Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

enfer (suite)

Un contact existe ainsi entre le « shéol » et la « terre des vivants ». Les prophètes annoncent la libération des justes du « shéol ». Ézéchiel annonce la survie du peuple d’Israël (Ézéchiel, xxxvii, 1-14), qui, échappant au sort auquel avaient été voués ces êtres mythiques disparus, les Rephaïm, ressuscitera. Avec le livre de Daniel ainsi que dans la littérature apocalyptique (livre éthiopien d’Énoch), l’idée de la résurrection générale s’affirme. Il faut souligner ici que le regard de la foi juive est tourné alors vers la victoire sur les puissances infernales et vers la survie des justes, auxquels la libération est prêchée, plutôt que vers la recherche de conceptions déterminées de l’au-delà. Cela souligne le caractère éthique de l’eschatologie biblique, particulièrement net dans l’enseignement des pharisiens sur la résurrection. Malgré un fond de tableau mythique, commun à tout l’Orient, l’idée d’une réparation et d’une rétribution des justes liée à l’ère messianique domine les conceptions plus ou moins ésotériques de la migration des âmes et des purifications spirituelles.

Le mythe antique d’un « voyage divin aux Enfers » affleure dans la tradition juive (livre de Jonas), mais il est transposé par le moyen du midrash, genre littéraire propre à l’Écriture sainte. Dans la Bible, les prophètes ont pour mission d’annoncer la pénitence et le salut à tous, juifs et non-juifs, vivants et morts. Ainsi Jonas doit prêcher aux « ninivites », qui figurent tous ceux qui sont au loin. Comme il s’y refuse, il est jeté avec son consentement au « shéol », figuré par les profondeurs de la mer, où il demeure trois jours. Ce voyage lui remémore sa mission d’annonce du salut, à laquelle il se résout, sans pouvoir cependant l’accomplir. Le récit de l’ambivalence de Jonas, qui recule devant l’annonce du salut mais néanmoins traverse le domaine de la mort, restera comme un « signe » (Luc, xi, 29-32) relatif au sort des morts : ils doivent entendre eux aussi la prédication de la justice et sont dans l’attente de la résurrection.


La descente du Christ aux Enfers dans la tradition chrétienne

Jésus s’est, de son vivant, comparé à Jonas (Matthieu, xii, 38-42), et, dans l’Évangile selon saint Luc, il est dit qu’il affirma à ses disciples : « Il était écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour. » Ainsi l’affirmation de la résurrection de Jésus n’est pas seulement celle de la résurrection du tombeau, mais d’entre les morts, c’est-à-dire « des Enfers » (cf. de même Actes des Apôtres, ii, 24 et suiv. ; Romains, xx, 7 ; Luc, xxiv, 46). Ensuite, il est « monté dans les hauteurs », ramenant avec lui les « captifs ».

Pour saint Paul, la rédemption s’est opérée comme en deux temps : le combat victorieux du Christ a eu lieu sur la croix ; c’est là que les puissances cosmiques ont été dépouillées de leur pouvoir (Colossiens, ii, 15). Puis Jésus a délivré ceux qui sont au « royaume des ombres », sans quoi, que signifie : « Il est monté », sinon qu’il était descendu d’abord dans les régions inférieures de la Terre ? (Éphésiens, iv, 8-10). C’est ici que se fonde la doctrine théologique des Enfers.

La descente du Christ aux Enfers s’inscrit ainsi dans le thème néo-testamentaire de la descente du Verbe de Dieu sur la Terre, de la catabasis (ainsi Éphésiens, iv, 9 ; I Pierre, iii, 18-22), à laquelle répondent la résurrection puis l’ascension, anastasis, anabasis. Mais elle se prolonge en plusieurs directions à partir d’une réflexion sur le thème biblique de l’attente des justes dans le « shéol ».
1. La descente aux Enfers signifie d’abord l’annonce de la bonne nouvelle du salut apportée aux patriarches et prophètes d’Israël soit par les apôtres et docteurs (Hermas, Similitudes, ix, 16, 5-7), soit par Jésus lui-même : « Le Seigneur Dieu s’est souvenu des morts qui sont les siens, les saints d’Israël, qui étaient endormis dans le limon de la Terre. Il est descendu vers eux pour leur annoncer la bonne nouvelle du salut qu’il apportait » (Justin, Dialogue avec Tryphon, lxxii, 4). Lorsque l’Église devint dans sa majorité pagano-chrétienne, les Pères adjoignirent à ces justes d’Israël ceux parmi les gentils qui avaient confessé Dieu et s’étaient abstenus de l’idolâtrie.
2. La descente aux Enfers indique en outre l’idée d’une délivrance effective de ces justes. Le thème prend ici une dimension cosmique. L’eau dans laquelle ils sont plongés a été purifiée par le Christ et est devenue eau de salut ; c’est à la fois l’eau de la mer et l’eau baptismale ; de même, le feu des Enfers est devenu feu purifiant, la descente et la remontée sont des allusions au rite du baptême. D’où l’affirmation du baptême d’Adam dans les Enfers, qui permettra d’assumer le thème grec de la purification des âmes. On passe ici, en effet, du problème eschatologique au problème du salut. On s’attache moins à résoudre le sort des justes d’Israël, question qui est résolue par la prédication qui leur a été faite, qu’à expliquer comment s’opère leur entrée dans le Royaume, ce qui suppose aussitôt l’existence de deux habitats pour les âmes.
3. La descente aux Enfers est comprise enfin comme la « victoire sur le Fort » (Marc, iii, 27) et sur sa maison. L’idée de l’Adversaire ou du « Satan », répandue jusque-là surtout dans les écrits apocalyptiques, apparaît ici en liaison avec le thème des Enfers, mais il est à noter qu’elle n’a trouvé droit de cité dans le christianisme qu’après l’affirmation de la descente du Christ aux Enfers et de sa victoire. Le conflit avec Satan, que saint Paul situait seulement à la croix, est considéré ici comme s’étant étendu au domaine de l’Adversaire lui-même. Cet aspect de la descente aux Enfers, tout à fait secondaire à l’origine, était appelé à plus grande fortune. On en viendra à dire que le Christ devait racheter les pécheurs et payer une « dette », en rançon des « droits du démon » ; on passe ainsi abusivement du salut annoncé à tous les justes et de la victoire cosmique à un conflit pathétique dont le théâtre est le domaine même du diable.