Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

dessin (suite)

Le pinceau, répondant à la moindre pression de la main, permet autant le trait que la tache ou le badigeonnage. Selon la quantité d’eau mêlée à l’encre, on peut nuancer, modeler au lavis la moindre forme. De même avec du bistre et de la sépia. On connaît les merveilleux résultats que les Chinois, et les Japonais ensuite, purent tirer d’une peinture qui associe si bien le geste du dessinateur à celui du peintre. En Occident, une longue suite de chefs-d’œuvre fut engendrée par des peintres à qui le procédé permit également l’esquisse rapide, ainsi que la création d’un genre particulier en rapport avec la technique du sfumato dans la peinture à l’huile. De plus, comme dans ce cas bien illustré par Léonard* de Vinci, des « reprises » à la plume permettaient d’apporter à l’ensemble une animation ou même des précisions nouvelles. Mais beaucoup d’artistes, comme Poussin*, dans leurs esquisses pour des tableaux, ont dessiné directement au pinceau selon le principe d’un contraste ombre-lumière, la forme étant dans certains cas préfigurée légèrement à la mine de plomb. Ainsi s’affirmait encore avec le lavis cette conception d’un dessin porté sur le rapport des valeurs au-delà de la ligne.

C’est ce que, parallèlement, devait aussi démontrer l’usage de procédés à base de crayons du genre sanguine, pierre d’Italie, craie, mine de plomb, fusain. Argile ferrugineuse connue dès l’Antiquité, la sanguine a été utilisée surtout au cours des xvie et xviiie s., en même temps que se développait le goût pour un dessin autonome, recherchant des effets de clarté et de grande sensibilité dans le rendu de la chair et l’expression de la grâce. De ce point de vue, la sanguine représente une des toutes premières démarches d’un dessin de couleur, également envisagé par le xvie s. italien avec la craie et le papier de couleur. De plus, la sanguine, qui s’écrase facilement (comme le fusain) et s’accroche bien aux surfaces légèrement rugueuses, permettait de « passer » de la ligne à la tache plus ou moins dense grâce à la fusion de traits rapprochés. Un modelé était donc créé, suggérant des effets de clair-obscur en rapport avec le raffinement optique auquel on était parvenu vers la fin du xve s. On a pu facilement tirer de ces techniques de la sanguine des effets d’« ombre vivante », comme on peut le voir dans les dessins de Michel-Ange* ou de Watteau*. Ce dernier devait particulièrement mettre en valeur une technique « à trois crayons », où la sanguine est associée à la pierre noire d’Italie (ou à la pierre noire artificielle) et à la craie, conformément aux premiers essais italiens et français (Fouquet* : sanguine et pierre noire). Selon son origine, la sanguine présente des teintes différenciées allant jusqu’au brun.

La pierre d’Italie, que nous venons de citer, est un schiste argileux, relativement tendre, mais dont la section permet, avec la pointe ou le biseau, de tracer une ligne d’une grande finesse, en même temps qu’elle autorise la largeur du trait et le modelé. Cette souplesse d’utilisation fait que la pierre d’Italie s’est substituée tout naturellement à la pointe d’argent à partir du moment où la sensibilité artistique s’est orientée vers une expression plus large, vers un modelé jouant avec les lumières, que soulignera encore l’usage de la gouache ou de la craie (Signorelli*, Fra Bartolomeo, Véronèse* notamment). Très largement utilisée dans les dessins préparatoires à la peinture, la pierre d’Italie intervient au cours d’une évolution marquée par le développement des valeurs « spatiales » dans la nouvelle peinture à l’huile, qui insiste sur les effets de « relief » comme le suggérait Léonard de Vinci dans ses écrits. À partir du moment où le dessin prend une autonomie nouvelle, la pierre noire revêt une importance chaque jour plus grande. En revanche, on réserve la mine de plomb pour les dessins et études à conserver en atelier ou pour les petits portraits tels que les réclamait, par exemple, une Catherine de Médicis. Les Clouet*, Holbein* excelleront dans le genre, qui est également une preuve de l’extension du dessin direct, de notation « alla prima », comme source des compositions de tableaux.

En ce sens, avant de devenir un genre de dessin pour collectionneurs, le fusain a été très largement utilisé dans les esquisses les plus libres pour suggérer rapidement l’essentiel d’une forme, d’une composition, parallèlement à l’usage du pinceau ou de la plume. Mais le fusain ne pouvait être que d’un usage provisoire, à cause de son incapacité à rester longtemps fixé sur son support. À partir du moment où des pulvérisations d’eau gommée lui ont assuré une certaine stabilité, le fusain a pu être largement diffusé au cours du xvie s. et être associé, lui aussi, à d’autres matériaux, avant de devenir un moyen courant d’étude dans les académies.

Le fusain offrait d’innombrables avantages du fait de sa matière friable et du travail auquel on peut soumettre sa substance avec l’estompe, avec le doigt, ou en reprenant en hachures des parties à moitié effacées. À bien des égards, il se rapprochait nettement de la sensibilité requise par la peinture à l’huile avec ses effets divers, de la ligne à l’empâtement en passant par le glacis ou la surface à peine teintée. D’où les effets étonnants qu’en ont tirés tant de peintres, de Titien* à Prud’hon* (celui-ci lui associant la craie, sur papier bleuté). Avec le pastel, le fusain devait trouver une alliance particulièrement heureuse, surtout au xviiie s.

Cette technique de « peinture sèche » correspond à l’évolution des diverses combinaisons peu à peu établies entre le dessin proprement dit et la couleur, depuis que le dessin a été « rehaussé » d’aquarelle*. Poudre de couleur mêlée à de l’argile et de l’eau gommée, le pastel, connu dès le xve s., a surtout pris de l’importance au xviiie s., au moment où la qualité du matériau et les procédés de fixation ont progressé. Trait, hachures, empâtements, frottis : le pastel permettait toutes sortes d’effets comme le montrent les œuvres d’une Rosalba Carriera ou d’un Maurice Quentin de La Tour. Au xxe s., un Rouault* jouera avec les empâtements en ajoutant de l’eau. Depuis, on fabrique des pastels à l’huile, de même qu’on mêle parfois de l’huile au fusain pour en obtenir des effets veloutés et s’assurer une fixation directe.

Enfin, à ces différents moyens techniques, l’époque contemporaine a ajouté une méthode par pulvérisation à l’aide d’aérographes, surtout utilisée dans le dessin publicitaire.