douleur
Souffrance. La douleur, dans une perspective biologique (faisant abstraction de la douleur morale, de la tristesse), est à considérer avant tout comme une information, mais une information cependant qui a tendance à envahir tout le champ de la conscience.
Anatomo-physiologie
Les récepteurs de la douleur
Classiquement, ce sont, pour la peau, les « terminaisons libres ». En fait, on tend à admettre que celles-ci ne sont peut-être pas spécifiques et peuvent « recevoir » autre chose que des stimuli douloureux ; de même, la douleur peut être reçue par d’autres récepteurs. Une autre question concerne la nature du stimulus, puisque ceux qui donnent naissance à une douleur sont fort divers ; on a pensé qu’ils pourraient avoir en commun un intermédiaire chimique (histamine, sérotinine, bradykinine, acétylcholine), libéré quel que soit le stimulus.
Les voies de la douleur
Les fibres constitutives d’un nerf périphérique sont de calibres différents. Le message douloureux semble véhiculé par les fibres myélinisées les plus fines et par les fibres amyéliniques (sans myéline), c’est-à-dire celles des fibres dans lesquelles la vitesse de conduction est la plus faible.
• Au niveau de la moelle épinière existe un relais important qui va amener une dissociation anatomique entre les fibres conductrices de la douleur et celles qui conduisent les autres aspects de la sensibilité. (Les fibres de la sensibilité thermique partagent le sort de celles de la douleur.) Les fibres de la thermo-algésie (après une articulation neuronale) croisent la ligne médiane à leur étage respectif d’arrivée dans la moelle épinière et forment, dans le cordon antérolatéral opposé, le contingent dit « spino-thalamique ». Il semble cependant que certaines fibres de la sensibilité douloureuse partagent le destin de la voie lemniscale de la sensibilité tactile (cordon postérieur) et ne croisent donc pas la ligne médiane avant l’étage bulbaire. Elles véhiculeraient ce qu’il y a dans la sensation douloureuse d’informations permettant la localisation précise de la sensation douloureuse.
• Au niveau du tronc cérébral, la voie vectrice des sensations douloureuses se singularise par la très grande richesse de ses connexions avec la substance réticulée, qui est un système à projection diffuse (sur tout l’encéphale). On trouve ainsi dans l’organisation des voies sensitives une sorte de matérialisation du caractère « envahissant » de la sensation douloureuse.
• Au-delà du tronc cérébral, ce qui reste des voies de la douleur se perd dans le thalamus (système thalamique diffus), tandis que la voie lemniscale (contingent néo-spinothalamique y compris) se projette, avec une somatotopie précise, sur le cortex pariétal par le thalamus, en cela donc bien différente des voies principales de la sensibilité douloureuse.
Aspects pathologiques
La douleur ou plutôt les douleurs concernent chaque domaine de la médecine. Elles constituent le motif principal du plus grand nombre de consultations spontanées. Elles sont d’abord un fil conducteur possible, car leurs caractères (horaire, circonstances déclenchantes, etc.) peuvent être déterminants dans l’établissement d’un diagnostic. Du fait de leur persistance et/ou de leur intensité, les douleurs peuvent en elles-mêmes être nocives, sans oublier bien sûr de quel inconfort elles peuvent être responsables. Beaucoup de douleurs naissent du fait qu’un organe donné est le siège de phénomènes anormaux ; certaines résultent cependant de phénomènes siégeant directement sur les voies nerveuses de la douleur. Ainsi, une douleur de jambe peut être la conséquence d’une affection locale mais aussi traduire un désordre pathologique situé dans la moelle épinière ou le cerveau. Certaines de ces douleurs neurologiques ont des caractères assez curieux, telle l’hyperpathie thalamique, dans laquelle tout stimulus cutané, même le plus léger, est ressenti comme une sensation extrêmement pénible. La composante psychique dans la douleur est parfois importante. Certaines douleurs peuvent être considérées comme psychosomatiques et représentent en quelque sorte la conversion d’une angoisse.
Aspects pharmacologiques
Les antalgiques diminuent ou font céder la douleur ; ils n’ont en principe pas d’autre action sur le système nerveux. Certains sont dits « narcotiques », dont le chef de file est l’opium. Un autre groupe important est celui des analgésiques-antipyrétiques, dont les chefs de file sont l’acide acétyl-salicylique, la phénacétine et l’amidopyrine. On emploie aussi des anesthésiques locaux du type procaïne contre certaines douleurs, et de nombreuses autres médications ont des propriétés antalgiques.
Aspects thérapeutiques
La douleur peut être supprimée par un traitement dirigé contre sa cause et/ou par un recours aux antalgiques. Dans de rares cas, on peut être conduit à la chirurgie de la douleur (radicotomie, cordotomie, psychochirurgie), qui agit par section ou suppression des différentes voies de la douleur. La tolérance à la douleur peut enfin être améliorée par des médications psychotropes sans effet antalgique direct.
J. E.
➙ Sensibilité.
T. Alajouanine et coll., la Douleur et les douleurs (Masson, 1956). / H. Mamo, la Douleur. Aspects physiologiques, physio-pathologiques et incidences thérapeutiques (Baillière, 1968). /R. Janzen et coll., la Douleur. Principes fondamentaux, pharmacologie, traitement (Masson, 1973).
Dovjenko (Aleksandr Petrovitch)
Metteur en scène de cinéma soviétique (Sosnitsa, Ukraine, 1894 - Moscou 1956).
Instituteur à Jitomir de 1915 à 1917, Dovjenko participe ensuite à la guerre civile, puis est nommé en 1921 au commissariat aux Affaires étrangères à Kharkov. Envoyé à Varsovie, Munich et Berlin, il occupe de 1921 à 1923 dans ces diverses villes les fonctions de secrétaire d’ambassade et d’attaché de consulat. Après avoir pris à Berlin des leçons auprès du peintre expressionniste Erich Heckel, il pense entrer à l’Institut des beaux-arts. Mais, rappelé dans son pays, il ne peut revenir en Allemagne et gagne sa vie comme dessinateur et caricaturiste. En 1926, il part pour Odessa et débute au cinéma comme coscénariste d’une comédie pour enfants, Vassia le Réformateur (Vassia Reformator), et comme réalisateur d’un film en deux bobines, le Petit Fruit de l’amour (Iagodka Lioubvi, 1926), dont la carrière plutôt confidentielle sera exclusivement ukrainienne. Après un film d’aventures révolutionnaires et d’espionnage, la Sacoche du courrier diplomatique (Soumka dipkourera, 1927), il tourne une vaste synthèse historique, Zvenigora (1928), qui se présente sous la forme d’un poème en douze chants. Cette première grande œuvre lui vaut la sympathie d’Eisenstein et de Poudovkine, avec lesquels il va bientôt former une sorte de triumvirat artistique qui donnera à l’U. R. S. S. ses plus beaux films. En 1928, il épouse Ioulia Solntseva, actrice de talent qui avait été particulièrement remarquée dans Aelita de I. A. Protazanov et qui abandonnera sa carrière pour devenir l’assistante fidèle de son mari. Arsenal (1929), ode tragique aux ouvriers de l’arsenal de Kiev insurgés en 1918 contre le gouvernement nationaliste de l’Ukraine, et la Terre (Zemlia, 1930), poème lyrique qui témoigne d’un amour profond à l’égard de sa patrie ukrainienne et qui fut classé au référendum de Bruxelles (1958) parmi les douze plus grands films du monde, imposent Dovjenko comme un cinéaste inspiré et unanimiste. « Lorsque j’ai commencé le film, j’ai décidé de n’utiliser aucun effet, aucun truquage, aucune acrobatie technique, mais des moyens tout simples. J’ai pris pour sujet la terre, sur cette terre une isba, des hommes, des gens ordinaires... Mon film, d’une conception biologique panthéiste, est plein d’optimisme. » L’œuvre, si brillante soit-elle, n’avait pas manqué cependant d’être critiquée à sa sortie par certains responsables politiques qui lui reprochèrent de « démobiliser » le spectateur. Tentant de concilier ses propres théories avec celles de l’idéologie au pouvoir, Dovjenko tourne ensuite trois films où son talent n’abdique pas devant les pressions diverses des autorités : Ivan (1932), Aerograd (1935), Chtchors (1939). Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se voue au documentaire de propagande. Il dirige lui-même Libération (Osvobojdenie, 1940) et collabore très étroitement à Ukraine en flammes (Bitva za nachou sovetskouiou Oukraïnou, 1943), film réalisé par sa femme, I. Solntseva, et I. Ardejenko, à la Victoire en Ukraine (Pobeda na Pravoderejnoï Oukraïne, 1945) et à Pays natal (Rodnaïa strana, 1946). La Vie en fleurs, une pièce de théâtre qu’il a écrite, ne pouvant être filmée comme il l’entendait. Dovjenko est contraint de céder aux pressions politiques et artistiques. Son scénario, quelque peu remanié pour obéir aux canons jdanoviens réalistes-socialistes, devient Mitchourine (1948), ciné-biographie du fameux agronome russe. Les difficultés auxquelles se heurtent les artistes en Union soviétique au cours des années 1950 empêchent Dovjenko de réaliser plusieurs projets. À la veille de sa mort, il est sur le point de tourner le Poème de la mer (Poema o more), qui sera réalisé trois ans plus tard par sa femme. Dans le même esprit, Ioulïia Solntseva dirigera trois autres films d’après des scénarios écrits par Dovjenko : le Dit des années de feu (Povest plamennykh let, 1961), la Desna enchantée (Zatcharovannaïa Desna, 1965) et l’Inoubliable (Nezabyvaiemoïe, 1968). Dovjenko peut être considéré comme le grand poète épique du cinéma soviétique. Il est l’un des rares à avoir su concilier l’idéal révolutionnaire et la tradition d’un humanisme séculaire. Chantre élégiaque de son Ukraine natale, il a signé quelques œuvres qui, sans avoir recours aux théories abstraites ou aux allégories trop alambiquées, ont exalté avec tendresse et confiance l’homme socialiste du xxe s. et son environnement naturel.
J.-L. P.
L. et J. Schnitzer, Alexandre Dovjenko (Éd. universitaires, 1966). / M. Oms, Alexandre Dovjenko (Serdoc, Lyon, 1968). / B. Amengual, Alexandre Dovjenko (Seghers, 1970).