Eschyle (suite)
Imagination dramatique et lyrisme
Eschyle pallie la pauvreté des ressources matérielles susceptibles de paralyser la réalisation scénique de son théâtre par la puissance dramatique de ses tableaux. Ces éléments grandioses, narratifs ou descriptifs, sont une des ciels de voûte de ses tragédies et aboutissent à des effets saisissants. Agamemnon s’ouvre sur une nuit mystérieuse et inquiétante : le Veilleur est étendu sur la terrasse du palais des Atrides, quand, soudain, sur les hauteurs lointaines, une lueur jaillit, annonçant qu’Ilion est prise. L’entrée du roi dans tout l’éclat de son triomphe dans la même pièce, celle de la reine Atossa dans les Perses, l’apparition majestueuse de l’ombre de Darios ou encore le spectacle de Prométhée crucifié sur les rochers scythes, voilà des visions splendides : la plus belle trouvaille d’Eschyle reste peut-être, cependant, le début des Euménides, où l’on voit, à Delphes, les Érinyes endormies autour d’Oreste pousser des cris inarticulés et croire saisir leur proie. Ailleurs, ce sont d’admirables fragments d’épopée encastrés dans le dialogue : tels le récit à Atossa de Salamine (les Perses, 353-432) et la narration des dispositions de combat des sept chefs aux sept portes de Thèbes (les Sept contre Thèbes, 375-652).
Des images somptueuses s’insèrent dans ces évocations : les astres sont les « princes lumineux des feux de l’éther » (Agamemnon, 9) ; les soldats de Xerxès ressemblent à « un grand vol d’oiseaux vêtus de sombre azur » (les Perses, 559) ; Hélène est comparable à « la paix d’une embellie que ne trouble aucun vent, un doux joyau qui rehausse un trésor, un tendre trait qui vise aux yeux, une fleur de désir qui enivre les cœurs » (Agamemnon, 737-743). C’est aussi le « sourire innombrable des vagues marines » dans la célèbre invocation de Prométhée à la Nature (Prométhée enchaîné, 88-92).
Euripide, mis en scène dans les Grenouilles d’Aristophane, parle de la « langue sans frein, sans retenue, sans barrières » d’Eschyle, ce « fagoteur de mots pompeux », dont « la tragédie [est] bouffie de termes emphatiques et de vocables pesants ». Mais, finalement, Dionysos, arbitre des deux poètes, choisit Eschyle pour sa sublimité hautaine, car il a su mettre magnifiquement au service d’un esprit religieux et national la grandeur de son expression poétique.
A. M.-B.
Les premiers poètes tragiques
Thespis
(vie s.). Il représente la première génération des poètes tragiques grecs. On lui attribue l’invention du prologue et du récit, la création de l’acteur en face du chœur, l’introduction du masque.
Choerilos
(v. 540 - v. 480). Il serait le « roi du drame satyrique » et aurait fait représenter cent soixante drames, dont il ne reste rien.
Pratinas de Phlionte
(ve s.). Il a laissé quelques fragments lyriques qui révèlent un véritable poète.
Phrynichos, d’Athènes.
Prédécesseur immédiat d’Eschyle, il suscita, au dire d’Hérodote, l’émotion de ses concitoyens par les accents pathétiques de sa Prise de Milet (v. 494). Aristophane fait plusieurs allusions aux chants qui accompagnaient ses drames.
➙ Euripide / Grèce / Sophocle / Théâtre / Tragédie.
A. W. von Blumenthal, Aischylos (Stuttgart, 1924). / H. W. Smyth, Aeschylean Tragedy (Berkeley, 1924). / J. T. Sheppard, Aeschylus and Sophocles (Londres, 1927). / M. Croiset, Eschyle (Les Belles Lettres, 1928 ; 3e éd., 1965). / J. Coman, l’Idée de la Némésis chez Eschyle (Alcan, 1931). / M. Delcourt, Eschyle (Rieder, 1935). / J. Dumortier, les Images dans la poésie d’Eschyle (Les Belles Lettres, 1935). / G. Méautis, Eschyle et la Trilogie (Grasset, 1936). / G. C. A. Murray, Aeschylus, the Creator of Tragedy (Oxford, 1940). / G. D. Thomson, Aeschylus and Athens (Londres, 1941 ; 3e éd., 1966). / W, B. Stanford, Aeschylus in his Style (Dublin, 1942). / J. Defradas, les Thèmes de la propagande delphique (Klincksieck, 1954). / J. de Romilly, la Crainte et l’angoisse dans le théâtre d’Eschyle (Les Belles Lettres, 1958). / R. D. Dawe, Repertory of Conjectures on Aeschylus (Leyde, 1965). / A. Wartelle, Histoire du texte d’Eschyle dans l’Antiquité (Les Belles Lettres, 1971).