Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gabriel (Jacques-Ange) (suite)

L’originalité de Gabriel réside moins dans les plans ou les motifs décoratifs que dans la disposition et le choix des éléments. Retenant ce qui est en propre architecture, il tend, dès les ermitages de Fontainebleau ou de Compiègne (1753, détruit), le pavillon du Butard (1750) ou le salon de compagnie de Trianon, vers la simplicité et la logique formelles, pour aboutir à une harmonieuse pureté, aussi éloignée du pittoresque rococo que des tendances « révolutionnaires » au sein du néo-classicisme.

Jacques V Gabriel

(Paris 1667-id. 1742).

Il a d’abord travaillé dans l’agence de son cousin J. H.-Mansart*. Contrôleur général en 1686, architecte ordinaire en 1709, il succédera en 1735 à Robert de Cotte* comme Premier architecte et deviendra directeur de l’Académie en 1737 (il y siégeait depuis 1699).

En un temps où l’État cédait aux villes et aux grands l’initiative de la construction, Jacques V, aussi bon décorateur (Fontainebleau, Versailles) que technicien (il était Premier ingénieur des Ponts), est appelé à Orléans pour la cathédrale, à Blois pour l’évêché et le pont, à Dijon pour l’escalier du palais des états (1733), à Nantes, etc., souvent aidé par Jacques-Ange, qui parachèvera son œuvre. À Rennes, après l’incendie de 1720, à Bordeaux pour la place Royale, en 1733, Jacques V fera œuvre d’urbaniste.

À Paris, où il reconstruit la Chambre des comptes en 1738-1740 (détruite), il élève nombre d’hôtels des faubourgs Saint-Honoré et Saint-Germain (hôtels de Varengeville [1704], de La Force [1711], Blouin et de Feuquières [1718]). Son style, sobre et clair, aux plans très étudiés, évolue vers plus de pittoresque à l’hôtel Peyrenc de Moras (auj. musée Rodin), exécuté par Jean Aubert de 1728 à 1730.

H. P.

 E. de Fels, Ange-Jacques Gabriel, Premier architecte du roi (Émile Paul, 1911 ; 2e éd., 1924). / J. Lemaire, les Gabriel, seigneurs de Mézières (Houzé, Orléans, 1945). / Y. Bottineau, l’Art d’Ange-Jacques Gabriel à Fontainebleau, 1735-1774 (De Boccard, 1963). / S. Granet, la Place de la Concorde (Revue géogr. et industr. de France, 1965). / P. Brachet, Jacques V Gabriel (École pratique des hautes études, 1970).

Gabrieli (Andrea et Giovanni)

Compositeurs et organistes italiens du xvie s. Andrea (Venise v. 1510 - id. 1586) et son neveu Giovanni (Venise 1557 - id. 1612) sont les plus illustres représentants de l’école vénitienne, car Monteverdi* se situe, par son génie, hors des limites d’un cadre régional.


Andrea fut d’abord chantre à l’église Saint-Marc vers 1536. Après y avoir en vain brigué la place d’organiste (1541), il alla servir Vincenzo Ruffo (v. 1510-1587), maître de chapelle à Vérone, puis revint à Venise, où il fut organiste à Saint-Jérémie. Après un nouvel échec à Saint-Marc (1557), il voyagea en Bohême et en Bavière. En 1564, il fut enfin nommé second organiste à Saint-Marc, puis, après le départ de Claudio Merulo (1533-1604), premier organiste (1584), tandis que son neveu Giovanni, qui avait été à Munich (1575-1579) au service du duc de Bavière, lui succédait au second orgue. L’un comme l’autre occupèrent jusqu’à la fin de leur vie ces postes de second plan, mais n’en acquirent pas moins une renommée européenne grâce à leur talent de compositeur et à la qualité de leur enseignement. Andrea compta parmi ses élèves Ludovico Zacconi (1555-1627), Gregor Aichinger (1564-1628) et Hans Leo Hassler (1564-1612), et Giovanni, les Danois Hans Nielsen (v. 1580 - v. 1626) et Mogens Pederson (v. 1585 - v. 1623), l’Italien Alessandro de Grandi († 1630) et l’Allemand Heinrich Schütz*. Bien qu’Andrea ait plutôt innové dans la polyphonie vocale et Giovanni dans la polyphonie instrumentale, leur production ne saurait être dissociée. Le neveu, en effet, se considéra toujours comme le fils spirituel de son oncle et publia ses propres livres de musique en les faisant précéder de quelques-unes de ses œuvres. Andrea a surtout composé des madrigaux (6 livres de 3 à 6 voix, 1566-1589), des motets (2 livres à 4 et 5 voix, 1565 et 1576), des messes (1 livre à 6 voix, 1572), des psaumes (1 livre à 6 voix et instruments, 1583), des Ricercari (2 livres, 1595 et 1596) et des Canzoni alla francese (1 livre, 1605). Il publia, en outre, avec son neveu, des Concerti de 6 à 16 voix (1587) et des Intonationi d’organo (1593). Bien que, dans sa musique vocale profane, son art se rattache encore à celui de Vincenzo Ruffo et Adriaan Willaert*, Andrea oriente le madrigal vers le nouveau style monodique. Il divise, selon la pratique de la musique religieuse à Saint-Marc, les voix en deux chœurs (cori spezzati), use du récitatif, du dialogue dramatique et souligne toutes les nuances du texte avec un intérêt tel que l’on peut le considérer comme un précurseur du style de théâtre. Parfois, son madrigal devient pastorale (greghesca) ou parodie joyeuse (giustiniana) et annonce le madrigal dramatique d’Orazio Vecchi (1550-1605) et d’Adriano Banchieri (1567-1634). Si les messes restent très traditionnelles, les motets d’Andrea sont influencés par son madrigal. Dans ses psaumes, il introduit l’usage des instruments, notamment des cuivres. Il accroît le nombre des voix (6 voix), qui se combinent aux vents avec un vif sentiment de la couleur et de la richesse sonores. Dans ses Concerti, le violon fait sa première apparition à l’église. Andrea est aussi le premier à appeler sonata une pièce pour cinq instruments. Ses intonationi et ses ricercari préfigurent d’une part le futur prélude choral, d’autre part la fugue monothématique. Enfin, dans ses canzoni « à la mode de France », écrites pour le clavier et richement ornées, il fait preuve d’un sens inné du décoratif et d’une magnificence qui suffiraient à caractériser l’école vénitienne. Giovanni, dans ses Madrigali e ricercari à 4 voix (1587), ses Ecclesiasticae Cantiones de 4 à 6 voix (1589) et surtout dans ses Sacrae Symphoniae (2 livres de 6 à 19 voix, 1597 et 1615) et ses Canzoni e sonate de 3 à 22 voix (1615), poursuivit les recherches d’Andrea. Dans ses motets, le style choral vénitien atteint son apogée. Il augmente le nombre des voix, écrit pour double chœur, parfois pour triple (Magnificat sexti toni) ou quadruple (Ascendit Deus). De ces grands ensembles où l’orchestre manifeste son indépendance à l’égard des parties vocales naîtra le nouveau « style concertant ». Giovanni enrichit d’autre part la canzone da sonar (jouée par des instruments et non chantée). Alors qu’Andrea n’employait que huit instruments, il écrit sa Canzone in eco pour 8 cornets et 2 trompettes, et sa Sonata pian e forte pour violon, cornet et 6 trompettes. Il osera faire appel à 15, 22 et même 33 instruments, non sans conserver une grande liberté d’inspiration, une profonde sensibilité harmonique, un sens inouï de l’opposition des masses et une variété dans le coloris instrumental que l’on retrouve dans son œuvre, éblouissante, en harmonie avec le cadre de Saint-Marc et la lumière de la lagune.

A. V.