Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

domaine (suite)

Les deux domaines sont régis très différemment en matière juridique. Le domaine privé est soumis au droit privé ; il est propriété de l’État (forêts domaniales, châteaux...), qui peut en tirer profit par location ou vente, et soumis au contentieux judiciaire en cas de litige ou d’abandon, en principe de la même manière qu’une autre propriété privée. Le domaine public, par contre, est soumis au droit administratif — dominé par le principe de l’inaliénabilité et comportant certaines règles de protection et d’utilisation — et relève de la compétence contentieuse des tribunaux administratifs.

Les problèmes posés par l’existence d’un domaine public peuvent être aujourd’hui d’ordre divers ; l’actualité nous fournit des exemples nombreux : garanties de la propriété privée dans le cadre d’un plan d’urbanisme, problèmes de voisinage et de protection, droits des riverains des voies publiques ou des rivages de la mer... En fait, il s’est peu à peu établi des exceptions aux règles, comme le régime forestier appliqué par l’administration des Eaux et Forêts, cependant qu’on assouplissait la distinction entre les deux domaines.


Évolution récente de la domanialité publique

De la domanialité publique, limitée aux biens non susceptibles de propriété privée et affectés à l’usage de tous (domaine « par nature »), on est passé en fait à une domanialité publique étendue aux biens affectés aux services publics (domaine « par affectation », comprenant par exemple les voies ferrées, les ouvrages militaires et excluant tout bien donnant lieu à exploitation financière). On a tendance, d’autre part, à considérer le domaine public non plus comme improductif, mais comme richesse publique et à tenir compte non seulement de l’affectation des biens, mais de leur adaptation aux services qui les gèrent. Un projet de réforme du Code civil définit ainsi le domaine public : « Somme des biens des collectivités publiques et établissements publics qui sont soit mis à la disposition directe du public usager, soit affectés à un service public, pourvu qu’en ce cas ils soient, par nature ou par des aménagements particuliers, adaptés exclusivement ou essentiellement au but particulier de ces services. »

Non seulement l’interprétation est plus étendue et plus souple, mais le système lui-même est manié avec de grandes nuances suivant l’objet auquel il s’applique : l’existence d’une échelle de domanialité assouplit la notion d’inaliénabilité, inapplicable par exemple à certains accessoires des services municipaux.

M.-A. L.

Domaine musical

Association culturelle fondée en 1954 avec, pour objectif, la diffusion de la musique contemporaine et principalement des œuvres de l’école de Vienne* (A. Schönberg*, A. Berg*, A. von Webern*), ainsi que de celles qui, par la suite, devaient s’inspirer de leur esprit et de leur technique : la dodécaphonie et la méthode sérielle.



Historique

En 1946, à vingt et un ans, Pierre Boulez* devient directeur musical de la Compagnie Madeleine Renaud-Jean-Louis Barrault, qui, à l’époque, tient ses assises au théâtre Marigny. Initié par René Leibowitz aux arcanes de la technique sérielle, le jeune musicien se plonge dans une analyse approfondie des œuvres des trois Viennois, parmi lesquelles celles de Webern exercent sur lui une véritable fascination.

Or, en ces premières années succédant à la Libération, cette école viennoise est peu connue en France. Pierre Boulez, fort de l’appui de J.-L. Barrault, entreprend de révéler au grand jour ces partitions enfouies dans le sommeil de l’oubli. Le succès remporté par quelques concerts organisés en 1953 dans une petite salle du théâtre Marigny décide de la constitution d’un comité qui réunit, autour de la présidence de Suzanne Tézenas, un groupe important de personnalités de la société parisienne. Et, le 13 janvier 1954, a lieu la séance inaugurale du Domaine musical, dont le programme comportait deux premières auditions — Polifonica-Monodia-Ritmica, de Luigi Nono, et Contrepoints, de K. Stockhausen — ainsi que le Concerto pour 9 instruments de A. von Webern. Ces œuvres étaient enchâssées entre l’Offrande musicale, de J.-S. Bach, et Renard, d’Igor Stravinski, sous la direction d’Hermann Scherchen. Programme habilement composé, mis en valeur par la qualité exceptionnelle des interprètes. Dès le début, en effet, s’est établie au Domaine musical une règle dont jamais celui-ci ne se départira et qui sera l’un des secrets de sa réussite auprès du public : assurer aux œuvres une présentation exemplaire.

Par suite de son irruption inattendue au milieu des activités musicales traditionnelles, le Domaine ne tarda pas à créer autour de lui une sorte d’aura d’étrangeté, un climat particulier, émanant d’une cohorte d’auditeurs fidèles — assez comparable aux groupes d’amateurs de l’art pictural avancé —, où se coudoyaient les mélomanes désireux de se familiariser avec une nouvelle forme d’expression et ceux qui n’avaient que le souci assez vain d’être au fait de l’« avant-garde ». Ce milieu plutôt fermé ne pouvait manquer d’être taxé de « chapelle » par les détracteurs, qui se levèrent nombreux. D’une manière générale, on repoussait le nouveau langage, considéré comme rompant dangereusement par son essence même avec les conceptions polyphoniques établies en Occident depuis plusieurs siècles. Et puis, il faut bien le dire, les violences verbales de Boulez et de ses disciples n’étaient pas faites pour rallier les hésitants. Finalement, le monde musical parisien se trouva rapidement divisé en deux camps hostiles.

En tout état de cause, le Domaine ne cessa d’étendre son audience, si bien que, le Petit Marigny étant devenu trop exigu, les concerts s’installèrent de 1957 à 1959, à la salle Gaveau, puis au Théâtre de France (dont J.-L. Barrault avait été promu directeur), enfin, après mai 68, au Théâtre de la Ville. À signaler, de temps à autre, un grand concert salle Pleyel : en 1958, festival Stravinski ; en 1965, création française des Gruppen de Stockhausen pour trois orchestres. De 1964 à 1973, le Domaine participe au festival de Royan.