Calvin (Jean) (suite)
C’est ainsi que, de Genève, Calvin prend une part prépondérante à l’organisation des Églises réformées en France, auxquelles adhèrent une partie importante de la noblesse (Antoine de Bourbon, Louis de Condé, Gaspard de Coligny) et du clergé, des parlementaires, des bourgeois, des ouvriers, à tel point que, vers 1560, on peut se demander si la France, qui compte peut-être un tiers de protestants, ne va pas tout entière passer à la Réforme. Le conservatisme des masses paysannes, attachées au culte des saints et au culte des morts, que la Réforme dénonçait comme idolâtres, et la sanglante répression organisée par le pouvoir royal bloquèrent cette évolution. En 1559, lors du premier « synode national », réuni à Paris et regroupant les délégués pasteurs et laïcs des paroisses locales, Calvin envoie aux Églises un projet de confession de foi, qui, quelque peu modifié, fut définitivement adopté en 1571 au septième synode national, à La Rochelle, et porte, de ce fait, le nom de Confessio gallicana ou Confession de La Rochelle.
Cependant, Calvin porte sans cesse en lui le souci du rétablissement de l’unité chrétienne, au sens large — c’est pourquoi il encourage les efforts dans ce sens de Théodore de Bèze* — et à l’intérieur de la famille évangélique : s’il échoue sur le plan luthérien, il réussit en 1549 à conclure avec les successeurs de Zwingli le Consensus tigurinus, qui unit les courants calviniste et zwinglien, ce dernier ayant abandonné la doctrine symboliste de son fondateur sur l’eucharistie ; de plus, Calvin entretient avec l’anglicanisme des rapports positifs qui contribuent à le maintenir dans le sein du protestantisme.
En 1559, Calvin couronne son œuvre genevoise en créant une académie qui jouit bientôt d’un renom international. Dirigée par Théodore de Bèze et illustrée par l’enseignement de maîtres éminents, à la tête desquels se trouve Calvin lui-même, elle compte rapidement plusieurs centaines d’étudiants venus de tous les pays d’Europe et forme bon nombre de théologiens et de laïcs qui joueront un rôle décisif dans l’extension de la Réforme dans leurs pays respectifs.
Chétif et sévère, timide et implacable, brûlé du feu intérieur qu’a allumé en lui l’Évangile, haï et craint par les uns, aimé et vénéré par d’autres, le corps consumé par l’énorme labeur que lui impose un esprit ardent et impérieux, le cœur épuisé par toutes les émotions que répercute une sensibilité cachée réagissant de façon extrême à la moindre attaque comme à la plus petite manifestation d’amitié, il va mourir après avoir communiqué ses dernières volontés à ses collègues pasteurs et théologiens, rassemblés autour de son lit. Depuis longtemps, il est seul : sa femme et son fils sont morts avant lui. Qu’importe, n’a-t-il pas de par le vaste monde des fils par milliers qui, aujourd’hui encore, lui sont redevables du plus précieux héritage : l’Évangile de la grâce, sens et liberté de leur vie ?
Une dernière fois, il parle : « Il a eu pitié de moi, Sa pauvre créature, pour me retirer de l’abîme de l’idolâtrie où j’étais plongé, pour m’attirer à la clarté de Son Évangile et me faire participant de la doctrine de salut de laquelle j’étais par trop indigne [...]. Il a étendu vers moi Sa merci jusque-là de Se servir de moi et de mon labeur pour porter et annoncer la vérité de Son Évangile [...]. Hélas ! le vouloir que j’ai eu et le zèle — s’il le faut ainsi appeler — a été si froid et si lâche que je me sens bien redevable en tout et partout, et si n’était Sa bonté infinie, toute l’affection que j’ai eue ne serait que fumée voire même que les grâces qu’Il m’a faites me rendraient tant plus coupable, tellement que mon recours est à ce qu’étant Père de miséricorde, Il soit et Se montre Père d’un si misérable pécheur. » Il meurt le 27 mai 1564.
Le « deuxième patriarche de la Réforme » (Bossuet) est enterré anonymement. Nul ne sait où est sa tombe.
G. C.
➙ Églises protestantes / Protestantisme / Réforme / Théologie protestante.
E. Doumergue, Jean Calvin. Les hommes et les choses de son temps (t. I-V, Payot, 1902-1917 ; t. VI et VII, Éd. de la Cause, 1926-1927 ; 7 vol.). / P. Imbart de La Tour, les Origines de la Réforme, t. IV : Calvin et l’Institution chrétienne (Firmin-Didot, 1935). / F. Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse (P. U. F., 1950). / A. M. Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1957). / E. G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, t. I : la Réformation (P. U. F., 1961). / H. Naef, les Origines de la Réforme à Genève (Droz, Genève, 1968 ; 2 vol.). / R. Stauffer, la Réforme (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1970 ; 2e éd., 1974). / R. Guerdan, la Vie quotidienne à Genève au temps de Calvin (Hachette, 1973).