Ensemble d’individus vivants, animaux ou végétaux, suffisamment semblables pour être spontanément désignés sous le même nom.
L’espèce, notion intuitive
Le mot espèce, terme courant largement utilisé, correspond à une subdivision systématique objective. Un jeune enfant sait distinguer l’espèce « Chien » de l’espèce « Chat » ; malgré des variations morphologiques accusées, il n’hésite pas à ranger le Basset Teckel et le Danois dans la même espèce « Chien ».
Il convient de désigner les êtres vivants que le chasseur, le pêcheur, le collectionneur, le zoologiste, le botaniste reconnaissent et identifient. L’espèce porte donc un nom vernaculaire : la Grenouille brune, la Grenouille verte, la grande Chélidoine, la Chélidoine laciniée.
Mais ce nom, variable souvent d’une province à l’autre, n’offre pas de valeur internationale, et les scientifiques le remplacent par un nom latin universellement utilisé et composé de deux mots : le premier désigne le genre et le second l’espèce. Les Grenouilles appartiennent au genre Rana ; la Grenouille brune est Rana temporaria, et la Grenouille verte Rana esculenta. Les Chélidoines appartiennent au genre Chelidonium ; la grande Chélidoine est Chelidonium majus, et la Chélidoine laciniée Chelidonium laciniatum.
Les indigènes vivant sur les hauts plateaux de Nouvelle-Guinée ont inventé 137 noms vernaculaires différents pour désigner 137 types d’Oiseaux qu’ils reconnaissaient ; des ornithologistes spécialisés ont déterminé dans la même région, d’après des critères scientifiques, 138 espèces qui ont reçu chacune un nom latin ; cette coïncidence prouve la réalité de l’espèce. Parmi ces Oiseaux, certains sont des proies appréciées ; il convient donc de bien les distinguer, et l’indigène en a ressenti la nécessité.
Combien compte-t-on d’espèces ? Le nombre d’espèces actuellement présentes sur la Terre serait de l’ordre de 4 millions (à 1 million près), et moins de la moitié de ce nombre correspond à des espèces connues ; il y aurait 1 espèce végétale pour 8 à 10 espèces animales. Une statistique récente (Ernst Mayr, 1969) évalue à 1 100 000 les espèces animales connues.
Le zoologiste ou le botaniste réussit assez facilement, avec l’aide de faunes et de flores, à déterminer les espèces propres à un biotope ou à une aire déterminée. Certaines déterminations sont plus difficiles. L’identité de l’échantillon avec le modèle n’est pas totale ; de petites différences de taille, de coloration posent des problèmes. Ces légères dissemblances sont-elles négligeables ? Les « réunisseurs » (lumpers des Anglais) le pensent et s’efforcent de réduire le nombre des espèces. Mais les « pulvérisateurs » (splitters des Anglais) les considèrent comme suffisamment importantes pour caractériser une nouvelle espèce et multiplient ainsi le nombre des espèces. Voici quelques exemples de ces deux tendances ; les Roses d’Europe et d’Orient comptent 5 549 espèces ou seulement 211 espèces pour le monde entier. Selon les auteurs, les Anodontes, Mollusques bivalves d’eau douce, renferment 251 espèces en France ou seulement 1 espèce européenne. Ces profondes différences quantitatives tiennent à des causes multiples ; ce sont le plus souvent des formes locales et non de véritables espèces. L’adage de J. A. Eudes-Deslongchamps « Plus on a d’individus, moins on a d’espèces » correspond aux faits.
Histoire de la notion d’espèce
La première période
Elle s’étend jusqu’au début du xixe s. et correspond au règne du créationisme et du fixisme. On croit à la fixité des espèces, qui sont des entités permanentes ; chacune d’elles a fait l’objet d’une création spéciale, et les diverses espèces ne présentent aucun lien, aucun passage de l’une à l’autre. Linné estime qu’il y a autant d’espèces que Dieu en créa au commencement (Species tot sunt quot diversas formas ab initio produxit infinitum Ens) [1738]. Les grands naturalistes de cette période, John Ray, Linné, Cuvier, Buffon, se préoccupent de l’espèce et cherchent à en délimiter les cadres.