Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Eschyle (suite)

Imagination dramatique et lyrisme

Eschyle pallie la pauvreté des ressources matérielles susceptibles de paralyser la réalisation scénique de son théâtre par la puissance dramatique de ses tableaux. Ces éléments grandioses, narratifs ou descriptifs, sont une des ciels de voûte de ses tragédies et aboutissent à des effets saisissants. Agamemnon s’ouvre sur une nuit mystérieuse et inquiétante : le Veilleur est étendu sur la terrasse du palais des Atrides, quand, soudain, sur les hauteurs lointaines, une lueur jaillit, annonçant qu’Ilion est prise. L’entrée du roi dans tout l’éclat de son triomphe dans la même pièce, celle de la reine Atossa dans les Perses, l’apparition majestueuse de l’ombre de Darios ou encore le spectacle de Prométhée crucifié sur les rochers scythes, voilà des visions splendides : la plus belle trouvaille d’Eschyle reste peut-être, cependant, le début des Euménides, où l’on voit, à Delphes, les Érinyes endormies autour d’Oreste pousser des cris inarticulés et croire saisir leur proie. Ailleurs, ce sont d’admirables fragments d’épopée encastrés dans le dialogue : tels le récit à Atossa de Salamine (les Perses, 353-432) et la narration des dispositions de combat des sept chefs aux sept portes de Thèbes (les Sept contre Thèbes, 375-652).

Des images somptueuses s’insèrent dans ces évocations : les astres sont les « princes lumineux des feux de l’éther » (Agamemnon, 9) ; les soldats de Xerxès ressemblent à « un grand vol d’oiseaux vêtus de sombre azur » (les Perses, 559) ; Hélène est comparable à « la paix d’une embellie que ne trouble aucun vent, un doux joyau qui rehausse un trésor, un tendre trait qui vise aux yeux, une fleur de désir qui enivre les cœurs » (Agamemnon, 737-743). C’est aussi le « sourire innombrable des vagues marines » dans la célèbre invocation de Prométhée à la Nature (Prométhée enchaîné, 88-92).

Euripide, mis en scène dans les Grenouilles d’Aristophane, parle de la « langue sans frein, sans retenue, sans barrières » d’Eschyle, ce « fagoteur de mots pompeux », dont « la tragédie [est] bouffie de termes emphatiques et de vocables pesants ». Mais, finalement, Dionysos, arbitre des deux poètes, choisit Eschyle pour sa sublimité hautaine, car il a su mettre magnifiquement au service d’un esprit religieux et national la grandeur de son expression poétique.

A. M.-B.


Les premiers poètes tragiques


Thespis

(vie s.). Il représente la première génération des poètes tragiques grecs. On lui attribue l’invention du prologue et du récit, la création de l’acteur en face du chœur, l’introduction du masque.


Choerilos

(v. 540 - v. 480). Il serait le « roi du drame satyrique » et aurait fait représenter cent soixante drames, dont il ne reste rien.


Pratinas de Phlionte

(ve s.). Il a laissé quelques fragments lyriques qui révèlent un véritable poète.


Phrynichos, d’Athènes.

Prédécesseur immédiat d’Eschyle, il suscita, au dire d’Hérodote, l’émotion de ses concitoyens par les accents pathétiques de sa Prise de Milet (v. 494). Aristophane fait plusieurs allusions aux chants qui accompagnaient ses drames.

➙ Euripide / Grèce / Sophocle / Théâtre / Tragédie.

 A. W. von Blumenthal, Aischylos (Stuttgart, 1924). / H. W. Smyth, Aeschylean Tragedy (Berkeley, 1924). / J. T. Sheppard, Aeschylus and Sophocles (Londres, 1927). / M. Croiset, Eschyle (Les Belles Lettres, 1928 ; 3e éd., 1965). / J. Coman, l’Idée de la Némésis chez Eschyle (Alcan, 1931). / M. Delcourt, Eschyle (Rieder, 1935). / J. Dumortier, les Images dans la poésie d’Eschyle (Les Belles Lettres, 1935). / G. Méautis, Eschyle et la Trilogie (Grasset, 1936). / G. C. A. Murray, Aeschylus, the Creator of Tragedy (Oxford, 1940). / G. D. Thomson, Aeschylus and Athens (Londres, 1941 ; 3e éd., 1966). / W, B. Stanford, Aeschylus in his Style (Dublin, 1942). / J. Defradas, les Thèmes de la propagande delphique (Klincksieck, 1954). / J. de Romilly, la Crainte et l’angoisse dans le théâtre d’Eschyle (Les Belles Lettres, 1958). / R. D. Dawe, Repertory of Conjectures on Aeschylus (Leyde, 1965). / A. Wartelle, Histoire du texte d’Eschyle dans l’Antiquité (Les Belles Lettres, 1971).

esclavage

Condition de l’esclave, homme susceptible d’être acheté, vendu et utilisé au gré de son maître, qui en est propriétaire.



Origines et condition

La qualité d’esclave s’attache à l’homme comme une marque indélébile. C’est un statut héréditaire, qui s’acquiert et se perd seulement dans des circonstances bien déterminées. C’est en même temps une condition sociale inférieure et le plus souvent médiocre. L’institution a été quasi universelle. Elle a représenté une sorte de phase intermédiaire entre la sauvagerie primitive, qui tue l’étranger comme l’ennemi, et la société contemporaine, qui pratique un certain respect de la liberté et de l’égalité entre les hommes.

L’institution n’a pas eu le même développement partout : certains pays furent esclavagistes, en ce sens que leur économie était sous la dépendance du travail servile (Antiquité classique, îles d’Amérique, États sudistes), tandis que les autres, sans condamner l’institution, admettaient les esclaves sur leur territoire, en en reconnaissant le statut. Les caractéristiques de l’esclave étaient à peu près les mêmes partout, même en Chine, où l’on trouvait les esclaves de l’empereur, ceux des particuliers, les eunuques, etc. Dans ce pays, toutefois, on considérait l’esclave, juridiquement, comme une personne, ce qui n’était pas le cas dans les contrées méditerranéennes.

L’origine des esclaves se retrouve aussi, analogue, sous toutes les latitudes. La guerre a été la principale pourvoyeuse. À son issue, les vaincus étaient à l’entière merci des vainqueurs, qui pouvaient les tuer tous et qui ne s’en sont pas toujours privés (Assyriens, Grecs). Ce furent d’abord les non-combattants, femmes et enfants, qui bénéficièrent de la grâce. Rescapés, ils demeuraient sous l’entière dépendance du nouveau maître. L’esclave est donc, originellement, un butin et quelque chose comme un mort en sursis. Totale soumission qui n’est bientôt plus seulement la conséquence de la défaite, car, faute de la ressource de la guerre, on se procure des esclaves par le rapt, de préférence chez les peuples voisins : en effet, l’esclave, c’est souvent et surtout l’étranger, l’infidèle et, plus que tout autre, le Noir, destiné à devenir l’esclave attitré de l’Islām et de l’Amérique. Ainsi, guerres et razzias alimentent le marché, qui requiert un approvisionnement constant, car la condition servile incite fort peu à la prolifération. Il s’ajoute à cela l’esclavage pour dettes, la vente des enfants et l’esclavage volontaire, qui revêt des formes diverses, depuis le don de soi à un riche par un homme aux abois jusqu’à la servitude de fait de celui qui, de nos jours, une fois l’esclavage aboli officiellement, continue à être traité comme un esclave et s’y résigne tant par respect des traditions que par l’impossibilité de s’évader vers une autre existence.