‘īl ibn Aḥmad (né en 849), fut d’abord gouverneur de Boukhara ; plus tard, il conquit tout le Khorāsān en battant ‘Amr, le frère de Ya‘qūb (900). Après d’autres campagnes, les limites de ses États atteignirent Qazvin à l’ouest et Djamboul, dans l’actuel Kazakhstan soviétique, à l’est. Mort en 907, il fut enterré dans un tombeau s’inspirant du tchahār-tāk (« temple du feu »). Cette forme devint par la suite un archétype des mausolées iraniens. Huit autres princes lui succédèrent jusqu’en 999, date à laquelle ils furent éliminés par les Rhaznévides.
La grandeur des Sāmānides réside moins dans le fait d’avoir bâti un royaume que dans leur esprit civilisateur. Ils accordèrent leur protection à des savants (Avicenne*) et se firent les principaux promoteurs de la nouvelle littérature persane, telle qu’elle existe aujourd’hui. Certes, le renouveau de celle-ci au détriment de l’arabe s’était déjà amorcé au début du ixe s. (poème persan lu au moment de l’entrée d’al-Ma’mūn à Merv, 808-809), mais c’est sous l’égide de cette dynastie qu’elle s’imposa définitivement. À cette époque vécut Rudaki († 940), considéré comme le premier grand poète persan, et, pendant la même période, Bal‘ami traduisit de l’arabe en persan l’œuvre magistrale de l’historien iranien al-Ṭabarī.
Alors que les Sāmānides régnaient sur le Khorāsān, d’autres chefs de guerre se taillèrent des royaumes. Les plus importants d’entre eux furent les Ziyārides et les Buwayhides (ou Būyides). Les premiers, descendants de la vieille noblesse, contrôlèrent principalement le Māzandarān, le Gorgān et le Kumech. Ils s’attachèrent à raviver les anciennes traditions dans le cadre de la Perse nouvelle : le ziyāride Mardāwīdj se conduisit en véritable souverain sassanide. Les Ziyārides contribuèrent fortement au développement littéraire et artistique.
Les Buwayhides (932-1055), d’humble origine, tiraient leur force des guerriers daylamites, qui ne se soumirent jamais aux Arabes. Ces montagnards de l’Elbourz avaient été convertis à l’islām non orthodoxe par les réfugiés ‘alides zaydites (Zayd étant le petit-fils de Ḥusayn, le troisième imām et le grand martyr des chī‘ites) persécutés par le califat sunnite. Les Buwayhides formèrent la plus importante des dynasties chī‘ites régnantes avant l’avènement des Séfévides. Devenus maîtres d’une grande partie de l’Iran, ils réalisèrent le rêve de Ya‘qūb ibn al-Layth en occupant Bagdad en 945. Soumettant le calife à leur volonté, ils mirent ainsi fin à la brillante époque califale. Toutefois, aussi contradictoire que cela puisse paraître, ils n’éliminèrent pas les ‘Abbāssides et leur laissèrent leur charge : les sunnites étaient largement majoritaires, et le calife en tant que leur chef spirituel, sinon temporel, jouissait d’un immense pouvoir moral et religieux.
Les invasions turco-mongoles
L’ère des souverains persans, l’« intermède iranien », s’acheva avec ces nouveaux troubles. Mais l’iranisme, loin de s’éteindre, prit un nouvel essor. Cet épanouissement fut surtout visible au cours de la première vague des conquêtes : celles des Rhaznévides* (ou Ghaznévides) et des Seldjoukides*.
L’affirmation du pouvoir turc se fit progressivement. Au moment où la Perse s’affranchissait de l’arabisme et de la contrainte politique des califes, les Turcs servaient alors dans le monde islamique comme esclaves ou mercenaires. Grâce à leur bravoure et à leur grande valeur militaire, leur importance grandissait auprès de leurs maîtres et ils finissaient par les supplanter.
Ce fut le cas de la famille des Rhaznévides, qui commença par servir les Sāmānides et qui par la suite, profitant de leur déclin, les élimina du Khorāsān et de l’Afghānistān actuel. Le membre le plus important de cette famille fut Maḥmūd de Rhazna (999-1030) : il voulut imiter et même dépasser la gloire des Sāmānides et se comporta en grand mécène. Sa cour fut le rendez-vous des poètes de talent. D’autre part, il introduisit l’islām en Inde : il est en quelque sorte le père du Pākistān actuel. En fait, il semble que l’islām et la guerre sainte n’aient été souvent pour lui qu’un prétexte pour piller les Indiens et leurs temples gorgés d’or et de pierres précieuses.
Son fils Mas‘ūd Ier perdit en 1040 ses possessions iraniennes au profit des Seldjoukides. Cette famille commandait les tribus turques oghouz qui avaient déjà inquiété le sultan Maḥmūd de Rhazna. Celui-ci, pour les briser, leur fit traverser le fleuve Oxus pour les éparpiller dans le Khorāsān. Mais, dès sa mort, ces nomades retrouvèrent leur liberté d’action et, en se rassemblant, ils parvinrent à battre les armées rhaznévides (1031). Laissant aux vaincus leurs possessions indiennes, ils se concentrèrent sur la conquête de l’Iran. Leur chef Toghrul Beg (de 1038 à 1063) élimina les Buwayhides et, se déclarant sunnite convaincu, « libéra » le calife (1055).
Ne désirant pas garder en Perse même les Turcs turbulents qui continuaient d’y arriver, les Seldjoukides les dirigèrent vers les frontières de l’Azerbaïdjan pour y faire la guerre sainte aux chrétiens d’Asie Mineure et d’Arménie. Les razzias auxquelles se livrèrent ces nomades provoquèrent la colère de l’empereur byzantin Romain IV Diogène, qui, à la tête d’une grande armée, marcha vers l’Orient. La rencontre avec les troupes d’Alp Arslan, le deuxième souverain seldjoukide (de 1063 à 1073), eut lieu en 1071 au nord du lac de Van : cette bataille de Mantzikert (auj. Malazgirt) se termina par la défaite des Byzantins et la capture de Romain IV Diogène lui-même.
La débâcle byzantine eut des conséquences importantes : les Turcs s’engouffrèrent dans la brèche, et le prince Sulaymān ibn Kutulmich fonda en Anatolie un nouveau royaume de culture turco-iranienne. On appela ces Turcs les Seldjoukides du sultanat de Rūm pour les distinguer des Grands Seldjoukides de l’Iran.