Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

constituante (Assemblée nationale) (suite)

Le temps de la violence commence. Le roi médite-t-il le coup de force ? Tandis qu’il recule et demande aux nobles et au clergé de se réunir au tiers (27 juin), il ordonne la concentration de troupes autour de Paris (24 juin) et écrit à l’archevêque son intention « de prendre des mesures pour ramener l’ordre dans Paris » (2 juill.). Il renvoie le populaire Necker (11 juill.). C’est pour beaucoup le signe d’un recours à la force contre une Assemblée qui vient, le 9 juillet, de se déclarer « constituante ».


Juillet 1789

Le décor : Paris ; c’est la première ville d’Europe continentale. Elle est moins étendue que de nos jours et divisée en quartiers qui communiquent mal les uns les autres. Partout on y voit l’ordre politique et social que l’on veut transformer : ici l’enceinte des Fermiers généraux et les barrières d’octroi qui interdisent la libre circulation des marchandises et font la vie chère ; là la Bastille dont les canons peuvent se tourner sur les faubourgs populaires et qui témoigne de l’arbitraire royal.

Les acteurs : de 7 000 à 8 000 dans un Paris qui compte environ 600 000 habitants, tout un petit monde d’hommes de loi qui gravitent autour du Parlement, la masse remuante des étudiants qui contestent un enseignement périmé, des petits commerçants et des artisans qui, avec leurs compagnons, vivent dans l’échoppe ou la boutique ; c’est le monde du travail qui se lève : « salariés, indépendants, petits entrepreneurs », mais aussi « marchands et petits commerçants, âgés en moyenne de trente-quatre ans, souvent pères de famille, tous sont unis contre le privilégié, l’aristocrate, le personnel ministériel incarnant l’absolutisme » (M. Reinhard).

Pour défendre cet absolutisme, il y a des troupes que l’on croit nombreuses, disciplinées et étrangères. En fait, elles sont en grande majorité françaises, touchées par l’esprit révolutionnaire et en voie de désagrégation ; de 1 p. 100 en 1788, les désertions passent très vite à 4 p. 100. Mais le peuple l’ignore encore et, quand le Royal-Allemand charge, le 12 juillet, la foule qui promène en triomphe les bustes de Necker et de Philippe d’Orléans, il croit Camille Desmoulins qui crie :

« J’arrive de Versailles ; M. Necker est renvoyé, ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemy des patriotes : ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Il ne nous reste plus qu’une seule ressource, c’est de courir aux armes. »

À l’origine de toutes les journées révolutionnaires, il y aura ce réflexe de défense qui pousse, dans la nuit du 12 au 13 et au matin du 14, la foule, aidée des gardes françaises, à exiger des armes tour à tour à l’Hôtel de Ville, au Garde-Meuble, aux Invalides et enfin à la Bastille. Là, le gouverneur Bernard Jordan de Launay (1740-1789), se croyant menacé, fait tirer sur la foule. Un combattant arrivé sur les lieux trente minutes plus tard raconte :

« Je dirigeai mes pas vers la Bastille par la cour de l’Arsenal ; il était trois heures et demie environ ; le premier pont était baissé, les chaînes coupées ; mais la herse barrait le passage, on s’occupait à faire entrer du canon à bras [...], on se décida à commencer l’attaque à coups de fusil [...], le petit pont-levis se baissa [...]. J’entrai dans la grande cour. Les invalides étaient rangés à droite et à gauche des Suisses ; nous criâmes « bas les armes ! » [...] aussitôt après je fus au canon qui était perpendiculairement au-dessus du pont-levis, mais [...] je reçus un coup de fusil [...], je tombai étendu sans connaissance » (Journal de J.-B. Humbert, horloger, qui, le premier, est monté sur les tours de la Bastille).

Mais, tandis que la Bastille tombe, un nouveau pouvoir s’organise. Dès le 13, l’autorité municipale d’Ancien Régime s’efface derrière une municipalité nouvelle, formée par les électeurs des districts. Cette révolution municipale, qui touchera bientôt toute la France, s’accompagne de la formation d’une milice bourgeoise. Cette garde nationale doit assurer la sécurité des propriétés. À sa tête, La Fayette, le 17, rend les honneurs au roi, accueilli par Jean Sylvain Bailly (1736-1793), nouveau chef de la municipalité. L’administration monarchique n’a plus de prise sur l’administration locale. Les artisans, « combattants de la Bastille », pouvaient-ils garder le pouvoir au lieu de le remettre à la bourgeoisie ? Paul Chauvet (1789. L’insurrection parisienne et la prise de la Bastille, 1946) le croit, mais les marxistes le réfutent, les structures sociales existantes, disent-ils, ne le permettant pas.

La liberté conquise, le problème de l’égalité reste posé. C’est alors que les paysans interviennent. Au lendemain du 14-Juillet, en pleine période de moisson, on assiste dans les campagnes au déchaînement de la Grande Peur. G. Lefebvre en a démonté le mécanisme : croyance en un « pacte de famine » et en un « complot aristocratique » qui suscite la réaction défensive des paysans, celle-ci entraînant ensuite la « volonté punitive ». Armés et s’apercevant de la vanité de leur crainte, les paysans se portent vers les châteaux, s’emparent des archives où sont consignés les droits seigneuriaux et les brûlent.


D’août à octobre

À Paris, les députés s’inquiètent : la propriété est violée, le spectre de la loi agraire surgit. Il faut calmer les paysans. Nobles et membres du clergé sont invités à abandonner leurs privilèges. Chassé-croisé d’intérêts et d’élans généreux, telle est, décrite à un de ses amis par le marquis de Ferrières, la nuit du 4-Août :

« Les circonstances malheureuses où se trouve la noblesse, l’insurrection générale élevée de toutes parts contre elle [...], plus de cent cinquante châteaux incendiés ; les titres seigneuriaux recherchés avec une espèce de fureur et brûlés, l’impossibilité de s’opposer au torrent de la révolution, les malheurs qu’entraînerait une résistance même inutile, la ruine du plus beau royaume de l’Europe en proie à l’anarchie, à la dévastation ; et, plus que tout cela, cet amour de la patrie inné dans le cœur du Français, amour qui est un devoir impérieux pour la noblesse, obligée, par état et par honneur, à dévouer ses biens, sa vie même pour le roi et pour la nation, tout nous prescrivait la conduite que nous devions tenir. »

En fait, les décrets, rédigés sept jours plus tard, restreindront les mesures envisagées le 4, et les masses paysannes, insatisfaites, resteront prêtes à l’action pour le triomphe d’une égalité encore incomplète.

Mais le roi refuse de ratifier les décrets. Il est soutenu par des « patriotes » — tel Jean Joseph Mounier (1758-1806) —, effrayés de la fureur paysanne. Il semble prêt une fois encore à recourir à la force. Les gardes du corps offrent, le 1er octobre, un banquet au régiment de Flandre. En présence du roi, la cocarde tricolore est foulée.