Afrique du Sud (république d’) (suite)
La littérature sud-africaine d’expression anglaise a pris naissance grâce aux poètes, mais son épanouissement des dernières années est dû plus particulièrement aux romanciers. Avec Story of an African Farm (Histoire d’une ferme africaine, 1883) d’Olive Schreiner (1855-1920), le roman sud-africain naît sous une forme proche de la maturité. L’auteur n’atteindra jamais plus, dans ses nombreuses œuvres ultérieures, à la maîtrise dont il fait preuve dans ce récit. Les écrivains qui lui succéderont durant les cinquante années suivantes n’y parviendront pas davantage. Ils abordent les thèmes romantiques de l’histoire et de l’aventure de leur pays, relatant les épreuves des pionniers au coins du Grand Trek, les combats avec les indigènes. Si Ethelreda Lewis (1875-1946) perpétue la tradition des romancières sud-africaines, c’est Pauline Smith (1884-1959) qui apporte une touche de génie à la littérature de son pays par son recueil de nouvelles Little Karoo (1925) et son roman The Beadle (1926), où elle révèle sa connaissance intime de la vie d’une petite communauté campagnarde. Ce n’est que plus tard, dans des récits comme Mafeking Road (1947), que H. C. Bosman (1905-1951) manifestera une perspicacité et un talent comparables. La production littéraire de Sarah Gertrude Millin (1892-1968), la personnalité la plus remarquable de l’entre-deux-guerres, fut aussi abondante que celle de Pauline Smith fut modeste. S. G. Millin fut à la fois biographe de Rhodes et de Smuts et auteur de nombreux romans historiques et contemporains. Son œuvre la plus remarquable demeure God’s Stepchildren (les Enfants abandonnés de Dieu, 1924), étude du problème noir qui deviendra le thème dominant des romanciers sud-africains d’expression anglaise. Avec Turbott Wolfe (1925) et l’histoire d’Ula Maoonda, publiée dans la collection « I speak of Africa » (1927), William Plomer compte parmi les premiers écrivains à traiter courageusement du problème racial ; il annonce l’épanouissement du roman sud-africain après la Seconde Guerre mondiale, qu’inaugure le récit le plus célèbre depuis l’époque d’Olive Schreiner, Cry, the Beloved Country (Pleure, ô pays bien-aimé, 1948), d’Alan Paton. L’histoire pathétique de Paton, relatée dans une langue biblique et poétique, exprime sa compassion à l’égard des Blancs et des Noirs, et suggère, de façon émouvante, l’amour chrétien comme voie vers la paix. Cela répondait à l’esprit d’idéalisme qui régnait dans l’immédiat après-guerre, avant le durcissement des positions raciales. Depuis lors, on a vu paraître tout un courant de romans témoignant de l’engagement des écrivains sud-africains d’expression anglaise, qui, dans cette crise permanente, expriment leur pitié ou leur colère. Mais, pour Nadine Gordimer (née en 1923), auteur de The Lying Days (1953), de A World of Strangers (1958), de The Late Bourgeois World (1966), et pour Dan Jacobson (né en 1930), auteur de The Price of Diamonds (1957) et de Beginners (1966), le problème racial, bien qu’il ne soit jamais absent, se présente dans le cadre plus large de l’ensemble des relations humaines. Tous deux excellent dans la nouvelle, comme Jack Cope (né en 1913), dont les romans Albino (1964) et The Dawn Comes Twice (1969) expriment une adhésion décidée à la conception libérale de la solution raciale. Les romans sud-africains récents ne sont, cependant, pas tous des romans de protestation. C’est à la saveur et au mouvement de leurs récits que doivent leur succès des écrivains comme Daphne Rooke (née en 1914), auteur de Mittee (1951) et de Ratoons (1953), et même Stuart Cloete (né en 1897), qui s’imposa avec Turning Wheels (Grand Trek, 1937), puis avec Hill of Doves (1941) et Rags of Glory (les Haillons de la Gloire, 1963). Dans la même veine se placent Wilbur Smith (When the Lions Feed, 1964) et Geoffrey Jenkins (A Twist of Sand, 1959), dont les récits d’aventures ont été popularisés par leur adaptation à l’écran. L’Afrikaner d’expression anglaise Laurens Van der Post (né en 1906) établit avec Flamingo Feather (1955) et The Hunter and the Whale (1967) un lien entre les écrivains qui s’affirment comme tels et les simples conteurs. Son autobiographie (Venture to the Interior, 1952) et le récit de son expérience des Japonais au cours de la guerre (Bar of Shadow, 1952) manifestent sa profonde sympathie humaine. John McIntosh (Come to my House, 1968), qui a introduit une pointe d’humour dans le roman sud-africain, et Sigfried Stander (The Horse, 1968) sont deux nouvelles et authentiques voix sud-africaines.
Il ne faut pas négliger cependant la contribution considérable qu’ont apportée les écrivains noirs à la littérature d’expression anglaise. Les plus connus sont Peter Abrahams (né en 1919), auteur des romans Mine Boy (Rouge est le sang des Noirs, 1946), Wild Conquest (1951), The Path of Thunder (les Sentiers du Tonnerre, 1952), Ezekiel Mphahlele (né en 1919), auteur de Down Second Avenue (1959), et Richard Rive (né en 1931), auteur de Emergency (1964).
Peter Abrahams et Ezekiel Mphahlele résident à l’étranger. Comme d’autres pays, d’origines analogues, tels que les États-Unis et l’Australie, l’Afrique du Sud perd parfois ses écrivains d’expression anglaise, qui s’établissent en Europe, certains quittant leur pays pour des raisons politiques ; mais les plus jeunes tendent toujours davantage à trouver leur personnalité véritable en Afrique plutôt que dans la civilisation et les traditions littéraires qui naissent et se développent en Europe.
Littérature d’expression afrikaans
Originaire du hollandais du xviie s., influencée par le sabir maritime, le malais-portugais et, enfin, par le français, après l’arrivée au Cap des réfugiés huguenots en 1688, la langue afrikaans, grâce à un changement progressif de la syntaxe et de la morphologie ainsi qu’à une absorption de l’atmosphère africaine, devint peu à peu une langue spécifique, la plus jeune du groupe germanique. Bien que l’on parlât afrikaans au Cap dès 1750, c’est seulement en 1875 que cette langue commença de remplacer le hollandais comme langue littéraire, grâce au mouvement dirigé par le pasteur S. J. du Toit (1847-1911). Le choc et les souffrances de la guerre anglo-boer de 1899-1902 ont imprimé un élan créateur à la littérature d’expression afrikaans, et, dans ces circonstances, il était sans doute naturel que celle-ci empruntât la forme poétique. Dans l’œuvre des poètes Eugène Marais (1871-1936), J. F. Celliers (1865-1940), Totius (1877-1953, fils du pasteur du Toit) et Louis Leipoldt (1880-1947), la poésie afrikaans apparut soudain d’une beauté surprenante. Depuis ce début impressionnant, la poésie afrikaans n’a jamais failli, même si elle a connu une profonde évolution, sensible à travers les œuvres de Toon Van den Heever (1894-1956), puis des Dertigers (les écrivains des années 30), qui ont détourné la poésie afrikaans des cheminements romantiques et « nationaux » pour la diriger vers une plus grande universalité. Uys Krige (né en 1910), N. P. Van Wyk Louw (1906-1970), W. E. G. Louw (né en 1913), Elizabeth Eybers (née en 1915) ont subi l’influence des symbolistes français et allemands. Krige, qui écrit également en anglais, a été marqué par des poètes tels que Lorca et Éluard. Un autre poète de talent, D. J. Opperman (né en 1914), est également l’auteur de l’anthologie générale afrikaans Groot Verseboek (1951). Mais l’œuvre poétique capitale de l’entre-deux-guerres est celle de N. P. Van Wyk Louw, qui aboutit au théâtre en vers, en passant par le poème épique, la ballade moderne et le monologue dramatique : Raka (1941) est une grandiose épopée moderne, dans laquelle l’auteur symbolise le combat entre l’ordre et le chaos, entre la spiritualité et le matérialisme. Le mouvement imprimé par les Dertigers a été repris, avec une puissance accrue, par les écrivains des années 60, les Sestigers, non seulement dans la poésie, illustrée par Ingrid Jonker (1933-1965), mais dans le roman et sur la scène. Le roman afrikaans dispute à la poésie sa place longtemps prépondérante. Auparavant, la vie traditionnelle du Boer, l’existence pastorale de l’Afrikaner servaient de thèmes aux romanciers comme C. J. Langenhoven (1873-1932), D. F. Malherbe (1881-1969), les frères Hobson, deux Sud-Africains anglais qui estimèrent que la langue afrikaans traduisait mieux leurs sentiments à l’égard de leur pays, A. A. Pienaar, dit Sangiro (né en 1894), auteur de The Adventures of a Lion Family (1923), Jan Van Bruggen (1881-1957) décrivait la condition des Afrikaners appauvris et dépourvus de terres ; C. M. Van den Heever (1902-1956) traitait de l’exode des Afrikaners vers les villes. Vers les années 60, une nouvelle génération s’est développée. Africain, Afrikaner, Sud-Africain anglais, Juif, Grec, l’homme moderne avait évolué en Afrique du Sud comme ailleurs, cependant que les principaux écrivains de langue afrikaans, tels que Jan Rabié (né en 1920), Bartho Smit (né en 1924), André Brink (né en 1935), Chris Barnard (né en 1939), Breyten Breytenbach (né en 1939), passaient des années enrichissantes à Paris : leurs œuvres portent l’empreinte de Beckett, de Brecht, de Durrell ou d’Ionesco. L’audience relativement restreinte à laquelle son œuvre peut prétendre pose toutefois un problème à l’écrivain d’expression afrikaans ; car, hormis l’Afrique du Sud, il ne peut être compris qu’en Belgique et aux Pays-Bas. On a maintenant tendance à recourir à la traduction en anglais, afin de toucher un plus grand nombre de lecteurs : Étienne Leroux, dont Six Days with the Silversteins (Londres, 1968) a remporté un grand succès en Grande-Bretagne et aux États-Unis, André Brink, dont File on a Diplomat (Londres, 1967) a été monté à Paris, Jan Rabié, auteur de A Man Apart (Londres, 1969), et F. A. Venter (né en 1916), avec Black Pilgrim (Londres, 1952) et Man front Cyrène (Londres, 1957), illustrent cette nouvelle réussite. La contribution des écrivains de couleur en langue afrikaans est également remarquable, plus particulièrement dans le domaine de la poésie avec S. V. Petersen (né en 1914), P. J. Philander (né en 1921) et Adam Small (né en 1936).